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Procédure civile
Prescription de l’action en responsabilité contre l’avocat : revirement de jurisprudence quant au point de départ du délai
Jusqu’alors fixé à la date du prononcé du jugement, le délai de l’action en responsabilité contre l’avocat court désormais à compter de l’expiration du délai de recours contre la décision ayant terminé l’instance.
Civ. 1re, 14 juin, n° 22-17.520 B
La règle spéciale de prescription semblait acquise : légalement déterminé à la date de fin de sa mission, le point de départ du délai quinquennal de l’action en responsabilité engagée contre l’avocat se prescrivait à compter du prononcé de la décision juridictionnelle (Civ. 1re, 14 janv. 2016, n° 14-23.200). Cependant, par l’arrêt de revirement rapporté, publié au Bulletin ainsi qu’aux Lettres de chambre, la première chambre abandonne cette solution : désormais, l’action court à compter de l’expiration du délai de recours contre la décision ayant terminé l’instance, sous la réserve en l’espèce constituée de la fin de sa collaboration, antérieure à cette date, avec le client. Ce revirement s’explique par la nécessité de combiner plusieurs textes applicables à cette action en responsabilité professionnelle, soumise à la fois à des règles spéciales de prescription extinctive et aux règles de déontologie propres à la profession d’avocat.
Le 26 mars 2012, l’appel d’un jugement rendu deux mois auparavant pour statuer sur le partage du régime matrimonial entre ex-époux avait été interjeté par l’avocat du mari. Le juge de la mise en état avait cependant constaté la caducité de sa déclaration d’appel. Le 23 octobre 2012, le client avait mis fin par courrier à leur collaboration. Le 16 octobre 2017, il avait assigné son ancien avocat en responsabilité pour avoir été privé, par la caducité de l’appel, de la possibilité de faire valoir ses droits. Ce dernier lui avait opposé avec succès la prescription de son action, engagée plus de cinq ans après l’ordonnance de caducité, les juges du fond ayant retenu que la mission de l’avocat avait pris fin à la date de cette décision. Contestant la fixation du point de départ de la prescription de son action à cette date, le client s’était pourvu en cassation. Et c’est par un moyen relevé d’office que la première chambre civile opère un revirement de jurisprudence aussi remarquable qu’inattendu, jugeant que « le délai de prescription de l’action en responsabilité du client contre son avocat, au titre des fautes commises dans l’exécution de sa mission, court à compter de l’expiration du délai de recours contre la décision ayant terminé l’instance pour laquelle il avait reçu mandat de représenter et d’assister son client, à moins que les relations entre le client et son avocat aient cessé avant cette date ». Sont convoqués plusieurs textes, dont l’article 2225, lequel dispose que l’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant assisté ou représenté les parties se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission. Or la Cour explique que si sa jurisprudence antérieure (Civ. 1re, 14 janv. 2016, préc.) permettait de fixer « un point de départ unique à la prescription de l’action en responsabilité formée contre un avocat », cette solution « se conciliait toutefois difficilement avec d’autres dispositions, telles que celles des deux derniers textes visés », soit l’article 412 du Code de procédure civile et l’article 13 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat. Ces deux textes permettent à la Cour de cassation d’éclaircir, en l’absence de précision légale, la notion de « fin de mission », simplement évoquée par l’article 2225. Cet éclairage n’était pas permis sous l’empire de la jurisprudence antérieure, dont la principale vertu tenait en la fixité, d’ailleurs saluée par la Cour, du point de départ de la prescription, notamment en comparaison de celui, que l’on sait « glissant », du délai de droit commun de l’article 2224 du Code civil. En prescrivant l’action en responsabilité pour faute de l’avocat à compter de la décision, l’ancienne solution faisait l’impasse sur la notion de « fin de mission » prévue par l’article 2225. Au contraire, la solution nouvelle indique utilement que la mission de l’avocat réside dans l’exercice des voies de recours qui existent contre les décisions obtenues, qui doit être conjugué avec l’impératif de conduire l’affaire jusqu’à son terme, sauf cessation avant terme de sa collaboration avec le client. Cela étant, la teneur des textes visés ne nous semble pas incompatible avec la solution antérieure, dont la remise en cause pourrait s’expliquer par des raisons d’opportunité, notamment celle de sa sévérité pour le client, alors pressé d’agir dès le prononcé de la décision. Fixant par principe le point de départ à la date d’expiration du délai de recours, la solution nouvelle lui laisse davantage de latitude, de surcroît renforcée par la réserve tenant à la cessation de la collaboration, susceptible d’être antérieure à cette date. En effet, le point de départ se voit déplacé de la date du prononcé de la décision rendue à celle de « l’expiration du délai de recours contre la décision ayant terminé l’instance pour laquelle il avait reçu mandat de représenter et d’assister son client, à moins que les relations entre le client et son avocat aient cessé avant cette date » (nous soulignons). Or en l’espèce, la cour d’appel avait pu constater que le client avait mis fin à la collaboration avec son avocat par une lettre du 23 octobre 2012. Par conséquent, la prescription avait commencé à courir à compter de cette date, soit antérieurement à l’expiration du délai de recours. Au-delà du cas d’espèce, cet élément doit retenir l’attention des avocats, d’autant plus qu’à supposer que le délai coure à compter de l’expiration du délai de recours lui-même (par exemple si, en l’espèce, le courrier de fin de mission n’avait pas été envoyé), l’avocat se trouve confronté à une autre difficulté : l’absence de notification de la majorité des décisions de première instance, alors que la notification du jugement marque le point de départ du délai de recours (CPC, art. 528). Concrètement, l’avocat court le danger d’une imprescriptibilité de fait de l’action de son client. On comprend que la fluidité du nouveau point de départ du délai, susceptible d’être reporté dans le temps sans limite précise, est source d’insécurité au détriment des avocats, alors invités à se ménager, a minima, la preuve de l’antériorité de la fin de leur mission avant l’expiration du délai de recours.
Référence :
■ Civ. 1re, 14 janv. 2016, n° 14-23.200 P : D. 2016. 200 ; RTD civ. 2016. 364, obs. H. Barbier.
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