Actualité > À la une

À la une

[ 10 décembre 2025 ] Imprimer

Procédure civile

Preuve d’une filiation incestueuse : l’expertise génétique est de droit par respect de l’ordre public familial

L'expertise génétique est de droit, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder, lorsque le ministère public en fait la demande lors d'une action aux fins d'établissement d'une filiation adoptive susceptible de contourner l'interdiction d'ordre public d'établir, en cas d’inceste, un second lien de filiation édictée par les articles 310-2 et 162 du Code civil.

Civ. 1re, 19 nov. 2025, n° 23-50.006 B

Par jugement du 8 mars 2022, le tribunal judiciaire de Pontoise prononce l’adoption simple d’un enfant par le frère consanguin de sa mère biologique. Soupçonnant la nature incestueuse de cette relation, le procureur général près la cour d'appel de Versailles, pour s’opposer à l’adoption de l’enfant par son oncle maternel, demande la réalisation d’une expertise génétique. Dans cette perspective, il fait valoir qu’il est impossible d’écarter l’existence d’un inceste à la simple lecture de l’acte de naissance de l’enfant qui, sans caractériser une filiation incestueuse, puisque la loi l’interdit expressément, pose cependant question dès lors que le second prénom de l’enfant est celui de son oncle, que ce dernier a été présent au moment de l’accouchement et qu’il a déclaré l’enfant à la naissance. Le procureur ajoute que le candidat à l’adoption vit avec sa sœur depuis la naissance de l’enfant et que l’entourage familial atteste, de façon unanime, que son oncle se comporte avec lui comme un véritable père. À l’appui de ce faisceau d’indices, il sollicite donc une expertise génétique afin d’écarter avec certitude la paternité biologique du requérant à l’égard de l’enfant dont l’adoption simple est demandée.

Par arrêt du 28 février 2023, la cour d’appel de Versailles refuse d’ordonner cette expertise génétique et confirme le jugement d’adoption, aux motifs que le ministère public ne démontre pas que l’enfant dont l’adoption est sollicitée est issu d’un inceste, qu’une expertise ne peut être ordonnée pour suppléer la carence du ministère public dans l’administration de la preuve et que l’adoption demandée, dont les conditions d’âge prévues aux articles 343-1 et 344 du Code civil ne sont pas discutées, est conforme à l’intérêt de l’enfant.

Devant la Cour de cassation, le procureur général rappelle que l’expertise est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder et même en l’absence d’indices graves et concordants, l’existence d’éléments de preuve suffisant à faire douter de la vérité de la filiation permettant de déclarer l’action recevable.

La première chambre civile doit ainsi répondre à la question suivante : l’expertise génétique sollicitée par le ministère public afin d’éviter l’établissement d’un lien de filiation incestueux par le prononcé d’une adoption simple est-elle de droit ?

Au visa des articles 16-11alinéa 7, 162 et 310-2 du Code civil et 146 du Code de procédure civile, elle y répond par l’affirmative : lorsqu'est sollicitée une adoption susceptible de contourner l'interdiction d'ordre public d'établir un second lien de filiation de l’enfant né d’une union contrevenant à l’un des empêchements à mariage prévus par la loi pour cause de parenté (C. civ., art. 310-2), notamment entre frères et sœurs (C. civ., art. 162), l'expertise génétique prévue à l'article 16-11, alinéa 7, du Code civil, susceptible d’être ordonnée pour établir ou contester un lien de filiation, est de droit lorsque le ministère public, qui agit pour la défense de l'ordre public en application de l'article 423 du Code de procédure civile., en fait la demande, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder.

L’expertise génétique demandée par le ministère public pour empêcher l’établissement d’une filiation incestueuse doit donc être ordonnée par le juge saisi de la requête en adoption de l’enfant.

L'enfant incestueux, qui peut se définir comme celui dont les parents sont empêchés de se marier entre eux pour cause de parenté ou d'alliance (C. civ., art. 161 et 162), ne peut, en conséquence de cet interdit, voir ses deux filiations, paternelle et maternelle, légalement établies, notamment par la voie de l’adoption, même simple.

