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Procédure civile
Presse : publication d’actes d’enquête et action en référé
Mots-clefs : Enquête, Vie privée, Préjudice moral, Presse, Partie civile, Dépositions, Police, Acte de procédure, Juge des référés
Les actes dressés par les services de police au cours d’une enquête sont des actes de procédure au sens de l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881, dont la seule publication est de nature à causer à la partie civile un trouble manifestement illicite au sens de l’article 809 C. pr. civ.
Après la publication d’extraits de témoignages recueillis au cours d’une enquête préliminaire, Mme B. assigna en référé l’éditeur, l’auteur de l’article et le directeur de la publication, estimant que l’article en cause, qui la présentait comme une personne manipulée et affaiblie, créait un trouble manifestement illicite, portant atteinte à sa vie privée et à son image ainsi qu’à ses droits de partie civile dans l’affaire judiciaire pour abus de faiblesse en cours.
Confirmant le jugement de premier degré, la cour d’appel de Paris estima que la publication des extraits de quatre dépositions constituait une violation de l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881 et condamna in solidum les défendeurs à payer une provision de 10 000 euros à valoir sur la réparation du préjudice moral de la demanderesse.
Par l’arrêt du 28 avril 2011, la première chambre civile rejette le pourvoi des défendeurs. Les juges estiment que la cour d’appel a fait « une exacte application de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme » (statuant sur la conformité de l’art. 38 L. 29 juill. 1881 à l’art. 10, § 2, Conv. EDH, v. déjà, Crim. 22 juin 1999) et a pu déduire, « dès lors que des actes dressés par les services de police au cours d’une enquête sont des actes de procédure au sens de l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881, que Mme B… était fondée à invoquer, du seul fait de cette publication, un préjudice personnel ».
L’article 38, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse interdit, sous peine d’une amende de 3 750 euros, la publication des actes d’accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu’ils aient été lus en audience publique. De plus :
- Il permet aux personnes entendues de s’exprimer librement, sans avoir à craindre la divulgation de leurs propos, et contribue ainsi à la manifestation de la vérité lors de la phase préparatoire du procès (Paris, 11 mai 2000) ;
- Il autorise la personne qui a éprouvé un préjudice matériel ou moral du fait de la publication d’un acte de procédure à se constituer partie civile, et justifie l’allocation de dommages-intérêts (Crim. 9 juill. 1926) ;
Il permet, le cas échéant, la saisine du juge des référés, en application de l’article 809 C. pr. civ. (v. Paris, 2 juill. 1993 ; plus largement, sur la possibilité de saisir le juge des référés en matière de presse, v. la jur. citée ss l’art. 1er L. 29 juill. 1881, in Code pénal Dalloz, notes 62 s.).
En l’espèce, les juges du fond ont pu estimer que la violation de l’article 38 ne pouvait se confondre avec celle des articles 9-1 (atteinte à la présomption d’innocence), 9 (atteinte à la vie privée) du Code civil ou 29 de la loi du 29 juillet 1881 (diffamation ou injure). Créant un trouble illicite spécifique, la publication était susceptible de porter atteinte aux droits de Mme B. en ce qu’elle la présentait, avant que ne débute l’examen de l’affaire pénale pour abus de faiblesse la concernant, comme une femme manipulée et affaiblie, ce qu’elle contestait catégoriquement. Elle justifiait l’allocation, par le juge des référés, d’une indemnité provisionnelle de réparation du préjudice moral ainsi subi par l’intéressée.
Civ. 1re, 28 avr. 2011, no 10-17.909, F-P+B+I
Références
Code civil
« Chacun a droit au respect de sa vie privée.
Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
« Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence.
Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte. »
Article 29
« Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.
Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure. »
Article 38
« Dès l'ouverture de l'audience des juridictions administratives ou judiciaires, l'emploi de tout appareil permettant d'enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l'image est interdit. Le président fait procéder à la saisie de tout appareil et du support de la parole ou de l'image utilisés en violation de cette interdiction.
Toutefois, sur demande présentée avant l'audience, le président peut autoriser des prises de vues quand les débats ne sont pas commencés et à la condition que les parties ou leurs représentants et le ministère public y consentent.
Toute infraction aux dispositions du présent article sera punie de 4 500 euros d'amende. Le tribunal pourra en outre prononcer la confiscation du matériel ayant servi à commettre l'infraction et du support de la parole ou de l'image utilisé.
Est interdite, sous les mêmes peines, la cession ou la publication, de quelque manière et par quelque moyen que ce soit, de tout enregistrement ou document obtenu en violation des dispositions du présent article. »
■ Article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme - Liberté d'expression
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ Article 809 du Code de procédure civile
« Le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »
■ Crim. 22 juin 1999, Bull. crim. no 146, Dr. pénal 2000. 20, obs. M. Véron ; RSC 2001. 176, obs. J. Francillon.
■ Crim. 9 juill. 1926, DH 1926. 534.
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