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Droit de la consommation
Prêteur professionnel : une responsabilité atténuée en cas de torts partagés avec l’emprunteur
Si la faute du prêteur lors de la remise des fonds dans le cadre d’un crédit affecté est en principe de nature à le priver de sa créance de restitution du capital versé, celle commise par l’emprunteur, justifiant un partage de responsabilité, suppose que ce dernier soit tenu au remboursement du capital prêté sous déduction de la somme devant lui être versée, à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice.
L’ampleur des obligations incombant au prêteur professionnel multiplie les cas d’engagement de sa responsabilité dont la jurisprudence, abondante en cette matière, se fait si souvent l’écho que la décision rapportée, qui par une tempérance inhabituelle à son endroit, admet de l’atténuer en raison de la faute commise par l’emprunteur, appelle quelques observations.
En l’espèce, après que son offre eut été acceptée, une banque avait consenti à un couple d’emprunteurs un prêt de 18 500 € destiné à financer l’achat et la pose de panneaux photovoltaïques sur leur maison par une société. Invoquant l’absence de raccordement de l’installation, les emprunteurs avaient alors assigné la société venderesse ainsi que la banque en résolution des contrats et en réparation de leur préjudice.
La cour d’appel condamna à la fois le prêteur et les emprunteurs ; le premier à verser la somme de 9 000 € à titre de dommages-intérêts, les seconds au remboursement du capital emprunté. Au soutien de leur pourvoi en cassation, le couple d’emprunteurs invoquait la règle selon laquelle dans un contrat de crédit affecté tel que celui auquel ils avaient consenti, le prêteur qui commet une faute lors de la libération des fonds ne peut prétendre au remboursement du capital prêté en sorte que la cour d’appel aurait dû déduire de la faute commise par leur banque, qui avait libéré des fonds sans qu’aucun contrat ne fût encore signé, l’impossibilité pour elle d’obtenir le remboursement du capital ainsi prêté.
Mais la Cour régulatrice rejette leur pourvoi. Sa motivation est dense : elle considère tout d’abord que la cour d’appel, « (a)près avoir constaté la livraison des panneaux photovoltaïques mais l’absence de démarches en vue de leur raccordement au réseau, et prononcé en conséquence la résolution du contrat de vente et celle du crédit affecté, ainsi que la déchéance du droit aux intérêts, (…) relève (…) que la banque a libéré les fonds sans s’assurer que les emprunteurs avaient régularisé le contrat principal, lequel a été conclu le 24 octobre 2013, postérieurement au certificat de livraison signé le 6 août 2013 par M. L. et le 9 octobre suivant par son épouse, et qu’elle a ainsi engagé sa responsabilité ». Elle observe ensuite que l’arrêt d’appel retint que « les emprunteurs ont eux-mêmes fait preuve de légèreté en acceptant la mise en œuvre à leur domicile de l’installation, avant même la signature du contrat de vente, et en certifiant, d’une part, l’exécution d’un contrat en réalité inexistant, d’autre part, l’exécution d’une prestation en vérité inachevée ». La Haute cour juge enfin qu’« (a)yant ainsi déduit de ces constatations que les parties avaient chacune commis une faute, la cour d’appel a pu décider que les emprunteurs étaient tenus de rembourser le capital prêté, sous déduction de la somme de 9 000 € dont elle a souverainement estimé qu’elle réparerait le préjudice subi par eux du fait de la faute de la banque ».
Le moyen n’était donc pas fondé. Pourtant, l’article L. 312-48, alinéa 1er (anc. art. L. 311-31) du Code de la consommation prévoit que « Les obligations de l’emprunteur ne prennent effet qu’à compter de la livraison du bien ou de la fourniture de la prestation », ce qui revient à faire peser sur le prêteur professionnel l’obligation de vérifier non seulement l’existence, mais également la bonne exécution du contrat principal pour le financement duquel il accorde son prêt (v. notam., Civ. 1re , 13 nov. 2014, n° 13-26.313 ; Civ. 1re , 10 sept. 2015, n° 14-13.658), qualifié de « crédit affecté », lequel se définit par son but consistant « exclusivement à financer un contrat relatif à la fourniture de biens particuliers ou la prestation de services particuliers » (C. consom., art. L. 111-1, 11°), et se caractérise par l’interdépendance existant entre le contrat principal (de vente ou de fourniture de services) et le contrat accessoire de financement (Civ. 1re , 10 sept. 2015, préc.).
