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Droit de la responsabilité civile
Préjudice sexuel : précisions sur les conditions d’indemnisation du conjoint de la victime directe
Par un arrêt rendu le 30 juin 2021, la première chambre civile de la Cour de Cassation précise les conditions d’indemnisation, au titre de la solidarité nationale, des préjudices tirés de la perte d’assistance bénévole et du préjudice sexuel subis par le conjoint survivant en qualité de victime par ricochet.
Civ. 1re, 30 juin 2021, n° 19-22.787
■ Position du problème : Dans le cadre de l’application de l’article L. 1142-1, II du Code de la santé publique (CSP) relatif à l’indemnisation d’un accident médical non fautif grave (ou d’une affection iatrogène ou infection nosocomiale par l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM) au titre de la solidarité nationale, le sort des victimes indirectes soulève une difficulté née du silence de ce texte sur la question de la réparation de leurs dommages en cas de survie de la victime directe, et de son imprécision, en cas de décès de la victime directe, quant aux catégories de préjudices réparables au profit de la victime indirecte.
« (…) un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire ».
■ Éléments de résolution du problème : La Cour de cassation avait déjà, dès avant le présent arrêt, eu l’occasion d’éclairer la teneur de ce texte en optant pour une interprétation stricte de ses termes, refusant de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité le concernant au motif, notamment, que cet article, « qui n’a pas eu pour objectif de consacrer un droit à indemnisation de tous les préjudices résultant d’accidents médicaux non fautifs, mais de permettre, sous certaines conditions, la prise en charge, par la solidarité nationale, de certains d’entre eux, en conciliant, d’une part, l’exigence d’une indemnisation équitable des patients victimes et de leurs proches et, d’autre part, l’équilibre des finances publiques et la pérennité du système, a pu réserver la faculté, pour les ayants droit de la victime principale, d’obtenir réparation de leur préjudice propre auprès de l’ONIAM dans l’hypothèse où cette victime est décédée et les en priver lorsqu’elle a survécu sans méconnaître le principe d’égalité, la différence de traitement ainsi instituée étant conforme à l’intérêt général et en rapport direct avec l’objet de la loi » (Civ. 1re, 13 sept. 2011, n° 11-12.536).
Confirmant cette lecture stricte de cette disposition, l’arrêt rapporté tend ainsi à donner naissance à une jurisprudence contribuant utilement à combler les lacunes légales.
Après avoir été victime d’un AVC, une femme avait dû subir, le 15 juillet 2009, l’implantation d’un stimulateur cardiaque et, peu de temps après, un drainage péricardique dont les complications consécutives à cette opération avaient conduit la patiente à conserver, par la suite, un taux d’incapacité permanente partielle estimé à hauteur 90 %. Elle avait saisi d’une demande d’indemnisation la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, laquelle avait, par avis du 26 septembre 2012, estimé que l’indemnisation de ses préjudices devait être mise à la charge de la solidarité nationale sur le fondement de l’article L. 1142-1, II, du CSP. Décédée le 25 février 2014, l’époux et les enfants de la défunte avaient alors poursuivi sa demande en indemnisation. Ces derniers, soutenant que son décès avait été causé par l’accident médical non fautif grave dont elle a été victime, avaient assigné l’ONIAM en indemnisation.
La cour d’appel condamna cet organisme au paiement de diverses indemnités, dont une rente viagère au titre du préjudice économique subi par le mari de la victime en raison de la privation de l’assistance ménagère, bénévole et quotidienne, fournie par son épouse de son vivant, ainsi qu’une somme de 5 000 € au titre de son préjudice sexuel, subi par ricochet du vivant et après le décès de sa femme.
Devant la Cour de cassation, l’ONIAM invoqua la violation de l’article L. 1142-1, II du CSP au moyen, notamment, que les préjudices invoqués par l’époux ne constituaient pas des préjudices réparables.
Rendant un arrêt de cassation partielle sans renvoi, la Haute cour énonce, dans un premier temps, que la perte de l’assistance quotidienne dans les tâches ménagères consécutive au décès de la victime directe constitue pour son conjoint survivant, en qualité de victime par ricochet, un préjudice économique indemnisable au titre de la solidarité nationale ; dans un second temps, elle casse et annule la solution de la cour d’appel ayant accepté d’indemniser le préjudice sexuel invoqué.
■ L’indemnisation du préjudice économique de la victime indirecte au titre de l’assistance bénévole de la défunte approuvée par la Cour de cassation pour la période consécutive au décès
Selon le demandeur au pourvoi, l’indemnisation d’un tel préjudice ne pouvait relever de la solidarité nationale, d’autant moins que ce besoin d’assistance trouvait sa cause exclusive dans l’âge et l’état de santé du demandeur, de sorte que l’accident médical non fautif n’avait qu’indirectement contribué à l’augmentation d’un tel besoin. La Haute juridiction réfute ces deux arguments dans les termes suivants, affirmant « qu’avant la survenue de l’accident médical, (la défunte) assistait quotidiennement son époux pour les tâches ménagères, lequel n’était pas en mesure de les assumer, ce que ne contestait pas l’ONIAM », et qu’ainsi, « c’est à bon droit que la cour d’appel en a déduit que la perte de cette assistance, consécutive au décès de celle-ci, constituait un préjudice économique indemnisable au titre de la solidarité nationale».
