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Preuve de la nationalité française par filiation : rôle de la possession d’état des ascendants
Une cour d'appel, qui constate qu'un ascendant du demandeur à une action déclaratoire de la nationalité française avait résidé en France pendant plusieurs années, en déduit exactement, abstraction faite du motif erroné mais surabondant tiré de la naissance du père du demandeur après la date de l'accession à l'indépendance de l'Algérie, que la condition de résidence à l'étranger de l'un des ascendants dont il tiendrait la nationalité française pendant la période de cinquante ans prévue par l'article 30-3 du Code civil n'était pas remplie, de sorte qu'il était recevable à rapporter la preuve de sa nationalité française par filiation.
Civ. 1re, 17 mai 2023, n° 21-50.068 B
Connue pour être un mode de preuve de la filiation, la possession d’état l’est moins comme mode de preuve de la nationalité française. Pourtant, la loi reconnaît à celui qui s’est considéré comme français et d’avoir été traité comme tel par les autorités publiques sa possession d’état de français à l’effet d’obtenir la nationalité française. Rappelons que la possession d’état se définit comme le fait, pour un individu, de se comporter comme ayant un état et d’être considéré comme l’ayant, même si en droit, il ne l’a pas. C’est sur le fondement de cet état de fait que le ressortissant d’une nationalité est en droit de réclamer la nationalité correspondante. Ainsi peut réclamer la nationalité française celui qui a joui, de façon constante, de la possession d’état de Français pendant les dix années précédant leur déclaration (C. civ., art. 21-13). Outre la possession d’état du demandeur, la loi reconnaît un rôle à celle détenue par ses ascendants pour établir la preuve de sa nationalité française. Pour lui faire produire effet, le demandeur doit toutefois justifier, à la fois pour lui-même et pour ses ascendants, d’éléments suffisants pour caractériser sa possession d’état de français. L'article 30-3 du Code civil dispose en effet que celui qui réside ou a résidé habituellement à l'étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d'un demi-siècle, n'est pas admis à faire la preuve qu'il a, par filiation, la nationalité française « si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n'ont pas eu la possession d'état de Français ». Dans ce cas, le tribunal doit constater la perte de la nationalité française (C. civ., art. 30-3, al. 2), dans les termes de l’article 23-6 du Code civil. Ainsi l’article 30-3 interdit-il, dès lors que les conditions qu’il pose sont réunies, de rapporter la preuve de la transmission de la nationalité française par filiation, en rendant irréfragable la présomption de perte de celle-ci par désuétude. En outre, édictant une règle de preuve, l’obstacle qu’il met à l’administration de celle-ci ne constitue pas une fin de non-recevoir au sens de l’article 122 du Code de procédure civile, de sorte qu’aucune régularisation sur le fondement de l’article 126 du même code ne peut intervenir. Dit autrement, la recevabilité de la preuve de la nationalité française par filiation suppose que la possession d’état de Français puisse être constatée à la fois du côté du demandeur et de celui de l’ascendant dont il dit tenir, par filiation. A défaut, la nationalité étant irréfragablement perdue par désuétude, l’intéressé n’est plus admis à rapporter la preuve de sa nationalité par filiation (Civ. 1re, 13 juin 2019, n° 18-16.838). Aussi la recevabilité de cette preuve suppose-t-elle de définir, au préalable, le cercle des ascendants dont le demandeur est admis à revendiquer la nationalité, par filiation. L’arrêt rapporté apporte à ce sujet des précisions utiles.
En l’espèce, une femme née le 17 juin 1992 en Algérie, à laquelle un certificat de nationalité française avait été refusé, a engagé une action déclaratoire de nationalité en soutenant être la descendante, par filiation paternelle, d'un admis à la qualité de citoyen français. Après que la cour d’appel de Paris l’a déclaré recevable à rapporter la preuve de sa nationalité française, le ministère public invoqua devant la Cour de cassation la désuétude prévue par l'article 30-3 du Code civil. Dans cette perspective, il rappela que cet article ne concerne pas spécifiquement la situation des transferts de souveraineté, mais s'applique à tout individu dont les ascendants se sont établis hors de France pendant un délai de plus de cinquante ans (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 17-14.239). Il reprochait alors à la cour d'appel d’avoir considéré que le père de la demanderesse étant né après l’accession à l’indépendance de l’Algérie, la condition d'absence de résidence en France pendant le délai cinquantenaire s'appréciait également à l'égard de la grand-mère paternelle de l'intéressée. Selon le ministère public, la condition de fixation des ascendants à l'étranger pendant plus d'un demi-siècle aurait dû être appréciée à l'égard du seul père de la demanderesse, né en Algérie où il est demeuré fixé. Refusant de restreindre ainsi le cercle des ascendants du demandeur à une action déclaratoire de la nationalité française, la Cour de cassation approuve l’analyse de la cour d’appel qui, après avoir relevé que la grand-mère paternelle de la demanderesse avait résidé en France pendant plusieurs années à partir de l'année 2005 et obtenu sur le territoire français, antérieurement à l'expiration des cinquante années suivant l'accession de l'Algérie à l'indépendance, la délivrance d'un certificat de nationalité française auprès du tribunal d'instance du lieu de son domicile, l'émission d'une carte « Vitale » et deux abonnements relatifs à l'utilisation des transports en commun, a exactement déduit de ces seules constatations, abstraction faite du motif erroné mais surabondant tiré de la naissance du père de l'intéressée postérieurement au 3 juillet 1962, que la condition de résidence à l'étranger de l'un des ascendants dont elle tiendrait la nationalité française pendant la période de cinquante ans prévue par l'article 30-3 du Code civil n'était pas remplie, de sorte que la demanderesse était recevable à rapporter la preuve de sa nationalité française par filiation.
Références :
■ Civ. 1re, 13 juin 2019, n° 18-16.838 P : D. 2019. 1283 ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; Rev. crit. DIP 2019. 949, note P. Lagarde.
■ Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 17-14.239 P : D. 2019. 347, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; Rev. crit. DIP 2018. 801, note E. Ralser ; ibid. 2019. 949, note P. Lagarde.
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