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Droit du travail - relations collectives
Preuve par soustraction de documents et atteinte à la vie privée des salariés
Mots-clefs : Preuve, Modes de preuve, Vie privée, Travail le dimanche, Représentants du personnel, Syndicat
l’article L. 3171-2 du Code du travail, qui autorise les délégués du personnel à consulter les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, n’interdit pas à un syndicat de produire ces documents en justice ; le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
Une société exploitant de magasins de vente de chaussures se voit interdit en référé d’employer des salariés le dimanche. Estimant que la société ne respecte pas cette interdiction, un syndicat saisit le juge des référés d’une demande de liquidation de l’astreinte sous laquelle l’interdiction a été prononcée (20 000 € par dimanche en infraction et par établissement). Pour faire constater le trouble manifestement illicite, le syndicat produit des photographies de différents documents attestant de l’emploi de salariés le dimanche tels que des contrats de travail, des bulletins de salaire, des lettres de salariés se portant volontaires pour travailler le dimanche, des plannings et relevés horaires. Le syndicat est débouté en appel, les juges voyant dans les photographies une preuve obtenue et produite illicitement. Les représentants du personnel se seraient approprié les documents, alors que le code du travail ne prévoit qu’une simple consultation, et le syndicat aurait dû solliciter l’accord des salariés concernés. C’est ce double raisonnement que la Cour de cassation remet en cause, sous visa de l’article L. 3171-2 du Code du travail, des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du Code de procédure civile.
La Cour de cassation retient dans un premier temps que « l’article L. 3171-2 du code du travail, qui autorise les délégués du personnel à consulter les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, n’interdit pas à un syndicat de produire ces documents en justice ». Elle affirme que « la copie de documents que les délégués du personnel ont pu consulter en application des dispositions de l’article L. 3171-2 du code du travail constitue un moyen de preuve licite ». La formulation du problème juridique retenue par la Cour de cassation peut surprendre, car la question n’est pas tant de savoir si un texte interdit de produire les copies en justice mais plutôt celle de connaître ce qui justifie cette production… La lecture du communiqué de presse apporte cependant une réponse : « il faut permettre au syndicat, qui a pour mission de défendre les intérêts des salariés, d’exercer ses droits de façon effective », nous dit la Cour de cassation. Un parallèle peut ainsi être dressé avec la question de la soustraction de documents par le salarié en vue de les produire en justice. La Cour de cassation admet la production de tels documents dès lors qu’elle se trouve strictement nécessaire à l’exercice des droits de la défense du salarié dans le procès prud’homal qui l’oppose à son employeur (V. ainsi Soc. 31 mars 2015, n° 13-24.410). Elle considère également que, dans de telles circonstances, le salarié n’a pas commis de vol (V. Crim. 11 mai 2004, Bull. crim. n° 113 et 117). Dans le présent arrêt, la Cour retient la licéité de la preuve sans exiger la démonstration, à ce stade, d’une quelconque nécessité. Il semble que l’art. L. 3171-2 du Code du travail fournisse un fondement légal aux agissements des représentants du personnel et du syndicat, qui fait défaut aux salariés agissant seuls.
Dans un deuxième temps toutefois, l’exigence de nécessité reparaît. La Haute juridiction estime en effet que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. La Cour entend ainsi trancher un conflit entre « droit à la preuve » d’un côté et « droit à la vie personnelle » de l’autre. La référence « vie personnelle du salarié », plutôt qu’à la « vie privée » est étonnante. La note explicative relative à l’arrêt évoque tant l’une que l’autre de ces notions. Certes, des « données personnelles » sont en cause, comme les plannings horaires des salariés. Mais, sauf à appauvrir son sens, la notion de vie personnelle devrait être utilisée en rapport à la subordination, pour éprouver les limites du pouvoir patronal, ou légitimer à l’inverse certaines demandes du salarié. En l’espèce, le problème n’est pas là, et c’est bien plutôt la vie privée des salariés qui se trouve atteinte par les agissements des représentants du personnel et du syndicat.
Le principe de proportionnalité est ensuite mis en œuvre par la Cour et l’arrêt présente sur ce point un double intérêt. En premier lieu, il illustre la puissance normative de celui-ci en dehors de tout texte. A juste titre, l’article L. 1121-1 du Code du travail n’est pas visé. Faisant référence à la « nature de la tâche à accomplir » par les salariés, ce texte ne concerne que les atteintes aux droits et libertés apportées par celui qui maîtrise le travail de ces salariés – l’employeur ou le chef d’entreprise. En second lieu, l’arrêt montre comment la Cour entend résoudre l’incertitude qui entoure son application. La notion de « nécessité » évoque un contrôle strict de proportionnalité. Mais au lieu de s’en remettre au pouvoir souverain des juges du fond, ou à une appréciation des seules circonstances de l’espèce, la Haute juridiction opte pour une motivation dotée d’une portée générale. Elle relève que « le salarié avait recueilli les documents litigieux dans l’exercice de ses fonctions de représentation » et en déduit que l’atteinte à la vie privée n’est pas disproportionnée. À nouveau pèse le fondement de l’article L. 3171-2 : il suffit que les documents aient été obtenus dans le cadre fixé par cette disposition pour valider l’atteinte à la vie privée des salariés.
Soc. 9 nov. 2016 , n° 15-10.203
■ Soc. 31 mars 2015, n° 13-24.410 P, D. 2015. 871 ; ibid. 1384, chron. E. Wurtz, F. Ducloz, C. Sommé, S. Mariette et N. Sabotier ; ibid. 2016. 167, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; ibid. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta ; AJ pénal 2015. 316, obs. D. Brach-Thiel.
■ Crim. 11 mai 2004, n° 03-80.254 P, D. 2004. 2326, note H. K. Gaba ; ibid. 2759, obs. G. Roujou de Boubée ; RSC 2004. 635, obs. E. Fortis ; ibid. 866, obs. G. Vermelle ; RTD com. 2004. 823, obs. B. Bouloc.
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