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[ 17 juin 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Preuve du formalisme informatif du bordereau de rétractation : la Cour de cassation poursuit sa politique de rigueur

La charge de la preuve de la remise effective du bordereau de rétractation incombe au prêteur. La signature par l'emprunteur de l'offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu'il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires. Le document de financement émanant de la seule banque ne peut utilement corroborer la clause type de l'offre de prêt.

Civ. 1re, 28 mai 2025, n° 24-14.679

Au croisement du droit de la preuve et de l’obligation d’information précontractuelle, la solution rapportée permet de rappeler aux établissements bancaires l’exigence des règles protectrices de l’emprunteur concernant le formalisme informatif du bordereau de rétractation dans le cadre des contrats de crédit à la consommation. Confirmant que la seule remise du bordereau est insuffisante pour démontrer que la banque a exécuté son obligation d’information, la première chambre civile précise en outre, pour la première fois, que le dossier de financement ne peut pas corroborer l’offre de crédit dès lors que ce document émane du seul établissement bancaire. 

Au cas d’espèce, une banque avait consenti à un couple un crédit à la consommation destiné à financer l’acquisition d’une pompe à chaleur. À raison de la défaillance des emprunteurs, la banque créancière avait prononcé la déchéance du terme, puis les avait assignés en paiement. Soutenant avoir été privés, par manque d’information, de la possibilité de se rétracter, les emprunteurs avaient opposé à la banque, sur le fondement de l’article L. 312-21 du Code de la consommation concernant le formulaire détachable de rétractation, la déchéance de son droit aux intérêts. En cause d’appel, leur demande de déchéance fut écartée au motif que la banque prouvait avoir exécuté son obligation d’information. Les juges du fond ont en ce sens estimé que la clause par laquelle les emprunteurs ont reconnu avoir reçu une offre préalable, dotée d'un formulaire détachable de rétractation, était corroborée par la « liasse contractuelle » relative au financement du crédit en cause ; ce dossier de financement, conservé par la banque et versé aux débats, suffisait à démontrer la bonne exécution de ses obligations. Accueillant le moyen du pourvoi fondé sur l’insuffisance de ce document, la Cour de cassation censure la décision des juges du fond au visa des articles L. 312-21 et L. 341-4 du Code de la consommation. Après avoir rappelé qu’en application de ces dispositions, la charge de la preuve de l’accomplissement de l’obligation de remise d’un bordereau de rétractation, conforme aux dispositions légales, pèse sur le professionnel, elle confirme que la clause type de l'offre de crédit visant à faire reconnaître par les emprunteurs la remise effective du bordereau ne constitue qu’un commencement de preuve de l’exécution de cette obligation, qui doit être corroboré par des éléments complémentaires extrinsèques et non pas, comme en l’espèce, par un seul document émanant de la banque. 

En matière de crédit à la consommation, la protection des consommateurs a justifié l’octroi d’un droit de repentir en faveur des emprunteurs. L’article L. 312-19 du Code de la consommation offre ainsi à l’emprunteur la possibilité de se rétracter dans un délai de 14 jours à compter du jour de l’acceptation de l’offre de contrat de crédit, comprenant les informations prévues à l’art. L. 312-28 du même Code. Pour faciliter l’exercice de ce droit de rétractation, à l’exemplaire du contrat de crédit doit être joint un formulaire détachable (C. consom., art. L. 312-21), sous peine de déchéance du prêteur de son droit aux intérêts (C. consom., art. L. 341-4). 

