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Droit de la famille
Prestation compensatoire : la rente viagère n’est pas intangible
La rente viagère allouée à titre de prestation compensatoire peut être révisée, suspendue voire supprimée lorsqu’elle procure un avantage excessif au débirentier.
Un arrêt du 13 août 1998 avait condamné un époux à verser à son ex-femme une prestation compensatoire sous la forme d’une rente viagère. Un jugement du 6 novembre 2008 avait rejeté la demande du débirentier, qui en sollicitait la révision, invoquant l’avantage manifestement excessif procuré à la crédirentière par le maintien de cette rente. Par une requête du 15 septembre 2015, ce dernier avait alors saisi un juge aux affaires familiales d’une demande, non plus de révision, mais de suppression de la rente. Le juge avait rejeté sa demande au motif de l’autorité de la chose jugée du jugement du 6 novembre 2008. L’ex-époux avait interjeté appel de ce jugement, confirmé au même motif que le jugement du 6 novembre 2008 avait été rendu au visa de l’article 33, VI, de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004, dans sa version initiale faisant référence aux critères de l’âge et de l’état de santé du créancier, et que l’introduction par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, postérieure à la décision, de critères tenant à la durée du versement de la rente et au montant déjà versé ne permettait pas de remettre en cause l’autorité de la chose jugée.
Cette décision est censurée par la Cour de cassation, jugeant qu’« en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le demandeur n’invoquait pas des circonstances de fait nouvelles résultant notamment de la durée du versement de la rente depuis le jugement du 6 novembre 2008 et du montant déjà versé, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ».
Destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives (C. civ., art. 270, al. 2), le juge qui prononce le divorce des époux doit, sur cette base légale, chercher à tempérer les écarts de niveau de vie entre les anciens conjoints causés par la dissolution du lien matrimonial. De façon très générale, le législateur enjoint au juge de fixer la prestation « selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre » (C. civ., art. 271, al. 1er). De façon plus précise, il lui prescrit de prendre en compte une diversité d’éléments, tels que « l’âge et l’état de santé des époux », « leur qualification et leur situation professionnelles », « le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial », ainsi que certaines circonstances propres à la vie matrimoniale, comme « la durée du mariage », « les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants (…) ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne » (C. civ., art. 271, al. 2), étant entendu que cette liste légale n’est pas limitative.
Quant à la forme qu’emprunte cette prestation, celle-ci est, par principe, versée en capital, à l’effet efficace et opportun de mettre immédiatement fin aux relations patrimoniales entre les parties. Ce n’est qu’à titre exceptionnel que le juge peut, par décision spécialement motivée, lorsque l’âge ou l’état de santé du créancier ne lui permet pas de subvenir à ses besoins, fixer la prestation compensatoire sous forme de rente viagère, en prenant en considération, pour la détermination de son montant, des éléments d’appréciation prévus à l’article 271 (C. civ., art. 276). La lourdeur et la contrainte inhérentes au versement de ces rentes à vie, bien qu’elles soient rarement décidées, ont néanmoins conduit le législateur à reconnaître la possibilité de les aménager, d’abord en admettant leur révision, leur suspension voire leur suppression en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l’une ou l’autre des parties (L. n° 2004-439 du 26 mai 2004, art. 22, VI), ensuite en élargissant les cas justificatifs de tels réaménagements par l’injonction faite aux juges de tenir compte également de la durée et du montant des versements, pour apprécier l’éventuel abus de l’avantage ainsi procuré au débirentier (L. n° 2015-177 du 16 févr. 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures). « L’avantage manifestement excessif » que le juge doit à cette fin rechercher peut notamment résulter, comme en l’espèce, du paiement de la rente pendant une durée particulièrement longue.
C’est précisément l’application de la loi précitée du 16 février 2015 qu’invoquait le demandeur au pourvoi à l’appui de sa demande, à laquelle les juges du fond avaient opposé l’autorité de la chose jugée attachée au premier jugement rendu par le juge aux affaires familliales. La cassation de cette décision était de toute évidence encourue puisqu’il est de jurisprudence constante que l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée à une partie lorsque des circonstances nouvelles sont venues modifier la situation antérieurement reconnue en justice. En l’espèce, c’est en raison de la survenance d’événements factuels nouveaux, légalement pris en compte depuis la date du premier jugement rendu, que la Cour de cassation infirme l’analyse des juges du fond, protégeant ainsi, comme le législateur l’avait souhaité, les intérêts du crédirentier malmené par cette charge financière sans fin et par là même, potentiellement excessive.
Comme le mariage, la rente viagère, ce n’est pas toujours pour la vie…
Civ. 1re, 29 mai 2019, n°18-17.377
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Prestation compensatoire
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