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[ 21 novembre 2014 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Preuve et effets du harcèlement moral du salarié

Mots-clefs : Harcèlement moral, Définition, Faute grave, Effets, Sanction, Charge de la preuve, Présomption, Nécessité d'une présomption suffisante, Analyse nécessaire des justifications apportées par l'employeur

Le salarié n’a pas à prouver le harcèlement dont il se prétend victime mais doit simplement établir les faits faisant présumer son existence. Le harcèlement ne constitue pas nécessairement une faute grave justificative de la rupture du contrat.

Par les deux décisions rapportées, la chambre sociale de la Cour de cassation vient clarifier le régime du harcèlement moral, en apportant des précisions à la fois sur ses modes de preuve et sur ses modes de sanction. 

Dans la première espèce (n°13-18.362), une directrice des ressources humaines ayant été licenciée pour faute grave avait demandé une indemnisation au titre du harcèlement moral dont elle aurait été victime. Pour rejeter sa demande, la cour d’appel retint que l’ensemble des éléments de preuve versés aux débats par la salariée (documents, comptes rendus d'entretien avec son supérieur hiérarchique, certificats médicaux, attestations), examinés dans leur ensemble, ne permettaient que de présumer, sans pouvoir la caractériser, l'existence d'un harcèlement moral commis à son encontre.

Au visa des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du Code du travail, cette décision est cassée au motif que la cour d’appel a ainsi omis d’indiquer précisément en quoi il était établi par l'employeur que les agissements, qui lui étaient imputés et dont elle avait considéré qu'ils permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement, n'étaient pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Ainsi la Cour vient-elle rappeler le mécanisme probatoire applicable en matière de harcèlement.

La loi n° 2002-73 de modernisation sociale du 17 janvier 2002 avait adopté un mécanisme de la charge de la preuve identique à celui qui prévaut en matière de lutte contre les discriminations : le salarié qui s'estimait victime de harcèlement moral ou sexuel devait présenter les éléments de fait laissant supposer un harcèlement et il revenait à la partie défenderesse de prouver que les agissements incriminés n'étaient pas constitutifs d'un tel harcèlement et qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Ces règles furent par la suite aménagées par la loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003. Dorénavant, le salarié doit « établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ». La charge de la preuve du harcèlement ne pèse pas sur le salarié puisque ce dernier doit simplement « établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ».

Ce rappel est constamment opéré par la Cour de cassation, laquelle insiste sur le fait que le salarié doit simplement apporter un commencement de preuve et que celui-ci porte sur une présomption de harcèlement et non sur le harcèlement lui-même (Soc. 21 sept. 2011 : « le salarié qui s'estime victime de harcèlement n'est pas tenu dans la procédure d'établir les faits mais uniquement de fournir aux juges des éléments permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral » ).

En application des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du Code du travail, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. La Cour de cassation veille ainsi à ce que les « justifications » livrées par l'employeur soient rigoureusement analysées (Soc. 22 mars 2011).

En l’espèce, cette analyse faisait défaut. La cour d'appel aurait dû, la présomption de harcèlement étant établie, apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral.

Dans la seconde espèce (n°13-18.862), ce n’est plus la preuve mais la sanction du harcèlement qui est rappelée. Une salariée avait été licenciée pour faute grave après une mise à pied conservatoire justifiée par son comportement, autoritaire et discriminatoire, ayant eu des conséquences dommageables sur l'ensemble de son équipe et entraîné l'arrêt de travail d'une salariée en particulier. La cour d’appel jugea, en l’absence de harcèlement moral, que le grief de gestion autoritaire et inappropriée ne suffisait pas à constituer une faute grave justifiant un licenciement. 

L'employeur forma un pourvoi en cassation, rejeté par la chambre sociale au motif que l'obligation de prévenir ou de faire cesser les agissements de harcèlement moral n'implique pas par elle-même la rupture immédiate du contrat de travail d'un salarié à l'origine d'une situation de harcèlement moral dès lors qu'il n'est pas démontré le maintien impossible du salarié dans l'entreprise.

La Cour procède, tout d’abord, au rappel de la définition du harcèlement moral, caractérisé par « des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Elle approuve, ensuite, les juges du fond d’avoir retenu que le harcèlement moral n'est pas nécessairement constitutif d’une faute grave justifiant un licenciement ; encore faut-il, à cette fin, pouvoir établir l’impossibilité de maintenir le salarié dans l’entreprise.

La solution se comprend à la lecture de l'article L. 1152-5 du Code du travail, selon lequel le harcèlement moral est « passible » d'une sanction, ce qui implique que l'employeur reste libre de s’y refuser, quoiqu’il engage sa responsabilité en cas de manquement à son obligation de sécurité de résultat, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements (Soc. 3 févr. 2010).

Soc. 22 oct. 2014, n°13-18.362 (sur le second moyen)

Soc. 22 oct. 2014, n°13-18.862

Références

■ Soc. 21 sept. 2011, n° 10-15.830.

■ Soc. 22 mars 2011, n° 09-70.440.

 Soc. 3 févr. 2010, n° 08-44.019.

■ Code du travail

Article L. 1152-1

« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Article L. 1152-5

« Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire. »

Article L. 1154-1

« Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »

 Pour aller plus loin : JCP S, n° 45, 4 nov. 2014, act. 398.

 

Auteur :M. H.

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