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[ 2 novembre 2017 ] Imprimer

Droit des successions et des libéralités

Prêt à usage et avantage indirect rapportable : un couple incompatible !

Mots-clefs : Successions, Libéralités, Donation entre vifs, Immeuble, Occupation gratuite, Avantage indirect, Prêt à usage, Rapport à la succession (non)

Le prêt à usage n’impliquant aucune dépossession de la part du prêteur, ce contrat est incompatible avec la qualification d’avantage indirect rapportable.

La première chambre civile de la Cour de cassation vient d’apporter un élément de résolution majeur à une difficulté, fréquente lors des règlements successoraux, posée par le rapport à la succession de l'avantage indirect dont profite un enfant par la mise à sa disposition d'un logement ayant appartenu à ses parents ou à l'un d'entre eux. Cette occupation gratuite revenant, pour les parents propriétaires, à faire don d’une créance de loyers à leur enfant occupant, constitue, en conséquence, une libéralité portant sur des fruits ou revenus qui auraient dû accroître leur patrimoine. Ainsi l'économie de loyers qui en résulte pour l'enfant bénéficiaire génère-t-elle un appauvrissement de ses parents et par voie de conséquence, une réduction de l’actif de la succession préjudiciable à ses cohéritiers. Sous ce dernier aspect, l’opération justifie le rapport à la succession de l’avantage consenti à l’enfant hébergé à l’effet d’y réintégrer le montant de loyers non versés pendant des années pour qu'en tout état de cause, ceux-ci viennent en déduction de ses droits dans la masse à partager ou, dans l’hypothèse où ceux-ci seraient insuffisants, que le cohéritier bénéficiaire verse effectivement ce qu'il doit pour rétablir l'égalité qui avait été rompue avec ses cohéritiers. 

La Cour exige néanmoins, depuis plusieurs années (Civ. 1re, 8 nov. 2005, n° 03-13.890), deux conditions indispensables au rapport : la démonstration d'un avantage objectif au profit d'un héritier, d’une part, la preuve d'une intention libérale des parents propriétaires de l'immeuble, d’autre part (Civ. 1re, 18 janv. 2012, n° 09-72.542 : « seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l'intention de gratifier son héritier est rapportable à la succession »), cette seconde condition étant nouvelle, la jurisprudence antérieure n’exigeant jadis que la première (V. Civ. 1re, 8 nov. 2005, n° 03-13.890). Pour que cet avantage indirect soit jugé rapportable à la succession, il faut donc démontrer l'existence d'une donation entre vifs et pour admettre l'existence d'une telle libéralité, fut-elle indirecte, il faut nécessairement apporter la preuve, à la fois de son élément matériel et de son élément intentionnel. L’établissement du premier a, contrairement au second, toujours été recherché : comme toute libéralité, la mise à disposition gratuite d’un immeuble suppose, pour être rapportable à la succession, un appauvrissement du disposant et l'enrichissement corrélatif du gratifié. Cette recherche est rendue d’autant plus nécessaire que la libéralité alléguée ne se présente pas ouvertement comme telle et que son caractère indirect rend d’autant plus difficile l’établissement d'un transfert patrimonial entre les intéressés. Ainsi les cohéritiers qui sollicitent le rapport ont-ils la charge de prouver qu'une valeur qui aurait normalement dû revenir au de cujus est finalement venue accroître le patrimoine de l'un d'entre eux. La Cour de cassation exige une motivation précise à cet égard et ne manque pas d'exercer son contrôle, comme en témoignent de façon très nette quatre arrêts rendus par la même première chambre civile le18 janvier 2012 (Civ. 1re, 18 janv. 2012, n° 09-72.542 ; n° 10-25.685 ; n° 10-27.325 ; n° 11-12.863). 

Dans la décision rapportée, c’est l’absence de cet élément matériel par la caractérisation, inédite jusqu’alors en jurisprudence et incompatible avec l’existence d’une libéralité indirecte, d’un prêt à usage conclu entre le de cujus et son fils qui conduit la Cour à exclure sans appel la qualification d’avantage indirect rapportable. En l’espèce, la veuve et la fille du défunt avaient demandé le rapport à la succession de ce dernier de l’avantage indirect dont l’un de ses fils avait bénéficié par la mise à disposition à titre gratuit, et pendant onze années, d’un appartement appartenant au de cujus

La cour d’appel rejeta sa demande au motif qu’un commodat n’implique aucune dépossession de la part du prêteur et qu’il est pour cette raison incompatible avec la qualification d’avantage indirect. 

La Cour de cassation confirme cette analyse : après avoir rappelé que le prêt à usage constitue un contrat de service gratuit qui confère seulement à son bénéficiaire un droit à usage de la chose prêtée mais n’opère aucun transfert d’un droit patrimonial à son profit, notamment de la propriété sur la chose comme sur ses fruits et revenus, de sorte qu’il n’en résulte aucun appauvrissement du prêteur ; or la cour d’appel avait justement relevé que la mise à disposition par le de cujus à son fils d’un appartement durant un temps assez long et sans contrepartie financière relevait d’un prêt à usage, elle en a, à bon droit, déduit qu’un tel contrat était incompatible avec la qualification d’avantage indirect rapportable. 

La qualification d’une convention de prêt à usage, dont l'objet est précisément d'octroyer à titre gratuit la jouissance d'un bien, fait que la demande de rapport ne peut logiquement qu’échouer, en l'absence de toute créance de loyer des parents sur l'enfant emprunteur. Il y a là en effet, non une libéralité, mais un simple contrat de service gratuit insusceptible de rapport (En ce sens v.Ph. Malaurie, « Les successions et libéralités », Defrénois, 2e éd., 2006, n° 295 citant not. Civ. 5 avr.1938 : DH 1938, p. 305 : « La donation consiste essentiellement dans l'aliénation gratuite que le disposant fait de tout ou partie de ses biens ou droits au profit d'une autre personne ; une opération juridique ne présente donc pas le caractère de donation si son auteur, même mu par une pensée de pure bienveillance et agissant pour l'avantage exclusif d'autrui, ne se dépouille volontairement, par là, d'aucune portion de son patrimoine ». 

Cette décision doit en tout cas inviter les parties à prendre la précaution de constater par écrit ou du moins d’invoquer une convention de prêt à usage entre les parents propriétaires et l'enfant occupant afin d’éviter toute confusion entre la volonté de conférer un droit à l’usage de la chose et celle d’en transférer un droit de propriété, entre la volonté de rendre service gracieusement et celle de s’appauvrir volontairement. 

Civ. 1re , 11 oct. 2017, n° 16-21.419

Références

■ Civ. 1re, 8 nov. 2005, n° 03-13.890 P : D. 2006. 2066, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel.

■ Civ. 1re, 18 janv. 2012, n° 09-72.542 ; n° 10-25.685 ; n° 10-27.325 ; n° 11-12.863 D. 2012. 283 ; ibid. 2476, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2012. 234, obs. A. Bonnet ; RTD civ. 2012. 353, obs. M. Grimaldi.

 

Auteur :M. H.

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