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Droit de la consommation
Prêt à la consommation : la finalité du contrat prévaut sur la qualité des parties
La prescription biennale du code de la consommation ne s’applique pas aux actions fondées sur un prêt consenti pour les besoins d’une activité professionnelle même lorsque l’un des coemprunteurs est étranger à cette activité.
Pour déterminer l’application du droit de la consommation, la qualité des parties au contrat – professionnel/consommateur ou non-professionnel, est déterminante au point que l’inégalité à la fois économique et technique qu’elle révèle et qui imprime leur relation justifierait à elle seule la mise en œuvre de ce droit, par essence protecteur du consommateur. La décision rapportée invite à nuancer cette idée répandue : sans remettre en cause son postulat, elle l’affine en précisant que le but du contrat compte parfois davantage que la personnalité de ceux qui s’y engagent.
Par acte authentique en date du 8 septembre 2000, une banque avait consenti un prêt professionnel à un couple d’emprunteurs, étant précisé que l’objet professionnel des fonds prêtés était expressément stipulée dans l’acte. Par deux autres actes également passés en la forme notariée le 25 août puis le 2 octobre 2003, la banque y avait adjoint une ouverture de crédit par découvert en compte. Se prévalant d’une créance au titre de ces actes, la banque avait engagé une procédure aux fins de saisie des rémunérations de l’épouse. Cette dernière lui avait opposé la prescription de sa demande en application de l’ancien article L. 137-2 du Code de la consommation.
La cour d’appel déclara la demande de la banque irrecevable comme prescrite, après avoir constaté que les actes litigieux avaient été conclus pour les besoins de l’activité professionnelle du seul époux, viticulteur, tandis que sa femme, en sa qualité d’agent commercial, était étrangère à cette activité. Elle retint donc que celle-ci ayant passé les actes litigieux en tant que consommatrice, elle pouvait se prévaloir de la prescription biennale prévue par l’article L. 137-2 du code de la consommation.
Devant la Cour de cassation, la banque soutenait que l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du Code de la consommation, qui énonce que « l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans », n'est pas applicable aux prêts destiné[s] à financer une activité professionnelle, fût-elle accessoire en sorte que lorsqu'un prêt est souscrit par deux époux pour les besoins de l'activité professionnelle de l 'un seul d'entre eux, l 'autre ne peut pas se prévaloir de la prescription biennale.
Approuvant la thèse du pourvoi dont les termes de sa solution s’inspirent, la Cour régulatrice censure l’arrêt d’appel au visa de l’ancien article L. 137-2 (C. consom., art. L. 218-2). Elle confirme qu’aux termes de ce texte, l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans, ce dont il résulte que cette prescription ne s’applique pas aux actions fondées sur un prêt consenti pour les besoins d’une activité professionnelle. Elle en conclut qu’« En statuant ainsi, alors qu’est sans effet sur la qualification professionnelle d’un crédit la circonstance qu’un coemprunteur est étranger à l’activité pour les besoins de laquelle il a été consenti, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Quoique l’emprunteuse n’avait pas la qualité de professionnel, la destination professionnelle du prêt excluait donc l’application au litige du droit spécial de la consommation et soumettait ainsi l’action de la banque au délai quinquennal de droit commun prévu à l’article 2224 du Code civil, en l’espèce non expiré. La Cour confirme ainsi que lorsqu’un prêt est destiné à financer une activité professionnelle, fût-elle accessoire, cette finalité assignée au crédit est exclusive de la prescription biennale applicable au seul consommateur (Civ. 1re, 12 oct. 2016, n° 15-19.670). Cette solution est conforme à l’article L. 311-1, 2° du Code de la consommation relatif au crédit à la consommation, qui définit la qualité de consommateur de l’emprunteur au regard du but de l’opération réalisée ou envisagée, lequel doit être « étranger à son activité commerciale ou professionnelle » (L. n° 2010-737 du 1er juill. 2010 portant réforme du crédit à la consommation ayant transposé la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs).
Elle affirme également que la destination professionnelle du prêt exclut l’application de la prescription biennale même en présence d’un coemprunteur étranger à l’activité professionnelle financée. La précision est d’importance, car elle n’allait pas de soi. D’abord parce que l’arrêt, en laissant en suspens la question de la nature des liens unissant les coobligés, ne réserve pas l’hypothèse de codébiteurs conjoints qui, à défaut de solidarité entre les coemprunteurs, permettrait exploiter la divisibilité de l’obligation, à laquelle chacun contribue pour sa propre part, pour soumettre leurs obligations respectives à des prescriptions distinctes. Il est vrai cependant que la Cour de cassation n’avait pas à répondre sur le terrain du régime général de l’obligation, mais sur celui du droit de la consommation qui en tant que droit spécial, prévaut par principe sur la règle générale. Mais même sur le fondement de ce droit spécial, la solution ici rendue n’était en rien prévisible. En effet, les juges d’accordent à considérer que le contrat de crédit qui ne sert pas directement à financer l’activité professionnelle de l’emprunteur ou de l’un d’entre eux, dans le cas de l’espèce de coemprunteurs, est présumé avoir été conclu à titre non professionnel (v. en ce sens, CJUE 3 sept. 2015, n° C-110/14 ; à propos d’un avocat ayant souscrit un prêt qui n’était pas destiné à financer son activité professionnelle et à ce titre considéré comme un consommateur ; v. aussi, Civ. 1re, 27 mai 2003, n° 01-03.781); pour échapper à l’application du droit de la consommation et en particulier, à son bref délai de prescription, la pratique et la jurisprudence ont alors conjointement fait ressortir la nécessité de prévoir une stipulation expresse en ce sens dans le contrat : tel qu’en l’espèce, le but professionnel du crédit doit être précisé dans le contrat pour renverser la présomption (Civ. 1re, 27 mai 2003, préc.). L’enjeu est de taille, l’exclusion ainsi convenue et obtenue par convention de l’application du droit de la consommation s’étend, au-delà des seules règles relatives la prescription et au prêt à la consommation, à toutes celles applicables à l’ensemble des contrats et des opérations de crédit à la consommation (Civ. 1re, 8 juill. 1997, n° 95-11.500 : « l’article L. 311-3, 3°, du code de la consommation exclut du champ d’application des dispositions relatives au crédit à la consommation les prêts, contrats et opérations de crédit destinés à financer les besoins d’une activité professionnelle). La portée de la solution est donc remarquable.
En définitive, la nature de l’activité que le prêt sert à financer apparaît comme le seul critère d’applicabilité du droit de la consommation, et notamment de sa disposition relative à la prescription biennale. En pratique, une clause précisant expressément la destination professionnelle du contrat de financement sera exigée. En revanche, la qualité d’éventuels coobligés sera ignorée, ce qui est notable s’agissant d’un droit ayant dès l’origine érigé la qualité des parties au contrat en critère fondamental de son application.
Civ. 1re, 20 mai 2020, n° 19-13.461
Références
■ Civ. 1re, 12 oct. 2016, n° 15-19.670
■ CJUE 3 sept. 2015, n° C-110/14 : D. 2015. 1767
■ Civ. 1re, 27 mai 2003, n° 01-03.781 P
■ Civ. 1re, 8 juill. 1997, n° 95-11.500
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