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[ 29 mai 2024 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Primat d’application du droit spécial régissant les services de paiement : la Cour de cassation persiste et signe !

Dès lors que la responsabilité du prestataire de services de paiement est recherchée sur le fondement d'une opération de paiement non autorisée, seul est applicable le régime spécial de responsabilité prévu aux articles L. 133-18 à L. 133-20 du Code monétaire et financier, à l’exclusion de tout régime alternatif de responsabilité résultant du droit national. L'utilisateur de services de paiement est alors contraint de respecter le délai de forclusion prévu par ce régime spécial, sans pouvoir invoquer les règles de prescription plus favorables du droit national relatives à la responsabilité civile.

Com. 2 mai 2024, n° 22-18.074

Le 27 mars dernier, la chambre commerciale de la Cour de cassation, s’inspirant de l’orientation interprétative donnée par les juges européens dans l’arrêt Beobank (CJUE, 16 mars 2023, aff. C-351/21), avait opté pour l’exclusivité d’application du droit spécial issu du Code monétaire et financier pour engager la responsabilité du prestataire de services de paiement (PSP) en cas d’opérations de paiement non autorisées (Com. 27 mars 2024, n° 22-21.200). Par cette nouvelle décision, elle confirme sa volonté, exprimée sur le terrain de la forclusion de l’action intentée contre le PSP, de limiter le régime applicable aux opérations de paiement non autorisées à celui prévu par le droit spécial, à l’exclusion de tout autre régime national de responsabilité civile.

Au cas d’espèce, un utilisateur de services de paiement bancaire avait, le 15 juin 2017, assigné sa banque en qualité de commettant de son épouse séparée de biens, par ailleurs salariée de cette banque. En effet, celle-ci était parvenue à se faire établir et remettre à l’insu de son mari un doublon de la carte de paiement qu’il détenait sur un compte ouvert dans les livres de l’établissement bancaire et avait, entre 2007 et 2011, utilisé cette carte pour effectuer des retraits et payer différents achats dont le montant avait été débité sur le compte de son époux.

En cause d’appel, la cour déclara son action en responsabilité intentée contre la banque irrecevable. Celle-ci étant exclusivement régie par le droit spécial du Code monétaire et financier, une telle action se trouve soumise à l'article L. 133-24 de ce code, enfermant le délai d'action du titulaire du compte dans un délai de forclusion de treize mois en sorte que le réclamant, qui s’était abstenu de contester en temps utile des opérations litigieuses intervenues sur son compte, ne pouvait plus prétendre engager la responsabilité du prestataire des services de paiement dès lors que ce délai de treize mois avait expiré. 

Le client avait alors formé un pourvoi en cassation. Selon lui, en subordonnant la recevabilité de son action en responsabilité contre la banque au respect du délai de forclusion fixé à l'article L. 133-24 du Code monétaire et financier, quand l'action qu’il avait intentée sur le fondement de la responsabilité du fait d’autrui visait à retenir la responsabilité civile du banquier, en sa qualité de commettant, du fait de l'émission d’une carte doublon demandée frauduleusement à son insu par la préposée, cet acte frauduleux ne s’analysant pas en une opération de paiement non autorisée, la cour d'appel aurait violé, par fausse application, les dispositions de cet article L. 133-24.

La Cour rejette son pourvoi aux termes d’une motivation étayée.

En premier lieu, elle rappelle que selon l’article L. 133-6 du Code monétaire et financier, une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution. Il en résulte que les retraits et paiements effectués par l’épouse du demandeur à l'aide du doublon de la carte bancaire de son conjoint qu’elle avait obtenu à son insu, constituent des opérations de paiement non autorisées par le payeur titulaire du compte.

En deuxième lieu, il est à nouveau affirmé que l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 16 mars 2023, (CJUE, 16 mars 2023, aff. C-351/21) oblige à retenir que, dès lors que la responsabilité du prestataire de services de paiement est recherchée sur le fondement d’une opération de paiement non autorisée, est seul applicable le régime de responsabilité défini aux articles L. 133-18 à L. 133-20 du Code monétaire et financier, transposant les articles 58, 59 et 60, paragraphe 1, de la Directive n° 2007/64/CE, du 13 novembre 2007, à l’exclusion de tout régime alternatif de responsabilité résultant du droit national.

En troisième lieu, la Cour de cassation souligne que l’article L. 123-24 du Code monétaire et financier (et non du Code de commerce comme l’indique par erreur la décision) dispose expressément que l’utilisateur de services de paiement doit signaler sans tarder à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée, au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit, et sous peine de forclusion.

Le régime de responsabilité des prestataires de service de paiement institué par la directive 2007/64/CE ayant prévu ce délai de treize mois (art. 58), est exclusif de tout régime national de responsabilité civile contractuelle : l'utilisateur de services de paiement ne saurait donc contourner le délai de forclusion en invoquant les règles plus favorables du droit national relatives à la responsabilité civile (v. CJUE, 2 sept. 2021, aff. C-337/20, DM, LR c/ CRCAM Alpes-Provence). 

Rapportée aux circonstances de l’espèce, la solution implique d’opposer au titulaire du compte qui cherche à engager la responsabilité délictuelle du banquier (du commettant du fait de son préposé), l’impossibilité de substituer le délai de prescription de l’article 2224 Code civil au délai de forclusion précité. Seul ce dernier est en effet applicable.

En conséquence, c’est à bon droit que les juges du fond ont fait application de l’article L. 123-24 précité, quand bien même la banque revêtait la qualité d’employeur de l’épouse du titulaire du compte. Or, ayant relevé que ce dernier entendait engager la responsabilité de la banque pour des opérations de paiement intervenues sur son compte entre 2007 et 2011 et qu'il s’était abstenu de les contester dans le délai de treize mois, la cour d'appel en avait exactement déduit que cette action était irrecevable pour cause de forclusion.

Dont acte : un payeur qui se retrouve forclos à agir sur le fondement du régime spécial de responsabilité des PSP ne peut trouver une voie de rattrapage en recourant aux règles de prescription de la responsabilité civile pour agir contre le banquier teneur de compte.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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