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[ 31 août 2011 ] Imprimer

Droit des biens

Prescription acquisitive abrégée : notion de « juste titre »

Mots-clefs : Immeuble, Acquisition a non domino, Bonne foi, Prescription abrégée, Juste titre

Un acte conclu par un mandataire dépourvu d’un pouvoir régulier constitue pour le cocontractant de bonne foi un juste titre au sens de l’article 2272 alinéa 2 du Code civil lui permettant de bénéficier du régime de la prescription abrégée.

En cas d’acquisition a non domino d’un droit réel immobilier, il est possible d’invoquer la prescription abrégée prévue à l’article 2272 du Code civil. L’affaire ici commentée, rendue sous l’égide de l’ancien article 2265 du Code civil (L. 17 juin 2008 ayant simplifié le délai de prescription abrégée), est une illustration du contrôle opéré par la Cour de cassation sur les éléments constitutifs de la notion de « juste titre », condition nécessaire — au même titre que la bonne foi — pour bénéficier de ce mode d’acquisition de la propriété. 

Un immeuble à usage d’habituation ainsi qu’un bar restaurant avaient été érigés sur une parcelle échangée en 1978. En 2003, fut prononcée l’annulation des actes authentiques matérialisant l’échange des terrains au motif que l’une des parties signataires n’avaient pas reçu mandat du véritable propriétaire pour procéder à l’acte. Profitant de cette annulation, ce dernier assigna sur le fondement des articles 544 et 545 du Code civil le propriétaire des constructions aux fins d’obtenir leur destruction ainsi que la restitution de la parcelle.

 Les juges du fond accueillirent ces demandes aux motifs que le transfert de propriété n’avait pu avoir lieu puisque l’acte d’échange était entaché d’une nullité absolue du fait de l’absence de consentement émanant du véritable propriétaire. Ainsi, l’absence de juste titre rendait impossible la prescription abrégée revendiquée par le possesseur, sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur sa bonne ou mauvaise foi.

 L’acte conclu par un mandataire apparent dépourvu de pouvoir est-il atteint d’une nullité relative ou absolue rendant impossible la constitution d’un juste titre ?

 Pour répondre à cette question il est important de revenir sur la définition donnée du juste titre, MM. François Terré et Philippe Simler le décrivant comme un titre « faux mais apparemment valable » et la Haute cour comme « celui qui, considéré en soi, serait de nature à transférer la propriété à la partie qui invoque la prescription » (Civ. 3e, 29 févr. 1968 ; Civ. 3e, 13 janv. 1999 ; Civ. 3e, 30 avr. 2002). Ainsi, outre le fait qu’il doit :

– avoir été conclu avec une personne autre que le propriétaire (Civ. 3e, 13 déc. 2000),

– réellement exister (Civ. 13 avr. 1881),

– et être translatif de propriété (pour une exclusion des actes déclaratifs comme le partage v. Civ. 3e, 25 juin 2008),

l’acte ne doit pas être entaché d’une nullité de forme ni de fond. En effet, la jurisprudence a étendu aux nullités de fond — à condition qu’il s’agisse de nullités absolues et non relatives (Civ. 3e, 3 nov. 1977) —, le principe énoncé à l’article 2273 du Code civil (anc. art. 2267) selon lequel : « Un titre nul par défaut de forme, ne peut servir de base à la prescription » abrégée.

 En l’espèce, le défaut de pouvoir du mandataire devait être regardé comme une nullité relative au sens de l’article 1108 du Code civil (vice du consentement). Ainsi, l’acte constituait bien pour le cocontractant un juste titre au sens de l’article 2272 alinéa 2 du Code civil (anc. art. 2265) lui permettant de prescrire la propriété du bien, c’est pourquoi l’arrêt d’appel fut cassé par la Haute cour.

Civ. 3e, 12 juill. 2011, n°10-19.429, inédit

Références

Fr. Terré, Ph. Silmer, Droit civil, Les biens, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2010, n°455 et s., spéc. n°464 et s.

A non domino

« Littéralement, “ d’un non-maître ”, “ d’un non-propriétaire ”. Expression latine signifiant que l’on a reçu un bien d’une personne qui n’en était pas propriétaire. »

Droit de propriété

« Selon la théorie classique, droit réel principal conférant à son titulaire, le propriétaire, toutes les prérogatives sur le bien, objet de son droit; traditionnellement on distingue 3 prérogatives : l’usus, l’abusus et le fructus. Le droit de propriété constitue lui-même un bien.

Pour certains auteurs toutefois, il désigne non un bien, mais la relation d’exclusivité qui existe entre chaque bien et la personne à laquelle il appartient. »

Mandat

« Acte par lequel une personne est chargée d’en représenter une autre pour l’accomplissement d’un ou de plusieurs actes juridiques.

Le mandat est conventionnel lorsqu’il résulte d’un contrat conclu entre le représenté (ou mandant) et le représentant (ou mandataire). Il peut aussi résulter de la loi ou d’un jugement. »

Nullité

« Sanction prononcée par le juge et consistant dans la disparition rétroactive de l’acte juridique qui ne remplit pas les conditions requises pour sa formation.

La nullité est absolue lorsque les conditions imposées par la loi sont essentielles et tendent à protéger l’intérêt général, ou l’ordre public, ou les bonnes mœurs.

La nullité est dite relative lorsqu’elle sanctionne une règle destinée à protéger une partie de l’acte (ex. : nullité pour incapacité).

Les régimes respectifs des nullités absolue et relative sont différents.

Nullité virtuelle : nullité qui peut être prononcée alors qu’aucun texte ne la prévoit expressément.

Nullité textuelle : nullité qui ne peut être prononcée que si un texte la prévoit de façon formelle (ex. : les nullités de mariage). »

Prescription acquisitive

« Moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de 30 ans; il est ramené à 10 ans au profit de celui qui acquiert un immeuble de bonne foi et par juste titre. En matière mobilière, la prescription est instantanée en application de la maxime : en fait de meubles, la possession vaut titre. »

Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

■ Code civil

Article 544

« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »

Article 545

« Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité. »

Article 1108

« Quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention :

Le consentement de la partie qui s'oblige ;

Sa capacité de contracter ;

Un objet certain qui forme la matière de l'engagement ;

Une cause licite dans l'obligation. »

Article 2272

« Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans. Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans. »

Ancien article 2265

« Celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans si le véritable propriétaire habite dans le ressort de la cour d'appel dans l'étendue de laquelle l'immeuble est situé ; et par vingt ans, s'il est domicilié hors dudit ressort. »

Article 2273

« Le titre nul par défaut de forme ne peut servir de base à la prescription de dix ans. »

Ancien article 2267

« Le titre nul par défaut de forme ne peut servir de base à la prescription de dix et vingt ans. »

Civ. 3e, 29 févr. 1968, Bull. civ. III, n°83.

Civ. 3e, 13 janv. 1999, Bull. civ. III, n° 13 ; JCP 1999, I, n° 175, obs. H. Périnet-Marquet.

Civ. 3e, 30 avr. 2002, Bull. civ. III, n°89, D. 2002. 2510, obs. Reboul-Maupin.

Civ. 3e, 13 déc. 2000, D. 2001. 2154, note Lipinski.

Civ. 13 avr. 1881, DP 1881, 1, 353 ; S. 1883, 1, 453.

Civ. 3e, 25 juin 2008, JCP N 2008, act. 559, obs. H. Périnet-Marquet.

Civ. 3e, 3 nov. 1977, Bull. civ. III, n°366, RTD civ. 1978. 678, obs. Giverdon.

 

Auteur :A. T.

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