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[ 19 avril 2013 ] Imprimer

Droit constitutionnel

Premier renvoi préjudiciel en interprétation du Conseil constitutionnel à la Cour de justice de l’Union européenne : nouvelle étape dans le dialogue des juges

Mots-clefs : Conseil constitutionnel, Question prioritaire de constitutionnalité, Renvoi préjudiciel en interprétation, Principe d’égalité devant la justice, Droit à un recours juridictionnel effectif, Procédure d’urgence

Le Conseil constitutionnel confronté à la nécessité d’interpréter la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen, acte du droit de l’Union, décide en raison de doutes sur son contenu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Le Conseil constitutionnel opère ainsi une incursion dans le contrôle de conventionnalité jusque-là dévolu aux juridictions de droit commun conformément à sa propre jurisprudence (Cons. const. 15 janv. 1975, IVG).

Le dialogue des juges est un élément essentiel pour garantir l’effectivité, l’unité et la primauté du droit de l’Union. Ce dialogue repose aujourd’hui sur la faculté du juge national de pouvoir poser une question préjudicielle en interprétation à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en cas de doutes sur le contenu d’un texte de l’Union. Le Conseil constitutionnel s’était jusqu’à présent refusé à l’effectuer à la fois parce que le contrôle de conventionnalité n’était pas de sa compétence et parce qu’il jugeait que le délai de réponse de la CJUE était un obstacle insurmontable compte tenu des délais qui lui étaient imposés par l’article 61 de la Constitution.

À l’origine de cette décision de renvoi, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par la chambre criminelle de la Cour de cassation relative à l’article 695-46 du Code de procédure pénale, précisant que dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen (MAE), si une extension des poursuites est demandée par l’État à l’initiative du mandat, la chambre de l’instruction se prononce sur cette demande sans aucun recours possible, que le mandat ait déjà été exécuté ou non.

On rappellera brièvement que la QPC s’inscrit dans une affaire où un enseignant anglais était venu avec son élève de 15 ans révolus en France, pays où il fut arrêté. Le MAE avait été délivré pour enlèvement d’enfant par une cour d’assise britannique qui avait interrogé l’homme, dès son retour sur le territoire, pour des faits d’activité sexuelle sur mineur (étant précisé que cette atteinte sexuelle sur mineurs est réprimée par la loi anglaise jusqu’à l’âge de 16 ans et non 15 comme en France). Le juge britannique ayant (en application du principe de spécialité) refusé d’ordonner le placement en détention sur le fondement de faits qui n’étaient pas visés dans le MAE, les autorités britanniques ont demandé aux autorités françaises l’extension du MAE, ce que la chambre de l’instruction française a accordé. Si la chambre de l’instruction statue « sans recours » (C. pr. pén., art. 695-46), l’enseignant a toutefois formé un pourvoi en cassation immédiatement assorti d’une QPC mettant en cause le principe d’égalité devant la justice et l’atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif qui résulte du 4e alinéa de l’article 695-46. La Cour de cassation avait un doute sur la constitutionnalité de cette disposition au regard des articles 6 et 16 DDHC, imposant le principe d’égalité devant la justice et le droit à un recours juridictionnel effectif. La recevabilité du pourvoi est donc dépendante de la QPC.

Le Conseil constitutionnel n’était cependant pas en situation de pouvoir répondre immédiatement à la QPC en raison de l’articulation entre la Constitution et le droit de l’Union par rapport au MAE. En effet, l’article 88-2 de la Constitution fait référence au MAE et à l’adoption d’une loi afin de transposer notamment la décision-cadre, ce qui a été fait par le législateur au travers de la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dont est issu l’article 695-46 du Code de procédure pénale en cause.

L’abrogation d’une disposition de la loi pourrait dès lors engendrer par ricochet une violation du droit de l’Union pour non-transposition des règles relatives au MAE. Le Conseil constitutionnel devait, en conséquence, pour se prononcer, déterminer ce qui relève des obligations de la décision-cadre et ce qui découle de la marge d’appréciation laissée au législateur. Si le refus de recours relève uniquement d’un choix du législateur, la disposition pourrait être déclarée inconstitutionnelle. En revanche, si ce refus résulte de la décision-cadre, la loi serait nécessairement conforme à la Constitution au regard de l’article 88-2, celui-ci rendant conforme à la Constitution toutes les dispositions de l’Union relative au MAE. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de l’insertion de cet article.

L’acte n’étant pas clair, le Conseil constitutionnel a décidé comme tout juge de droit interne de poser une question préjudicielle afin de déterminer si l’absence de recours est une obligation résultant du droit de l’Union.