En cas d’inceste, la prohibition de l’établissement d’un double lien de filiation se justifie par le respect de l’ordre public. En effet, l'inceste ne réalise pas seulement la violation d'un interdit familial : attentatoire à l’ordre moral, social et religieux, il constitue également une violation de l'ordre public auquel se rattache l’ensemble des dispositions qui l’interdit. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle déjà jugé, sous l’empire de l’article 334-10 ancien du Code civil, que « (l) a requête en adoption simple de son propre enfant incestueux contrevient aux dispositions d'ordre public édictées par l'article 334-10 du Code civil interdisant l'établissement du double lien de filiation en cas d'inceste absolu » (Civ. 1re, 6 janv. 2004, n° 01-01.600), dans une affaire proche de celle rapportée où un enfant avait été reconnu, avant sa naissance, par sa mère puis par le demi-frère de celle-ci et où ce second acte de reconnaissance, établi par le père et oncle de l’enfant, avait été annulé par le juge sur le fondement de l'article 334-10 du Code civil. En suite de cette annulation, la requête en adoption formée par l’oncle de l’enfant fut rejetée au motif que celle-ci avait pour objet de contourner l’interdiction d’ordre public d’établir un double lien de filiation en cas d’inceste absolu. C’est donc le respect de l’ordre public qui fonde dans cette hypothèse la prohibition du double lien de filiation de l’enfant né d’une union incestueuse. Si l’inceste ne peut être empêché, il doit au moins rester caché : « la seule précaution à observer tient à l’unicité du lien de filiation. Dès lors qu’un seul lien de filiation est établi, peu importe la nature de ce lien : le spectre de l’inceste est définitivement écarté puisque l’établissement d’une filiation incestueuse ne peut, par hypothèse résulter que d’un rapport triangulaire » (D. Mayer, « La pudeur du droit face à l’inceste », D. 1988. 213). Comme l'ancien article 334-10 du Code civil, l'article 310-2 ne prohibe pas totalement l'établissement de la filiation, même en cas d'inceste absolu. Il limite l'établissement de la filiation à l'un des deux liens qui la composent en ce qui concerne les auteurs biologiques de l'enfant. Par conséquent, si la filiation maternelle est établie, la filiation paternelle ne peut plus l'être, et réciproquement. L'idée sous-jacente étant que seul le rapprochement des deux liens de filiation ferait apparaître l'inceste, qui ne doit pas être révélé : la prohibition n’affecte donc que l'établissement du second lien, seul à même de permettre un tel rapprochement.

Dans ce cadre, seul le ministère public est en mesure de prévenir l’atteinte à l’ordre public réalisée par fraude aux conditions légales de l’adoption (selon la formule de l’arrêt Civ. 1re, 16 févr. 1999, nos 96-21.223 et 97-12.781). L’expertise biologique apparaît alors comme le seul moyen de lever le doute. On se souvient que dans un arrêt du 28 mars 2000 (Civ. 1re, 28 mars 2000, n° 98-12.806), la Cour de cassation a posé un principe selon lequel « l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder ». Ce principe a été constamment réaffirmé depuis et consacré par un arrêt de l’Assemblée plénière du 23 novembre 2007 (nos 06-10.039 et 05-17.975). Dès lors qu’il s’agit d’établir ou de contester un lien de filiation, maternel ou paternel, cette mesure d’instruction doit être obligatoirement ordonnée par le juge saisi d’une action au fond relative à la filiation. Sont alors cassés les arrêts qui énoncent que l’expertise biologique ne peut être ordonnée aux motifs que la partie demandant l’expertise ne rapporte pas la preuve de l’inexactitude de la reconnaissance et que l'expertise biologique ne peut être ordonnée pour suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve (Civ. 1re, 9 déc. 2003, n° 02-10.097 ; 12 mai 2004, n° 02-16.849). L’absence de présomptions ou d’indices graves susceptibles d’étayer la paternité ne saurait constituer davantage une cause légitime de refus de l’expertise biologique (Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 04-15.445 ; 6 mai 2009, n° 08-10.936). Il suffit donc que l'une des parties sollicite une expertise biologique pour que les juges soient tenus de l'ordonner, sauf à motiver leur décision de refus par une raison légitime. La Cour de cassation opère un contrôle du motif légitime, qui tient à deux types de circonstances établissant soit que l’expertise serait superfétatoire (par ex. si les présomptions et indices graves sont suffisants pour établir la paternité, Civ. 1re, 24 sept. 2002, n° 00-22.466, ou si la demande d’une nouvelle expertise est rendue inutile par une première expertise établissant avec une quasi-certitude scientifique la paternité ou la non-paternité, Civ. 1re, 12 juin 2001, n° 98-21.796 ; 6 mai 2003, n° 01-15.904), soit qu’elle serait matériellement impossible (en raison de l’absence du père qui n’est pas localisé, Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 03-19.582 ; 3 janv. 2006, n° 04-14.904 ; 2 déc. 2020, n° 19-21.850, ou de l'absence de localisation de l'enfant, Civ. 1re, 11 oct. 2017, n° 16-23.104).

