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Droit de la responsabilité civile
Preuve du lien de causalité entre la défectuosité du produit et le dommage: renvoi devant la CJUE
Mots-clefs : Responsabilité du fait des produits défectueux, Vaccin, Hépatite, Preuve, Question préjudicielle
Par un arrêt du 12 novembre 2015, la Cour de cassation a renvoyé devant la CJUE une question préjudicielle concernant la responsabilité des produits défectueux, et plus précisément sur les modes de preuves du lien de causalité entre la défectuosité du produit et le dommage.
En l’espèce, un homme après s’être fait vacciné contre l’hépatite B, contracte la sclérose en plaque. Il assigne le fabricant du vaccin sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil. Ces articles transposent la directive européenne 85/374/CEE mettant en place une responsabilité du producteur du produit défectueux.
Les juges du fonds rejettent les prétentions du malade en jugeant que la concomitance entre l’administration du vaccin et l’apparition des symptômes ne suffisaient pas à faire présumer le lien de causalité entre la défectuosité du produit et le dommage causé. Les juges du fonds relèvent également l’absence de consensus scientifique permettant de caractériser la présence de présomptions graves, précises et concordantes du lien de causalité.
La question qui se pose alors à la Cour de cassation est de savoir si le lien de causalité peut être prouvé au moyen de présomptions tirées de faits, telles que le bref délai entre l’administration du vaccin et la maladie ou si au contraire, le lien de causalité doit être scientifique.
La Cour de cassation décide de surseoir à statuer et de demander à la CJUE si un tel mode de preuve, fondé sur des faits, précis, graves et concordants, n’était pas contraire à la directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux. En cas de réponse affirmative, le lien doit-il alors être apporté par une preuve scientifique ?
Si la réponse de la CJUE à la première question est négative, elle confirmera la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation qui permet d’assouplir la difficile preuve du lien de causalité, encore faut-il que les éléments de preuve admis le soit également pour la CJUE. Autrement dit, il faudra déterminer quelles présomptions pourront être admises.
Si au contraire la CJUE décide que le lien de causalité doit être prouvé par une preuve scientifique, les solutions traditionnelles seront amenées à changer. Cette solution sera plus rigoureuse concernant l’admission des moyens de preuves à la charge de la victime.
La responsabilité du fait des produits défectueux est une responsabilité de plein droit (C. civ., art. 1386-11), applicable au traitement médical puisque tous biens meubles est considéré comme étant un produit (C. civ., art. 1386-3). Cependant, la victime doit apporter la preuve de la défectuosité du produit, le dommage qu’elle a subit et le lien de causalité entre les deux (C. civ., art. 1386-9).
La Cour de cassation a, dans un premier temps, exigé la preuve scientifique du lien de causalité (Civ. 1re, 23 sept. 2003, n° 01-13.063), puis elle a assoupli sa solution en admettant la preuve du lien de causalité lorsque les éléments scientifiques le rendait vraisemblable et qu’aucune autre cause de la maladie ne pouvait expliquer celle-ci (Civ. 1re, 5 avr. 2005, n° 02-11.947). Enfin, la preuve scientifique pouvant être difficile à apporter, afin de protéger les victimes et leur faciliter cette preuve, la Cour de cassation, par deux arrêts du 22 mai 2008, a jugé que la preuve du lien de causalité pouvait être apportée par des présomptions graves, précises et concordantes (Civ. 1re, 22 mai 2008, nos 05-20.317 et 06-10.967).
Ces présomptions graves, précises et concordantes peuvent relever de faits, tels que le bref délai écoulé entre l’administration du produit et l’apparition de la maladie, l’absence d’antécédents familiaux, etc… (Civ. 1re, 10 juill. 2013, n° 12-21.314).
La CJUE a, quant à elle, estimé qu’il fallait vérifier que les réglementations des États membres ne portaient pas « atteintes à la répartition de la charge de la preuve telle que prévue à cet article [l’article 4 de la directive, transposé par l’article 1386-9 du Code civil] par le législateur de l’Union » (CJUE 20 nov. 2014, Sté Novo Nordisk Pharma GmbH, n° C-310/13).
C’est pourquoi la Cour de cassation sursoit à statuer et afin de s’assurer de la conformité de sa solution avec l’interprétation de la directive par la CJUE, au moyen de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’union européenne. Cet article permet aux juridictions des États membres de poser à la CJUE une question préjudicielle relative à la compétence de cette dernière, c’est-à-dire concernant l'interprétation des traités, la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union (TFUE, art. 267).
Civ. 1re, 12 nov. 2015, n° 14-18.118
Références
■ Traité sur le fonctionnement de l’union européenne
Article 267
« La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel:
a) sur l'interprétation des traités,
b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.
Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.
Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais ».
■ Code civil
■ Civ. 1re, 23 sept. 2003, n° 01-13.063, Bull. civ. I, n° 188; D. 2004. 898, et les obs., note Y.-M. Serinet et R. Mislawski ; ibid. 2003. 2579, chron. L. Neyret ; ibid. 2004. 1344, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2004. 101, obs. P. Jourdain.
■ Civ.1re, 5 avr. 2005, n° 02-11.947, Bull. civ. I, n° 173; D. 2005. 2256, note A. Gorny ; ibid. 2006. 1929, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RDSS 2005. 498, obs. A. Laude ; RTD civ. 2005. 607, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 1re, 22 mai 2008, nos 05-20.317 et 06-10.967 , Bull. civ. I, n° 148 et n° 149; RTD civ. 2008. 492, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2009. 200, obs. B. Bouloc.
■ Civ. 1re, 10 juill. 2013, n° 12-21.314, Bull. civ. I, n° 157; D. 2013. 2311 ; ibid. 2306, avis C. Mellottée ; ibid. 2312, note P. Brun ; ibid. 2315, note J.-S. Borghetti ; ibid. 2014. 47, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 2021, obs. A. Laude ; RDSS 2013. 938, obs. J. Peigné ; RTD civ. 2013. 852, obs. P. Jourdain.
■ CJUE, 20 nov. 2014, Sté Novo Nordisk Pharma GmbH, n° C-310/13, D. 2015. 549, note J.-S. Borghetti.
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