La décision du Conseil constitutionnel est inédite, puisqu’il a toujours écarté l’hypothèse d’une saisine de la CJUE sur le fondement de l’article 267 TFUE. Cette nouvelle jurisprudence appelle quatre remarques :

▪ le Conseil constitutionnel n’est pas la première juridiction constitutionnelle à saisir la Cour de justice, les juridictions constitutionnelles italienne ou espagnole l’ont déjà fait ;

▪ le Conseil constitutionnel se considère comme une juridiction à part entière puisque le renvoi préjudiciel n’est ouvert qu’aux juridictions nationales ;

▪ le Conseil constitutionnel se réapproprie la possibilité de réaliser un contrôle de conventionnalité. En réalité, il acceptait de l’effectuer de manière marginale dans deux hypothèses :

– la première est celle où le Conseil constitutionnel examine que la loi est bien compatible avec la directive qu’elle transpose. Cependant, ce contrôle relève tout autant d’une obligation constitutionnelle figurant à l’article 88-1, article sur lequel se fonde le Conseil. Ce n’est pas moins un contrôle de conventionnalité sur le fond, la loi étant confrontée à une norme internationale (Cons. const. 30 nov. 2006, Loi relative au secteur de l'énergie) ;

– la seconde est celle relative au droit de vote des citoyens européens figurant à l’article 88-3 de la Constitution et qui renvoie à l’adoption d’une loi organique. Le Conseil constitutionnel a alors jugé que la constitutionnalité de la loi était liée au respect du droit de l’Union, ce qui imposait exceptionnellement un contrôle de conventionnalité (Cons. const. 20 mai 1998, Droit de vote des citoyens de l’Union) ;

▪ le Conseil constitutionnel s’est assuré que la réponse de la Cour de justice pourrait lui être transmise dans les délais impartis par l’article 23-10 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. En l’occurrence, le Conseil constitutionnel doit se prononcer pour une QPC dans un délai de trois mois. Le Conseil a ainsi demandé l’application de la procédure d’urgence, procédure applicable au domaine du MAE, d’autant plus lorsqu’une personne est en détention comme en l’espèce. Le renvoi préjudiciel ne serait dès lors pas envisageable :

– d’une part, dans le cadre d’un contrôle a priori, le Conseil ayant un délai seulement d’un mois pour se prononcer, ce qui est incompatible avec les délais de la CJUE ;

– et, d’autre part, si l’interprétation vise sur une disposition ne relevant pas d’un domaine où la procédure d’urgence peut être appliquée.

Le Conseil a ainsi restreint strictement les hypothèses d’un renvoi préjudiciel.

Cette décision du 4 avril 2013 ouvre en conséquence une nouvelle hypothèse de contrôle de conventionnalité, mais où le dialogue des juges est strictement limité par la réunion de conditions permettant au Conseil constitutionnel de respecter ses obligations.

Cons. const. 4 avr. 2013, n°2013-314P QPC

Références

■ Cons. const. 15 janv. 1975, IVG, n°74-54 DC.

■ Cons. const. 30 nov. 2006, Loi relative au secteur de l'énergien°2006-543 DC.

■ Cons. const. 20 mai 1998, Droit de vote des citoyens de l’Union, n°98-400 DC.

■ Article 695-46 du Code de procédure pénale

« La chambre de l'instruction devant laquelle la personne recherchée a comparu est saisie de toute demande émanant des autorités compétentes de l'État membre d'émission en vue de consentir à des poursuites ou à la mise à exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté prononcées pour d'autres infractions que celles ayant motivé la remise et commises antérieurement à celle-ci. 

La chambre de l'instruction est également compétente pour statuer, après la remise de la personne recherchée, sur toute demande des autorités compétentes de l'État membre d'émission en vue de consentir à la remise de la personne recherchée à un autre État membre en vue de l'exercice de poursuites ou de l'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté privatives de liberté pour un fait quelconque antérieur à la remise et différent de l'infraction qui a motivé cette mesure. 

Dans les deux cas, un procès-verbal consignant les déclarations faites par la personne remise est également transmis par les autorités compétentes de l'État membre d'émission et soumis à la chambre de l'instruction. Ces déclarations peuvent, le cas échéant, être complétées par les observations faites par un avocat de son choix ou, à défaut, commis d'office par le bâtonnier de l'ordre des avocats. 

La chambre de l'instruction statue sans recours après s'être assurée que la demande comporte aussi les renseignements prévus à l'article 695-13 et avoir, le cas échéant, obtenu des garanties au regard des dispositions de l'article 695-32, dans le délai de trente jours à compter de la réception de la demande. 

Le consentement est donné lorsque les agissements pour lesquels il est demandé constituent l'une des infractions visées à l'article 695-23, et entrent dans le champ d'application de l'article 695-12. 

Le consentement est refusé pour l'un des motifs visés aux articles 695-22 et 695-23 et peut l'être pour l'un de ceux mentionnés à l'article 695-24. »

■ Article 23-10 de l’ordonnance 58-1067 du 7 novembre 1958

« Le Conseil constitutionnel statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. Les parties sont mises à même de présenter contradictoirement leurs observations. L'audience est publique, sauf dans les cas exceptionnels définis par le règlement intérieur du Conseil constitutionnel. »

■ Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

Article 6

« La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité; et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

Article 16

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »

■ Constitution de 1958

Article 61

« Les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à l'article 11 avant qu'elles ne soient soumises au référendum, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel, qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.

Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs.

Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, le Conseil constitutionnel doit statuer dans le délai d'un mois. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours. 

Dans ces mêmes cas, la saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation. »

Article 88-1

« La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. »

Article 88-2

« La loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l'Union européenne. »

Article 88-3

« Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. Une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées détermine les conditions d'application du présent article. »

■ Article 267 TFUE (ex-article 234 TCE)

« La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel: 

a) sur l'interprétation des traités, 

b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union. 

Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. 

Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour. 

 

Auteur :V. B.


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