Déjà largement entendue, l’obligation d’ordonner une expertise en matière de filiation est ici étendue à l’action du ministère public qui tend, par le biais de cette mesure d’instruction, à empêcher l’établissement d’un lien de filiation qu’il soupçonne être incestueux et donc contraire à l’ordre public familial. On ajoutera, au soutien de cette extension, que sur un plan procédural, le ministère public est partie jointe dans toutes les affaires relatives à la filiation (C. pr. civ., art. 425, 1°) et qu’il est partie principale non seulement lorsque la loi prévoit qu’il agit d’office (C. pr. civ., art. 422) mais également, en dehors de ces cas, lorsqu’il agit pour la défense de l’ordre public à l’occasion de faits qui portent atteinte à celui-ci (C. pr. civ., art. 423). Même lorsqu’elle est formée, comme en l’espèce, aux fins de garantir le respect de l’ordre public, l’action du ministère public reste néanmoins soumise au pouvoir souverain du juge d’apprécier, avant d’ordonner une mesure d’instruction, si la partie dispose ou non d’éléments de preuve insuffisants mais déjà existants (C. pr. civ., art. 146). En effet, le juge rejettera la demande si la partie ne rapporte pas le moindre élément de preuve ou, au contraire, lorsque ceux dont elle dispose déjà lui apparaissent suffisants. C’est la première de ces deux hypothèses que la cour d’appel avait en l’espèce tenté d’exploiter pour refuser d’ordonner la mesure : si l’expertise génétique est de droit, encore faut-il que des éléments suffisamment probants existent à l’appui de cette demande, une mesure d’instruction ne pouvant servir à suppléer la carence du ministère public dans l’administration de la preuve. Les juges versaillais avaient à ce titre considéré que les éléments probatoires apportés par le ministère public n’étaient ni sérieux, ni précis. L’appréciation des éléments de preuve discutés devant le juge relevant de son pouvoir souverain, le contrôle de la Cour de cassation ne peut être que minimal. Elle décide justement qu’il n’y a pas de carence d’une partie dans l’administration de la preuve du fait que celle-ci ne dispose pas d’éléments de preuve irréfutables, puisque la mesure d’expertise vise précisément à obtenir ces éléments. Concrètement, le refus d’expertise ne peut être fondé sur la carence probatoire d’une partie que si celle-ci aurait pu et dû détenir ces éléments probatoires, mais il n’est pas justifié si les preuves sont intégralement en la possession de l’autre partie, ou d’un tiers (Com. 5 juin 2019, n° 17-22.192), ce qui était le cas de l’espèce, les preuves manquantes pour établir la vérité biologique ne pouvant être obtenues que du requérant et de sa sœur. La motivation des juges versaillais n’était donc pas suffisante pour empêcher le ministère public de remplir efficacement son office de défense et protection de l’ordre public familial en évitant, par l’obtention d’une expertise génétique, de rendre les juges saisis de la requête en adoption prisonniers du « secret des familles ». 

Références :

■ Civ. 1re, 6 janv. 2004, n° 01-01.600 P : D. 2004. 362, et les obs., concl. J. Sainte-Rose ; ibid. 365, note D. Vigneau ; ibid. 1419, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 2005. 1748, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2004. 66, obs. F. B. ; RTD civ. 2004. 75, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re, 16 févr. 1999, nos 96-21.223 et 97-12.781 PD. 1999. 692, note J. Massip ; ibid. 201, obs. F. Granet ; ibid. 2000. 170, obs. F. Vasseur-Lambry ; RTD civ. 1999. 372, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re, 28 mars 2000, n° 98-12.806 P : D. 2000. 731, et les obs., note T. Garé ; ibid. 2001. 404, chron. S. Le Gac-Pech ; ibid. 976, obs. F. Granet ; ibid. 1427, obs. H. Gaumont-Prat ; ibid. 2868, obs. C. Desnoyer ; RTD civ. 2000. 304, obs. J. Hauser.

■ Cass. ass. plén., 23 nov. 2007, nos 06-10.039 et 05-17.975 P : D. 2007. 3078, obs. L. Dargent ; ibid. 2008. 1371, obs. F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2008. 160, obs. R. Perrot ; ibid. 284, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re, 9 déc. 2003, n° 02-10.097 

■ Civ. 1re, 12 mai 2004, n° 02-16.849

■ Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 04-15.445 P : D. 2005. 1732 ; ibid. 2006. 1139, obs. F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2005. 584, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re, 6 mai 2009, n° 08-10.936

■ Civ. 1re, 24 sept. 2002, n° 00-22.466 P D. 2003. 1793, note D. Cocteau-Senn ; ibid. 2117, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2002. 417, obs. S. D.-B. ; RTD civ. 2003. 71, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re, 12 juin 2001, n° 98-21.796 P : D. 2001. 2089, et les obs. ; AJ fam. 2001. 60, et les obs. ; RTD civ. 2001. 574, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re, 6 mai 2003, n° 01-15.904

■ Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 03-19.582 P : D. 2005. 1805 ; ibid. 2006. 1139, obs. F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2005. 584, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re 3 janv. 2006, n° 04-14.904  

■ Civ. 1re 2 déc. 2020, n° 19-21.850 P : D. 2020. 2453 ; ibid. 2021. 657, obs. P. Hilt ; ibid. 762, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2021. 57, obs. M. Saulier.

■ Civ. 1re, 11 oct. 2017, n° 16-23.104

 

Auteur :Merryl Hervieu


  • Rédaction

    Présidente et principale associée : Lefebvre Sarrut, 10 Place des Vosges, 92400 Courbevoie - 542 052 451 RCS Nanterre

    Directeur de la publication-Président : Julien Tanguy

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr