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[ 28 janvier 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Prêt cautionné : des rappels utiles concernant la réduction de la clause pénale et l’adéquation des engagements aux capacités financières du débiteur et de son garant

► L'obligation de mise en garde du banquier à l'égard d'un emprunteur non averti ne porte que sur l'inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l'emprunteur et sur le risque d'endettement qui résulte de son octroi, et non sur l'opportunité ou les risques de l'opération financée ;

► L'exigence de proportionnalité auquel le banquier est tenu de se conformer à l'égard de toute caution personne physique l’oblige à vérifier, avant la conclusion du contrat, l’absence de disproportion manifeste de l’engagement, qui s'infère de la comparaison entre le montant de l'engagement litigieux et les biens et revenus de la caution, dont les parts sociales détenues par cette dernière, au jour de son engagement dans le capital de la société cautionnée, font partie ;

► Susceptible d’être exercé d’office, le pouvoir judiciaire de modération d’une clause pénale suppose toutefois d’établir un excès manifeste du montant stipulé au regard du préjudice effectivement subi.

Com. 11 déc. 2024, n° 23-15.744

Une banque avait consenti à une société deux prêts garantis par le cautionnement solidaire de la gérante de cette société. Chacun des deux contrats contenait une clause pénale stipulant le montant des indemnités forfaitaires de recouvrement. Les échéances des prêts n'ayant pas été payées à terme, la banque avait assigné en paiement la débitrice principale, ultérieurement placée en liquidation judiciaire, ainsi que sa gérante, en qualité de caution solidaire. En appel, la banque fut déboutée de ses demandes et condamnée à indemniser la débitrice pour ne l’avoir pas mise en garde contre la « fragilité », à l’origine de son endettement, de son projet. En outre, le montant des clauses pénales stipulées aux contrats de prêts fut réduit à 3 000 euros pour le premier, et à 5 000 euros pour le second, la juridiction du second degré ayant justifié cette réduction par une pluralité d’éléments liés au nombre d’échéances réglées, au montant des emprunts, aux circonstances particulières de la défaillance et de l'intérêt que l'exécution partielle du contrat a procuré à la banque. Enfin, les juges du fond ont opposé à la banque son impossibilité de se prévaloir du cautionnement solidaire, jugé disproportionné à l’égard des biens et revenus déclarés par la caution sur la fiche de renseignements. Devant la Cour de cassation, la banque reprocha à la cour d’appel de l’avoir rendue débitrice d’un devoir de mise en garde de l’emprunteur sur l’opportunité ou la « faisabilité » de l’opération litigieuse dont elle n’était pas tenue, et de l’avoir empêchée de se prévaloir d’un cautionnement prétendument disproportionné à s’en tenir, comme se sont bornés à le faire les juges du fond, au patrimoine et aux revenus renseignés par la caution sans prendre en compte, comme il convient, les parts sociales que celle-ci détient dans la société cautionnée. La banque contestait enfin la modulation des clauses pénales, opérée par des motifs insuffisants à établir le caractère manifestement excessif de leur montant par rapport au préjudice effectivement subi. Sur tous les points identifiés par le pourvoi, la chambre commerciale donne raison à son auteur : d’une part, elle juge que la banque n’a manqué à aucune de ses obligations, ni à l’égard de l’emprunteur, auquel aucun devoir d’alerte sur les risques ou l’opportunité de l’opération n’était dû, ni à l’égard de la caution, dont l’engagement était proportionné aux biens et revenus lors de la conclusion du contrat, compte tenu des parts sociales détenues par cette dernière dans la société cautionnée ; d’autre part, tout en rappelant le pouvoir du juge de modérer, même d’office, le montant manifestement excessif d’une clause pénale, la Cour souligne la limite, en l’espèce franchie par les juges du fond, tenant à la nécessité de caractériser l’excès requis pour réduire la peine stipulée en corrélation avec le préjudice effectivement subi.

■ L’engagement excessif : fondement et limite des devoirs du banquier. Recherché tant à l’égard du débiteur principal que vis-à-vis de la caution, l’ajustement des engagements nés du prêt cautionné à leurs capacités financières respectives délimite les obligations du banquier, liées à son devoir de mise en garde de l’emprunteur profane et à l’exigence de proportionnalité du cautionnement. 

Le devoir de mise en garde - La Cour de cassation rappelle que si l’obligation de mise en garde porte sur l’inadaptation du prêt proposé aux capacités financières de l’emprunteur profane et sur le risque d’endettement qui résulte de son octroi (Com. 20 juin 2006, n° 04-14.114), cette obligation ne s’étend pas aux risques inhérents à l’opération financée, ni à l’opportunité de celle-ci (pt 5). La banque n’ayant pas à s’enquérir de la viabilité de l’opération projetée par son client, il ne peut donc lui être reproché de ne pas avoir alerté ce dernier sur les risques inhérents à l’opération pour engager sa responsabilité contractuelle (C. civ., art. 1231-1). Doit être conclu de ce rappel que seul le caractère démesuré de l’engagement par rapport aux capacités financières de l’emprunteur, et le caractère excessif du risque d’’endettement qui en résulte, fonde l’obligation de mise en garde du banquier à l’égard de l’emprunteur non averti (Civ. 1re,1er juin 2016, n° 15-15.051). La banque n’est donc tenue d’un devoir d’alerte, au titre de son obligation de mise en garde, que si la vérification des capacités de remboursement du candidat à l’emprunt fait apparaître, avant la conclusion du contrat, le risque d’un emprunt excessif. Le défaut d’opportunité du projet ne peut jamais, en revanche, entrer dans le champ du devoir de mise en garde du client, même non averti, dans la mesure où la prise en compte de cet élément subjectif viendrait contredire le devoir de non-ingérence du banquier dans les affaires de son client, dont il ne doit pas orienter les choix. En outre, sur le terrain du droit des obligations, le lien de causalité entre le prêt contracté et l’absence de viabilité du projet ne pourrait être établi. Il n’appartient donc qu’au candidat à l’emprunt, fût-il non averti, d’apprécier le bien-fondé et le risque présenté par l’opération qu’il projette.