S’il est acquis que la charge de la preuve du formalisme informatif afférent au bordereau de rétractation incombe au professionnel, la question de l’administration de cette preuve est plus incertaine. Par faveur pour les prêteurs, Il fut d’abord admis que « la reconnaissance écrite, par l’emprunteur, dans le corps de l’offre préalable, de la remise d’un bordereau de rétractation détachable joint à cette offre laisse présumer la remise effective de celui-ci, mais aussi la conformité de ce dernier aux exigences légales et réglementaires » (Civ. 1re, 16 janv. 2013, n° 12-14.122). Cette solution présentait toutefois plusieurs inconvénients : affaiblissant par son mécanisme présomptif la protection des consommateurs, elle se trouvait en outre rendue au mépris des règles relatives à la charge de la preuve de l’obligation d’information qui, de manière générale, pèse sur son débiteur. En effet, se satisfaire d’une telle clause type revenait à admettre que le prêteur avait, par cette seule stipulation, valablement rempli ses obligations, entraînant ainsi un renversement de la charge de la preuve de leur exécution. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation abandonna cette solution par un revirement de jurisprudence opéré le 21 octobre 2020, dont elle renouvelle ici le principe (Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 19-18.971, pt n°7) : la signature par l'emprunteur de l'offre préalable de crédit comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur, qui doit rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations, lui a remis le bordereau de rétractation, constitue seulement un indice qu'il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires. Réaffirmée, la position de la Cour est catégorique. Cette stipulation ne peut servir que de commencement de preuve, à compléter par des éléments suffisamment probants pour démontrer la bonne exécution par la banque de son obligation précontractuelle d’informer les emprunteurs de leur droit de se rétracter. La Cour confirme également sa jurisprudence postérieure au revirement, qui lui avait permis d’ajouter qu’un document émanant de la banque seule ne peut utilement corroborer la clause type de l'offre de prêt (Civ. 1re, 7 juin 2023, n° 22-15.552 ; pt n°7). Dans le prolongement de cette jurisprudence, la première chambre civile vient alors utilement préciser que le dossier de financement, naturellement conçu comme un document émanant de la banque, n’est donc pas de nature à corroborer la clause type de l’offre de crédit. Alors que les juges du fond s’étaient satisfaits de la complétude du document (« le dossier de financement complet comprend les deux exemplaires préremplis de l’offre de crédit à laquelle est joint un bordereau de rétractation », pt n°8), les Hauts magistrats se montrent autrement plus exigeants : la liasse contractuelle, en tant que document émanant de la banque, ne peut être l’élément corroborant la clause type de l’offre de crédit indiquant que l’emprunteur a bien reçu le bordereau de rétractation. Simple indice, cette stipulation ne permet pas, à elle seule, de démontrer la complétude de l’information délivrée, si bien que cette démonstration doit s’appuyer sur des éléments disposant d’une force probante suffisante pour compléter ce début de preuve. L’on songe en particulier à la rédaction d’une fiche d’information individualisée, signée et paraphée par le consommateur sur chaque page. L’état du droit positif ne peut en effet qu’inviter les établissements bancaires à se ménager un tel document, commun aux parties, afin d’éviter toute difficulté. En toutes hypothèses, il convient de retenir que le dossier de financement, aussi complet soit-il, est dépourvu de force probante. Soulignons sur ce dernier point que la règle invoquée par le pourvoi selon laquelle « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même », cantonnée aux seuls actes juridiques (v. Com. 26 juin 2024, n° 22-24.487), ne pouvait pertinemment fonder la solution ici rendue à propos de la preuve d’un fait juridique (l’exécution d’une obligation précontractuelle d’information). Sur le seul terrain de la force probante des documents à produire, la Cour de cassation poursuit la politique de rigueur engagée par sa jurisprudence antérieure pour disqualifier, avec une sévérité devenue coutumière, le document de financement en l’espèce produit par la banque. 

La protection du consommateur justifie sans doute le renforcement de la contrainte probatoire de son créancier.

Références :

■ Civ. 1re, 16 janv. 2013, n° 12-14.122 : D. 2013. 1329, obs. V. Avena-Robardet, note G. Poissonnier ; ibid. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 2420, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RDP 2013, n° 04, p. 86, obs. E. Bazin ; RTD civ. 2013. 378, obs. H. Barbier

■ Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 19-18.971 : D. 2021. 63, note G. Lardeux ; ibid. 1890, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. V. Valette-Ercole ; RTD com. 2020. 932, obs. D. Legeais

■ Civ. 1re, 7 juin 2023, n° 22-15.552 : D. 2023. 1632, note J. Lasserre Capdeville ; RTD civ. 2023. 709, obs. J. Klein ; RTD com. 2023. 708, obs. D. Legeais

■ Com. 26 juin 2024, n° 22-24.487 D. 2025. 602, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; RTD civ. 2024. 711, obs. J. Klein

 

Auteur :Merryl Hervieu


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