La Cour de cassation considère donc que l’aide ménagère de l’épouse décédée apportée à la victime indirecte constitue un préjudice économique indemnisable pour la période postérieure au décès.
Son analyse mérite d’être approuvée.
Tout d’abord, elle est conforme au principe général de réparation intégrale du dommage que reprend, en cas d’accident médical non fautif grave, le texte de droit spécial de l’article L. 1142-1, II du CSP, qui dispose qu’après le décès de la victime directe, ses ayants droit bénéficient d’une réparation intégrale (donc sans perte ni profit) de leur préjudice par l’ONIAM.
Ensuite, en soulignant que l’indemnisation allouée couvre la période consécutive au décès, la Cour de cassation se montre ainsi fidèle à la lettre du texte susvisé, qui ne renvoie expressément qu’aux préjudices subis par la victime indirecte postérieurement au décès de la victime directe.
Par ailleurs, malgré l’imprécision du texte quant à la nature des préjudices réparables, la solution vient ainsi confirmer la nature économique du préjudice constitué par la perte de l’assistance bénévole d’un proche pour la gestion du quotidien (v. par ex. à propos d’une épouse ne pouvant plus compter sur l’aide de son mari, tétraplégique à la suite d’un accident du travail, pour les tâches ménagères et la prise en charge des enfants, v. Civ. 2e, 13 juin 2013, n° 12-15.632).
Enfin, le caractère direct du lien de causalité, contesté par l’auteur du pourvoi au moyen que l’accident médical n’avait fait que contribuer indirectement au préjudice subi devait être balayé dès lors que si l’état de santé et l’âge de l’époux (qui avait onze ans de plus que sa femme) avaient certes rendu nécessaire son assistance au quotidien dans les tâches ménagères, c’était bien le décès de sa femme, conséquence directe de l’accident médical, qui avait fait perdre à celui-ci l’aide dont il bénéficiait jusqu’alors.
Si la question peut alors se poser de savoir si la solution aurait été la même dans le cas où la victime indirecte aurait pu assumer ces tâches, il était en tout cas acquis qu’en vertu de la théorie de la causalité adéquate, la solution rendue sur ce point par les juges du fond ne pouvait être qu’approuvée par la Cour de cassation.
■ L’indemnisation du préjudice sexuel de la victime indirecte refusée par la Cour de cassation pour la période consécutive au décès
Sur la question du préjudice sexuel, l’arrêt de la Haute juridiction confirme son interprétation littéraliste de l’article L. 1142-1, II du CSP, refusant ainsi d’indemniser le veuf au titre de la solidarité nationale du préjudice sexuel éprouvé du vivant de la victime directe. Après avoir énoncé le principe selon lequel le préjudice sexuel peut être indirectement éprouvé par le conjoint de la victime principale, elle distingue deux hypothèses : celle du préjudice sexuel par ricochet éprouvé du vivant de la victime directe et celle du préjudice sexuel par ricochet éprouvé après son décès. Concernant la première, les juges de cassation rappellent que « les préjudices de la victime indirecte éprouvés du vivant de la victime directe n’ouvrent pas droit à réparation » au titre de la solidarité nationale. Sa position est aussi nette que cohérente : le préjudice sexuel de la victime par ricochet n’est indemnisable qu’en cas de décès de la victime directe.
En revanche, elle précise que « les conséquences personnelles éprouvées par la victime indirecte, à la suite du décès de son conjoint, telles que la privation de relations sexuelles avec lui, sont indemnisées au titre du préjudice d'affection ». La précision est d’importance car la nomenclature Dintilhac (1) ne mentionne pas explicitement, concernant les préjudices des victimes indirectes, le préjudice sexuel. En cas de survie de la victime directe et en dehors de l’hypothèse où l’indemnisation repose sur le fondement de l’article L. 1142-1, II, du CSP, le préjudice sexuel par ricochet est rattaché aux préjudices extrapatrimoniaux exceptionnels. Toutefois, une telle catégorie n’existe pas concernant les préjudices des victimes indirectes en cas de décès de la victime directe. La Cour de cassation précise ainsi que dans une telle hypothèse, le préjudice sexuel doit être rattaché au préjudice d’affection de la victime par ricochet.
■ L’absence d’autonomie du préjudice sexuel
La nomenclature Dintilhac décrit ainsi le préjudice d’affection de l’ayant droit : « Il s’agit d’un poste de préjudice qui répare le préjudice d’affection que subissent certains proches à la suite du décès de la victime directe. Il convient d’inclure, à ce titre, le retentissement pathologique avéré que le décès a pu entraîner chez certains proches ».
Le préjudice sexuel n’y est pas mentionné explicitement. Selon la décision rapportée, il relèverait donc du « retentissement pathologique avéré que le décès a pu entraîner chez certains proches ». Les juges du fond n’étaient alors pas fondés à indemniser le préjudice sexuel de l’époux consécutif au décès de la victime directe, l’époux ayant également obtenu une indemnisation au titre du préjudice d’affection. Ajoutée à celle de ce dernier préjudice, l’indemnisation de son préjudice sexuel aurait conduit à une double indemnisation contraire au principe de réparation intégrale, sans perte mais sans profit pour la victime, visé par la Cour de cassation.
Références :
■ Civ. 1re, 13 sept. 2011, n° 11-12.536
■ Civ. 2e, 13 juin 2013, n° 12-15.632: D. 2013. 2658, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon
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