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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Primauté de la liberté d'expression sur le délit d'offense au président de la République
Mots-clefs : Liberté d’expression, Délit d’offense au président de la République
La Cour européenne des droits de l’homme a jugé au visa de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, que l’offense par répétition d’un propos présidentiel n’est pas susceptible de condamnation pénale lorsqu’il s’agit d’une critique politique, ceci afin de ne pas dissuader les interventions satiriques concernant des sujets de société, lesquelles concourent aux débats sur des questions d’intérêt général, caractéristiques d’une société démocratique.
En l’espèce, le requérant est un militant politique français qui a été poursuivi pour offense au président de la République et condamné par le Tribunal correctionnel à trente euros d'amende avec sursis, pour avoir brandi, au passage du chef de l'État, un écriteau sur laquelle était écrit « Casse-toi, pov'con », formule reprenant des paroles prononcées par le président lui-même à l’égard d’une personne lors d’un événement antérieur. À la suite de la confirmation par la cour d’appel et du refus qui lui a été opposé de se pourvoir en cassation, le militant a saisi la Cour européenne des droits de l’homme au motif que les juridictions françaises auraient violé l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme.
Si dans l’arrêt commenté, la Cour reconnaît le caractère offensant de la phrase litigieuse, elle temporise toutefois son importance en ce qu’elle doit être appréciée au regard de l’ensemble de l’affaire. La Cour a ainsi mis en balance, « la restriction à la liberté d’expression » et « la libre discussion de questions d’intérêt général » pour vérifier si l’ingérence des autorités « était nécessaire dans une société démocratique pour atteindre le but légitime poursuivi ». En se fondant sur le constat des juges nationaux qui avaient établi un lien entre l’engagement politique du requérant et la nature de ses propos, la Cour en a conclu que la critique formulée était politique sous la forme satirique. Or la Cour rappelle que « l’article 10, § 2, ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours et du débat politique » et que « les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens » (v. not. CEDH 11 avr. 2006, Brasilier c/ France). La Cour en conclut donc que la condamnation prononcée constitue une ingérence des autorités publiques françaises dans le droit du requérant à la liberté d’expression. Ces dernières ont donc violé l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En France, l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881, relative à la liberté de la presse, confère au chef de l'État une protection particulière : l' « offense au président de la République », est un délit puni d'une amende de 45 000 euros. Bien que son origine soit ancienne, étant issue du crime de lèse-majesté, l’offense au président de la République a été invoquée de manière irrégulière au cours de l’histoire. Très présent sous la IIIe République notamment à l’encontre de Gambetta pour cette formule célèbre : « M. le Président, il faudra vous soumettre ou vous démettre », l’offense au président de la République semblait avoir disparue sous la Ve République après la présidence du général de Gaulle. Cependant, l’arrêt commenté montre que celle-ci n’est pas tombée en désuétude.
Si la notion d’offense avoisine celle de la diffamation, ce délit s’en distingue toutefois en ce que l'exception de vérité ne lui est pas applicable. Ainsi, contrairement au droit commun de la diffamation, l'auteur dudit délit ne peut s'exonérer de sa responsabilité en prouvant la vérité de ses allégations, dès lors qu’elles concernent le président de la République. Ce régime procédural dérogatoire s'explique par la volonté de ne pas provoquer lors d'un procès pour diffamation des débats qui auraient pour conséquence de nuire à la fonction présidentielle (Crim. 21 déc. 1966). À ce titre, certains auteurs estiment que cette situation porte atteinte à l'égalité des armes imposée par l'article 6 § 1er de la Convention (v. Dreyer). Il convient, en effet, de rappeler que la Cour européenne s’est inspirée de cet argument pour condamner la France concernant le délit d'offense envers un chef d'État étranger (CEDH 25 juin 2002, Colombani c/ France). La Cour avait jugé que ce délit d'offense « tend à porter atteinte à la liberté d'expression et ne répond à aucun besoin social impérieux susceptible de justifier cette restriction » et que l’absence de moyen de défense en raison de l’impossibilité de s’exonérer de sa responsabilité pénale en prouvant la vérité de ses allégations, constituait une mesure « exorbitante » en faveur des chefs d'États étrangers. C’est pourquoi, à la suite de cette décision, le délit d'offense envers un chef d'État étranger a été supprimé (L. n ° 2004-204 du 9 mars 2004 dite « Perben 2 »).
Il convient de noter que, dans l’arrêt commenté, la Cour, qui certes a condamné la France, ne l’a toutefois pas contraint à abroger ce délit, comme elle l'a fait dans l'arrêt Colombani et autres c/ France précité. La Cour a conclu qu'il n'y avait « pas lieu » dans cette affaire de se prononcer sur la compatibilité de la « qualification pénale retenue » avec la Convention.
CEDH 14 mars 2013, Eon c. France, n° 26118/10
Références
■ R. Lettero, Libertés publiques, 9e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2012, p. 44-45.
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 6 § 1er - Droit à un procès équitable
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »
Article 10 - Liberté d'expression.
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ Loi du 29 juillet 1881
« L'offense au Président de la République par l'un des moyens énoncés dans l'article 23 est punie d'une amende de 45 000 euros.
Les peines prévues à l'alinéa précédent sont applicables à l'offense à la personne qui exerce tout ou partie des prérogatives du Président de la République. »
« Seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d'effet.
Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n'aura été suivie que d'une tentative de crime prévue par l'article 2 du code pénal. »
■ E. Dreyer, « Offense par répétition d’un propos présidentiel », D. 2008. 3133.
■ CEDH 11 avr. 2006, Brasilier c/ France, n° 71343/01.
■ Crim. 21 déc. 1966, n° 65-92.787, Bull. crim. n ° 300.
■ CEDH 25 juin 2002, Colombani et autres c/ France, n° 51279/99, AJDA 2002. 1277, chron. J.-F. Flauss ; RSC 2003. 116, obs. J. Francillon.
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