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Droit des obligations
Prescription civile : l’impossibilité d’agir ne l’empêche pas toujours de courir !
La règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement quelconque ne s'applique pas lorsque le titulaire de l'action disposait encore, au moment où cet empêchement a pris fin, du temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription.
Un intérimaire avait demandé en justice la requalification de plusieurs contrats de travail, verbalement conclus, en CDI, ainsi que le paiement de diverses indemnités, notamment en conséquence de la requalification, pour non-respect de la procédure de licenciement et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. En première instance comme en appel, ses demandes furent rejetées. Il avait alors donné mandat à une société d’avocats au conseil de former un pourvoi, lequel fut déclaré non admis. Reprochant à la société d’avocats de lui avoir fait perdre une chance sérieuse d’obtenir la censure de l’arrêt d’appel, daté du 13 janvier 2005, à défaut d’avoir invoqué un moyen fondé sur la violation de l’article 1352 du Code civil relatif à l’admissibilité des modes de preuve, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, au motif que la cour d’appel avait jugé qu’il avait reçu les contrats de travail temporaire en temps utiles conformément aux exigences de l’article L. 124-4 du Code du travail, alors qu’elle n’avait relevé ni aveu ni serment judiciaire, seuls moyens de preuve admissibles, l’intérimaire soumit à la Cour de cassation, le 7 septembre 2017, une requête en indemnisation.
Celle-ci la déclare irrecevable. Elle rappelle d’une part qu’en application de l’article 2225 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l’action en responsabilité dont disposait le requérant contre la société d’avocats, qui avait achevé sa mission antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi précitée, se prescrivait par cinq ans à compter du 19 juin 2008 et se trouvait donc prescrite le 19 juin 2013. Elle oppose d’autre part au requérant, qui soutenait que les deux périodes d’hospitalisation par lui subies en 2002, du 23 mai au 24 juillet inclus et du 8 au 18 août inclus avaient pour effet de reporter la date de prescription au 31 août 2013, de telle sorte que la première requête qu’il avait adressée au conseil de l’ordre, le 18 août 2013, était recevable, la règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est empêché d’agir ne s’applique pas lorsque le titulaire de l’action disposait encore, à la cessation de l’empêchement, du temps nécessaire pour agir avant l’expiration du délai de prescription, et en déduit que l’hospitalisation du requérant ayant cessé en août 2012 soit plusieurs mois avant l’expiration du délai de prescription, cette circonstance rendait la règle précitée inapplicable à la cause.
La suspension de la prescription est le mécanisme qui en arrête le cours de façon temporaire, la prescription recommençant à courir au moment où elle s’était arrêtée lorsque la cause de sa suspension disparaît (C. civ., art. 2230).
Le Code civil antérieur à la réforme du 17 juin 2008 prévoyait trois principales hypothèses de suspension. Ainsi en était-il à l’égard des incapables (C. civ., anc. art. 2252), de l’héritier acceptant la succession à concurrence d’actif net (C. civ., anc. art. 2258) et entre époux (C. civ., anc. art. 2253). Ces solutions ont été reprises par les nouveaux articles 2235 et suivants du Code civil, ceux-ci élargissant simplement la suspension de la prescription au profit des partenaires pacsés, et apportant quelques exceptions dans le cas des incapables (absence de suspension à l’égard de certaines créances énumérées à l’article 2235 C. civ. ; V. S. Porchy-Simon, Les obligations, n°1338).
La jurisprudence avait cependant étendu, comme le rappelle la décision rapportée, le champ d’application de la règle en s’appuyant sur l’antique maxime contra non valentem agere non currit praescriptio : la prescription ne court pas contre celui qui a été empêché d’agir. Ainsi avait-elle érigé en principe général du droit la règle selon laquelle la prescription doit être suspendue lorsque le créancier est dans l’impossibilité absolue d’agir par suite d’un empêchement résultant soit de la loi, soit de la convention, soit de la force majeure (Civ. 1re, 22 déc. 1959, Com. 17 févr. 1964). La réforme n’a pas remis en cause cette règle, depuis lors légalement prévue à l’article 2234 du Code civil, et qui vaut tant en demande qu’en défense, la prescription ne pouvant également courir qu’à compter du jour où celui contre lequel on l’invoque a pu agir valablement (Civ. 1re, 27 oct. 1982, n° 81-14.386).
Dès avant la réforme du 17 juin 2008, la jurisprudence avait également refusé l’application de la règle précédente au cas où le titulaire de l’action, quoique temporairement empêché d’agir durant le délai, disposait encore, lorsque la cause de son empêchement a cessé, du temps nécessaire pour agir avant l’expiration du délai de prescription (Com. 11 janv. 1994, n° 92-10.241), c’est-à-dire d’un temps suffisant, lequel se compte en mois, comme en l’espèce, voire en années (Civ. 1re, 23 juin 2011, n° 10-18.530).
Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 17-50.053
Références
■ Civ. 1re, 22 déc. 1959
■ Civ. 1re, 27 oct. 1982, n° 81-14.386
■ Com. 11 janv. 1994, n° 92-10.241:RTD civ. 1995. 114, obs. J. Mestre
■ Civ. 1re, 23 juin 2011, n° 10-18.530 P: D. 2011. 1818, obs. V. Avena-Robardet ; AJDI 2011. 809, obs. F. de La Vaissière
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