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Droit de la responsabilité civile
Prêt à usage et perte de la chose prêtée : la présomption de responsabilité de l’emprunteur écartée en cas d’usage commun du bien prêté
Dans le cadre d’un prêt à usage, lorsque le prêteur se réserve contractuellement l'usage du bien prêté en commun avec l'emprunteur, ce dernier ne peut être présumé responsable du sinistre ayant détruit le bien et n'est donc pas tenu de prouver son absence de faute ou l’existence d'un cas fortuit.
Par la conclusion d’une convention qualifiée par les parties de « bail emphytéotique », une commune avait mis à la disposition d’une association un ensemble immobilier. Détruit à la suite d'un incendie survenu au sein du bâtiment objet du bail, l’assureur de la commune avait indemnisé celle-ci ; subrogé dans ses droits, il avait ensuite, à ce titre, assigné en remboursement l’assureur de l'association.
Sa demande fut accueillie en appel. Après avoir requalifié la convention litigieuse de prêt à usage, les juges du fond retinrent que « faute d'établir que la commune usait du droit que lui reconnaissait la convention d'accéder et d'user des constructions, et donc qu’elle occupait effectivement le bien prêté », l’association (emprunteuse) ne pouvait donc « se dégager de sa responsabilité qu’en prouvant qu’elle-même n’avait commis aucune faute ou qu’il s’agissait d’un cas fortuit ».
Statuant sur le pourvoi formé par l’assureur de l’association, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel au visa des articles 1315, devenu 1353, 1875 et 1880 du Code civil, aux termes d’une motivation qu’on sait nouvellement enrichie (v. nouvelle méthode de rédaction depuis 2018) et qui se révèle, en l’espèce, exposée de manière particulièrement pédagogique.
Elle commence par rappeler la définition du prêt à usage telle qu’elle est énoncée par le deuxième des textes susvisés, qui qualifie comme tel le contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s'en être servi.
Elle poursuit en apportant plusieurs précisions relatives au régime de ce contrat spécial : d’une part, concernant les obligations de l’emprunteur, elle souligne que, selon le troisième et dernier texte figurant au visa, « l'emprunteur est tenu de veiller raisonnablement à la garde et à la conservation de la chose prêtée ». Ce devoir de garde et de conservation de la chose prêtée constitue l’obligation principale incombant à l’emprunteur outre celle de restituer la chose au prêteur terme du contrat. A premières vues, le texte de l’article 1880 ne semble mettre à la charge de l’emprunteur qu’une obligation de moyens impliquant, en cas de perte ou de détérioration de la chose prêtée, la preuve d’une faute dans la garde ou la conservation du bien, cette faute devant, à s’en tenir à la lettre du texte, s’apprécier in abstracto, par référence au standard d’une personne raisonnable (comp.la faute du dépositaire, qui s’apprécie in concreto, C. civ., art. 1927). Pourtant, la Cour de cassation, procédant ici au rappel de sa propre jurisprudence, retient une présomption de faute de l’emprunteur en sorte qu’« en cas de dégradation ou de perte de la chose prêtée, l'emprunteur est tenu d'indemniser le prêteur, sauf s'il rapporte la preuve de l'absence de faute de sa part ou d'un cas fortuit (Civ. 1re, 6 févr. 1996, n° 94-13.388 ; Civ. 1re, 1er mars 2005, n° 02-17.537). Ce renversement de la charge de la preuve est généralement analysé comme une volonté de rehausser l’intensité de l’obligation mise à la charge de l’emprunteur, celle-ci devenant ainsi, plus sévèrement que le texte qui la fonde le laisse entendre, une obligation de moyens renforcée, voire de résultat atténué. Mais une autre explication, d’ailleurs plus conforme au texte, pourrait encore être avancée : quel que soit le niveau d’intensité auquel est placé l’obligation de l’emprunteur, ce dernier reste invariablement tenu de faire preuve de la diligence normalement attendue d’une personne raisonnable, « ni plus ni moins » (P. Puig, Contrats spéciaux, 8e éd., 2019, n° 764, p. 643). Simplement, la perte ou la détérioration de la chose, généralement observée au moment de la restitution, conduit assez naturellement à présumer que l’emprunteur n’a pas exécuté avec la diligence minimale mais suffisante requise son obligation de garde ou de conservation, et donc à renverser la charge de la preuve. C’est la raison pour laquelle, comme en vient à le rappeler la Haute cour pour clore sa réponse à l’énoncé du moyen dont elle justifie ainsi le bien-fondé, cette présomption est écartée lorsque l'emprunteur n'a pas l'usage exclusif de la chose prêtée (Civ. 1re, 19 mars 1975, n° 73-13.436, Civ. 1re, 29 avr. 1985, n° 84-13.286) ». En effet, la présomption de faute de l’emprunteur perd de son sens et de sa légitimité lorsque l’usage de la chose est commun au prêteur ou à l’emprunteur, le premier devant alors, conformément à la détermination classique de la charge de la preuve, établir la faute du second. Et la Haute juridiction d’en conclure qu’en jugeant que l’association emprunteuse ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité qu'en démontrant son absence de faute ou l’existence d'un cas fortuit, « (…), alors qu'elle avait constaté que la commune s'était contractuellement réservé l'usage du bien prêté en commun avec l'association, de sorte que cette dernière ne pouvait être présumée responsable du sinistre survenu et n'était donc pas tenue de prouver qu'elle n'avait pas commis de faute ou la survenue d'un cas fortuit, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».
Il convient de souligner que la décision rapportée apporte une précision quant au dernier rappel opéré : le renversement de la charge de la preuve établi en cas d’usage non exclusif de la chose prêtée demeure même lorsque cet usage commun n’est pas établi en fait, dès qu’il a été prévu par convention. En effet, les termes de la solution laissent entendre que l’effectivité de cet usage commun, qui était au cœur de la décision des juges d’appel pour faire application de la présomption de responsabilité de l'emprunteur, serait un critère indifférent ; seule sa prévision conventionnelle semble, pour la Cour de cassation, importer.
Le sinistre en l’espèce survenu invite enfin à noter que l’emprunteur supporte la charge des dommages causés à la chose dont l’origine reste inconnue, ainsi qu’il en fut jugé à propos de l’incendie d’un immeuble prêté à une association animatrice de radio dont la cause était restée inconnue et dont l’association, en sa qualité d’emprunteur, avait dû répondre alors qu’aucune faute n’avait été imputée à ses membres (Civ. 1re, 28 juin 2012, n° 11-17.629).
Civ. 1re, 20 mai 2020, n° 19-10.559
Références
■ Civ. 1re, 6 févr. 1996, n° 94-13.388 P
■ Civ. 1re, 1 mars 2005, n° 02-17.537 P
■ Civ. 1re, 19 mars 1975, n° 73-13.436 P
■ Civ. 1re, 29 avr. 1985, n° 84-13.286 P
■ Civ. 1re, 28 juin 2012, n° 11-17.629
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