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[ 4 février 2022 ] Imprimer

Droit des personnes

Preuve de la minorité par radiologie des os : le doute profite à l’intéressé

Lorsque seuls les examens radiologiques osseux concluent à la majorité de l'intéressé, le juge doit, au regard des autres éléments recueillis, faire profiter le doute au mineur isolé, dont la minorité doit en conséquence être actée.

Civ. 1re, 12 janv. 2022, n° 20-17.343

Telle est la solution rendue le 12 janvier dernier par la Cour de cassation, après avoir rappelé qu’il résulte de l'article 388, alinéa 3, du code civil, que les conclusions des examens radiologiques osseux pratiqués aux fins de détermination de l'âge d'un individu, en l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur, le doute profitant à celui-ci. Elle casse en conséquence l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris qui, pour dire que le prétendu mineur isolé ne remplissait pas la condition de minorité nécessaire à sa prise en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), avait retenu que bien que les documents d'état civil produits constituaient « un indice de minorité » et que l'évaluation réalisée en octobre 2018 indiquait que « la posture d'ensemble laissait plutôt à penser » que l’adolescent était âgé de 16-17 ans, ces éléments étaient contredits par les examens radiologiques osseux, réalisés le 2 janvier 2019, qui avaient autrement conclu à une fourchette d'âge comprise entre 18 et 20 ans, en toute hypothèse incompatible avec l'âge allégué de 14 ans et 11 mois. Selon la Haute juridiction, les premiers éléments recueillis auraient néanmoins dû conduire la cour à faire prévaloir le doute en résultant sur l’âge de l’intéressé en faveur de ce dernier.

Concernant la vérification de la minorité d’un demandeur, l’autorité judiciaire a une compétence exclusive pour ordonner des expertises médicales permettant de déterminer son âge exact (C. civ., art. 388, al.2), notamment dans le cas où ce dernier demande à obtenir le statut de mineur non accompagné, qui dépend du non-dépassement du seuil d’âge légal fixé pour atteindre la majorité à 18 ans. La minorité de ces ressortissants étrangers, séparés de leurs représentants légaux sur le territoire français, est en effet une condition indispensable à l’aménagement à leur profit des règles relatives au séjour des étrangers et, corrélativement, à leur prise en charge par l’aide sociale à l’enfance au titre de la minorité.

Déterminante du bénéfice de la protection que la loi confère à ces ressortissants, cette règle de la minorité est en pratique assez peu respectée en raison de plusieurs éléments, juridiques et factuels, dont la conjonction facilite l’affranchissement : le manque de fiabilité, régulièrement observé, des documents d’identité présentés au juge ; la présomption de régularité attachée par l’article 47 du code civil aux actes d’état civil des enfants nés à l’étranger et partant, la véracité présumée de la date de naissance indiquée dans les documents, même douteux, fournis par le demandeur ; la difficulté de renverser cette présomption, lorsque certains éléments contredisent la régularité de ces actes, par des éléments contraires qui permettraient d’établir, avec certitude, la minorité du demandeur. Pour pallier ces difficultés, l’article 388 alinéa 2 du code civil reconnaît alors au juge, lorsqu’il n’existe pas de documents d'identité valables et que l'âge allégué par le mineur n'est pas vraisemblable, la faculté d’ordonner des examens radiologiques osseux, technique médicale couramment utilisée pour déterminer l’âge de celui qui consent à s’y soumettre (sur la nécessité du consentement, v. art. 388, al. 2). Connues pour leur relative fiabilité, les conclusions de ces expertises, lorsqu’elles auront été ordonnées, ne peuvent néanmoins à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur. Contrairement à ce qu’avait jugé la cour d’appel, la seule radiologie des os ne pouvait suffire à conclure à la majorité du prétendu mineur pour refuser son placement à l’ASE. Confrontés à des indices contraires, concordants à rendre possible la minorité alléguée, ces résultats ne permettaient pas au juge d’exclure, à ce seul motif, la minorité du jeune étranger et de lui refuser toute mesure d’assistance éducative. En effet, la loi prévoit qu’en cas de doute persistant à l’issue de son examen radiologique, le mineur prétendu devra être considéré comme n’ayant pas encore atteint l’âge de la majorité (art. 388, al. 3). Tel est le rappel auquel procède l’arrêt rapporté, soulignant l’importance du contrôle judiciaire de la vraisemblance de l’âge allégué par le demandeur. Ainsi avait-il déjà été jugé que la majorité de l’intéressé ne pouvait être déduite du seul résultat de l’examen radiologique (Civ. 1re, 3 oct. 2018, n° 18-19.442 : d’autres éléments versés confortant ce résultat), l'autorité judiciaire devant apprécier son âge en tenant compte d’autres éléments susceptibles d’être recueillis (évaluation sociale, entretiens réalisés par les services de la protection de l'enfance) et dont l’éventuelle contradiction avec les conclusions des examens radiologiques, par essence incertaines, devra se résoudre en faveur de l’intéressé, dont la minorité sera ainsi actée.

On rappellera enfin que le Conseil constitutionnel a récemment prévu d’entourer cet examen radiologique de multiples garanties prévues au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant (Cons. const. 21 mars 2019, n° 2018-768 QPC), parmi lesquelles « le principe selon lequel le doute profite à l’intéressé, édicté à l’article 388 du code civil », qui « constitue une garantie permettant de tenir compte de l'existence de la marge d'erreur entourant les conclusions des examens radiologiques ». Cette règle de faveur s’inscrit dans une politique plus large de protection des mineurs non accompagnés sur le territoire national, justifiant que le doute relatif à la détermination de leur âge exact leur profite afin qu’ils ne soient pas injustement considérés comme majeurs).

Références : 

■ Civ. 1re, 3 oct. 2018, n° 18-19.442DAE, 26 oct. 2018, note Merryl HervieuAJDA 2018. 1936 ; D. 2018. 1911 ; ibid. 2019. 1732, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2018. 676, obs. L. Gebler ; RTD civ. 2019. 77, obs. A.-M. Leroyer

■ Cons. const. 21 mars 2019, n° 2018-768 QPCDAE, 8 juill. 2019, note Christelle de Gaudemont, AJDA 2019. 662 ; ibid. 1448, note T. Escach-Dubourg ; D. 2019. 742, et les obs., note P. Parinet ; ibid. 709, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 1732, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2020. 1324, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ fam. 2019. 222, obs. A. Bouix ; RDSS 2019. 453, note A.-B. Caire ; Constitutions 2019. 152, Décision

 

Auteur :Merryl Hervieu


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