Les obligations de l'emprunteur ne prenant effet qu'à compter de l'exécution de la convention principale, le prêteur qui délivre les fonds sans s'assurer de l’existence et de l’exécution préalable du contrat financé commet une faute qui le prive du droit qui devrait, nonobstant la résolution contractuelle, demeurer inchangé : celui de réclamer le remboursement des sommes prêtées à l’emprunteur.
La jurisprudence considère en effet qu’à la condition qu’elle ait effectivement causé un préjudice à l’emprunteur (Civ. 1re, 22 mai 2019, n° 18-16.150), la faute commise par le prêteur lors du déblocage des fonds le prive de cette conséquence normalement attachée à l’anéantissement du crédit (Civ. 1re, 16 janv. 2013, n° 12-13.022). Du point de vue de la responsabilité civile, la sanction de la faute est originale en ce qu’elle revient à indemniser la victime en la déchargeant de sa dette. Elle conduit également à ce que soit déterminé à l’avance le montant du préjudice subi par la victime, équivalent à la créance de restitution du capital versé.
En l’espèce, la faute de la banque était caractérisée, n’ayant même pas réalisé le contrôle a minima qu’il est légitime d’attendre d’un organisme dispensateur d’un crédit affecté, qui est de vérifier en priorité qu’un contrat principal à financer existe bel et bien N’ayant été en possession d’aucune justification de ce contrat principal, la banque ne s’était pas davantage assurée lors de la demande de remise des fonds qu’à cette date, un contrat principal avait bien été régularisé ce qui, de toute évidence, n’avait pas été le cas puisque les deux contrats acceptés par les emprunteurs l’avaient été postérieurement au certificat de livraison signé par les intéressés. Or un tel contrôle aurait nécessairement conduit la banque à s’interroger sur la réalité des engagements souscrits par les époux et l’effectivité de leur exécution qui conditionnait la libération des fonds. En somme, il allait de soi que la banque, ayant singulièrement failli à ses obligations, engageait sa responsabilité envers le couple d’emprunteurs.
Mais même ainsi caractérisée, la responsabilité du prêteur n’évince pas celle susceptible d’être engagée par l’emprunteur qui, par sa faute d’imprudence ou de négligence, s’expose à un partage de responsabilité. Tel est l’enseignement essentiel de la décision rapportée.
Or en l’espèce, le couple emprunteur avait imprudemment accepté l’installation d’un bien qu’il n’avait pas encore acquis et certifié, comme par anticipation de sa conclusion, l’exécution d’un contrat inexistant… Aussi patente que celle commise par leur banque, la faute des emprunteurs devait conduire à condamner ces derniers à restituer partiellement le capital versé, après déduction faite des dommages et intérêts qui devaient leur être versés.
Moralité, il n’y pas qu’en matière de divorce que les torts peuvent être partagés ! On aime toutefois à penser que l’équivalence ici révélée entre crédit affecté et affection altérée ne trouvera pas d’autres illustrations.
Civ. 1re, 20 mai 2020, n° 18-23.529
Références
■ Civ. 1re , 13 nov. 2014, n° 13-26.313
■ Civ. 1re, 10 sept. 2015, n° 14-13.658 P : D. 2015. 1837, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2016. 566, obs. M. Mekki ; AJCA 2015. 469, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2016. 111, obs. H. Barbier ; RTD com. 2015. 723, obs. D. Legeais
■ Civ. 1re, 22 mai 2019, n° 18-16.150 P : D. 2019. 1165
■ Civ. 1re, 16 janv. 2013, n° 12-13.022 P : D. 2013. 978, obs. V. Avena-Robardet, note G. Poissonnier ; RTD com. 2013. 572, obs. D. Legeais ; ibid. 2014. 377, obs. D. Legeais
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