L’exigence de proportionnalité - L’exigence de proportionnalité à laquelle le banquier doit se conformer à l’égard de toute caution personne physique a pour objectif d’éviter à celle-ci de souscrire un engagement démesuré au regard de ses propres capacités financières, étant précisé que la caution peut également invoquer un défaut de mise en garde de la banque lorsque l’engagement du débiteur principal qu’elle a consenti à garantir se révèle inadapté aux capacités financières de ce dernier (C. civ., art. 2299, al. 1). Sous l’angle distinct du principe de proportionnalité, la Cour de cassation rappelle qu’à l’époque des faits litigieux, en cas de disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution, la banque ne pouvait se prévaloir de cet engagement (C. consom., anc. art. L.343-4), étant précisé que la réforme du 15 septembre 2021 a substitué à cette déchéance la réduction de l’engagement de caution (« au montant à hauteur duquel elle pouvait s’engager à cette date », v. C. civ., art. 2300). En toutes hypothèses, c’est toujours le risque d’un cautionnement excessif qui fonde l’obligation du banquier, pour prévenir ce risque, de s’assurer de la proportionnalité du cautionnement. Dans cette optique, il doit vérifier, en amont de la conclusion du contrat, l’absence de disproportion de l’engagement avec les biens et revenus de celui qui offre sa garantie. La Cour précise ici que la proportionnalité exigée du cautionnement doit être appréciée en tenant compte de l’ensemble des ressources financières de la caution, ce qui suppose de prendre en considération, au-delà des données déclarées par la caution dans la fiche de renseignements, tout élément d’actif (ou de passif) existant, tel que les parts sociales de la débitrice principale détenues par la caution (v. déjà, Com. 19 janv. 2022, n° 20-18.670). Pour être exact, le contrôle de la proportionnalité de l’engagement suppose donc d’apprécier globalement le patrimoine de la caution, la fiche de renseignements ne pouvant prétendre à l’exhaustivité. Imprécise, la mesure de l’excès reproché à la banque par la cour d’appel pour juger disproportionné le cautionnement dont il se prévalait s’appuyait sur les seules données de la fiche de renseignements remplie par la caution. La banque a pu néanmoins démontrer les lacunes de cette fiche, qui devait être complétée par la titularité des parts du garant, lui permettant in fine d’échapper au grief de la disproportion du cautionnement.

■ L’engagement excessif : fondement et limite des pouvoirs du juge. Clause par laquelle le contractant s’engage par avance au paiement d’une somme forfaitaire, à titre de dommages et intérêts, en cas d’inexécution du contrat, la clause pénale est susceptible de révision, notamment à la baisse. Par dérogation au principe de non-immixtion du juge dans le contrat, le pouvoir du juge de modérer le montant de la clause pénale est en effet admis depuis longtemps. Cette réduction ne peut toutefois être opérée qu’à la condition que le montant de la clause fasse apparaître un excès manifeste (C. civ., art. 1231-5, al. 2 : le juge peut, même d'office, modérer une clause pénale contractuelle si elle est manifestement excessive). 

Le pouvoir reconnu au juge dans le cadre de cette modulation est remarquable : ce dernier peut non seulement l’exercer d’office, mais également dans la proportion qu’il juge nécessaire. Des limites y sont toutefois apportées : ainsi le juge ne peut-il fixer le montant de la clause pénale en-deçà ou au-delà du préjudice réellement subi (Com. 11 févr. 1997, n° 95-10.851). À ce titre, la Cour de cassation exerce un contrôle de la motivation exigée des juges du fond pour aboutir à cette modulation, en sorte de vérifier l’adéquation de la réduction opérée au préjudice effectivement éprouvé. Dans cette perspective, elle précise ici que pour réduire le montant d’une clause pénale stipulée dans un contrat de prêt, le juge doit motiver de manière précise en quoi la peine stipulée est manifestement excessive par rapport au préjudice réellement subi. Insuffisante à établir l’excès nécessaire pour diminuer le montant des clauses litigieuses, la motivation des juges du fond conduit en l’espèce à la cassation de leur décision pour défaut de base légale, ce qui ne préjuge en rien, cependant, du devenir de ces stipulations devant la cour d’appel de renvoi. En effet, il n’est pas à exclure que cette dernière aboutisse au même résultat que l’arrêt cassé à la condition de motiver autrement sa décision.

Références :

■ Com. 20 juin 2006, n° 04-14.114 : D. 2006. 1887, obs. X. Delpech ; RDI 2007. 140, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD com. 2006. 645, obs. D. Legeais

■ Civ. 1re, 1er juin 2016, n° 15-15.051 : D. 2016. 1252 ; AJDI 2016. 695, obs. F. Cohet

■ Com. 19 janv. 2022, n° 20-18.670 

■ Com. 11 févr. 1997, n° 95-10.851 : D. 1997. 71 ; RTD civ. 1997. 654, obs. J. Mestre

 

Auteur :Merryl Hervieu


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