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Droit européen et de l'Union européenne
Préjudice immatériel pour défaut de jugement dans un délai raisonnable
Mots-clefs : Délai raisonnable, Procédure juridictionnelle, Préjudice matériel, Préjudice immatériel, Responsabilité extracontractuelle
Les juridictions de l’Union européenne ont l’obligation de juger une affaire dans un délai raisonnable, conformément à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, au même titre que toute autre juridiction. Si ce délai varie selon la nature de l’affaire, sa complexité factuelle, juridique et procédurale, une période d’inactivité injustifiée de la juridiction européenne conduit à reconnaître une illégalité du comportement. Dès lors le requérant peut prétendre à l’indemnisation de son préjudice qui peut être matériel et même immatériel, en raison d’un état d’incertitude prolongée sur la planification de ses décisions et sa gestion.
L’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union européenne est prévu à l’article 340, alinéa 2 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), mais les conditions ont été précisées par la Cour de justice (CJCE 16 juill. 2009, Commission européenne c/ Schneider Electric, aff. C-440/07). Il en ressort qu’un requérant doit démontrer la réunion de trois conditions cumulatives : la première est celle de l’illégalité d’un comportement d’une institution, la deuxième est celle de l’existence d’un préjudice et la troisième, celle de la démonstration d’un lien de causalité. L’interprétation stricte de chacune des conditions rend peu aisée la reconnaissance de la responsabilité de l’Union.
En l’espèce, les requérantes, la société Gascogne Sack et la société Gascogne, ont souhaité engager la responsabilité de l’Union en raison de la durée excessive de la procédure juridictionnelle devant le Tribunal de l’Union. L’enjeu de cette procédure est uniquement indemnitaire, puisque cette procédure ne conduit jamais à annuler la décision juridictionnelle rendue sur le fond. Ce contentieux est jugé par la juridiction qui est à l’origine de la violation, même si la composition de la chambre de jugement est différente. Cette situation peut apparaître peu conforme aux exigences d’impartialité du procès équitable, mais cette question n’a pas été soulevée. L’organisation actuelle de ce contentieux n’empêche pas les demandes de prospérer, comme le démontre cette affaire.
Sur le fond, le Tribunal va revenir sur chacune des conditions. Sur la première condition relative à l’illégalité du comportement, le Tribunal s’appuie sur l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux qui reconnaît que la cause doit être entendue dans un délai raisonnable. Les juges cherchent alors à déterminer si le délai est raisonnable en s’appuyant sur les critères habituels liés à la nature, à la complexité de l’affaire et aux incidences des procédures connexes. Concrètement, l’affaire à l’origine du contentieux a connu une durée de procédure devant le Tribunal de l’Union de cinq ans et neuf mois. Cette durée ne peut pas être considérée comme automatiquement excessive. C’est pourquoi le Tribunal examine si des circonstances propres peuvent justifier ce délai. Pour déterminer si la durée est excessive, le Tribunal examine quelle est la durée moyenne d’une procédure en matière de droit de la concurrence et à partir de cette durée moyenne, il recherche s’il existe des circonstances qui peuvent justifier une durée plus longue. En l’espèce, le Tribunal admet que le traitement d’affaires connexes a pu allonger la durée, mais pas de manière aussi conséquente. En effet le Tribunal identifie une durée d’inactivité de 20 mois non justifiée, ce qui constitue l’illégalité.
Sur la seconde condition, le Tribunal identifie un dommage matériel réel et certain, étant donné que la société Gascogne a dû s’acquitter de frais au titre d’une garantie bancaire au profit de la Commission, garantie qui est directement liée à la durée de la procédure. En revanche elle écarte ce préjudice pour l’autre société, Gascogne Sack, qui ne s’est pas acquittée d’une telle garantie. Logiquement le Tribunal reconnaît enfin l’existence d’un lien de causalité, la garantie bancaire résultant de la durée de la procédure.
La conclusion est alors l’attribution d’une indemnisation. Cependant cette indemnisation est intéressante étant donné qu’elle couvre également un préjudice immatériel reconnu par les juges. En effet, le Tribunal admet que les deux sociétés requérantes ont été placées dans une situation d’incertitude qui a dépassé l’incertitude habituelle liée à une procédure juridictionnelle. Plus précisément, les juges considèrent que le prolongement de la procédure juridictionnelle a eu une influence sur la planification des décisions des entreprises requérantes et sur leur gestion. Il en découle que le préjudice immatériel est constitué. L’indemnisation est cependant limitée à 5000 euros par société, ce qui conduit à relativiser la portée de ce préjudice.
La juridiction de l’Union est toutefois consciente de l’importance de juger dans un délai raisonnable, puisqu’une réforme du Tribunal, datant du 16 décembre 2015 (Règl. n° 2015/2422 du 16 décembre 2015), est actuellement mise en œuvre, visant à doubler d’ici 2019, le nombre de juge au sein du Tribunal (passage de 28 à 56). En septembre 2016, le nombre de juges nommés était de 45, ce qui devrait accélérer l’examen du contentieux notamment en droit de la concurrence.
Références
■ Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
Article 47
Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial
« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter.
Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice. »
■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
Article 340
(ex-article 288 TCE)
« La responsabilité contractuelle de l'Union est régie par la loi applicable au contrat en cause.
En matière de responsabilité non contractuelle, l'Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l'exercice de leurs fonctions.
Par dérogation au deuxième alinéa, la Banque centrale européenne doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par elle-même ou par ses agents dans l'exercice de leurs fonctions.
La responsabilité personnelle des agents envers l'Union est réglée dans les dispositions fixant leur statut ou le régime qui leur est applicable. »
■ Règl. n° 2015/2422 du Parlement européen et du Conseil, 16 déc. 2015, JOUE n° L 341, 24 déc.
■ CJCE 16 juill. 2009, Commission européenne c/ Schneider Electric, aff. C-440/07, AJDA 2009. 2276, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat.
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