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[ 26 janvier 2011 ] Imprimer

Droit de la concurrence

Principe de loyauté de la preuve en droit de la concurrence

Mots-clefs : Concurrence, Preuve (loyauté, charge, administration), Procédure civile Autorité de la concurrence (ex-Conseil de la concurrence), Article 9 du Code de procédure civile, Ordre public économique, Pratiques anticoncurrentielles, Droit civil, Code de commerce, Procédure pénale

Le droit de la concurrence est soumis aux principes de la procédure civile concernant l’administration de la preuve, ce qui interdit de produire en justice des enregistrements téléphoniques obtenus de façon déloyale.

Les faits de l’affaire étaient les suivants : un distributeur s’était plaint auprès de l’Autorité de la concurrence (ex-Conseil de la concurrence) des comportements anticoncurrentiels de deux entreprises partenaires. Pour étayer ses accusations, le plaignant avait transmis aux services d’instruction de l’Autorité de la concurrence des enregistrements de conversations téléphoniques qu’il avait réalisées à l’insu de ses interlocuteurs.

L’Autorité de la concurrence, puis la cour d’appel de Paris, compétente pour connaître des recours formés contre les décisions de l’Autorité de la concurrence, avaient déclaré ces enregistrements recevables (Paris 19 juin 2007). L’arrêt d’appel fût cassé par la chambre commerciale de la Cour de cassation, au visa de l’article 6 § 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, au motif que « l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé par une partie à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve » (Com. 3 juin 2008). La cour d’appel de Paris, statuant sur renvoi, rendit un arrêt « en opposition avec la doctrine de la Cour de cassation » et condamna à nouveau les deux sociétés concernées, en s’appuyant sur les conversations téléphoniques litigieuses (Paris 29 avril 2009).

Conformément à l’article L. 431-6 du Code de l’organisation judiciaire, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation était compétente pour connaître du second pourvoi formé par les deux sociétés condamnées.

Pour bien saisir l’enjeu dans cette affaire, il faut souligner que si la procédure devant l’Autorité de la concurrence — codifiée aux articles L. 463-1 à L. 463-8 du Code de commerce — doit se dérouler de manière contradictoire, rien n’est dit sur les règles d’administration de la preuve applicables devant cette autorité administrative indépendante. Or, la nature des pouvoirs dont elle dispose (opportunité des poursuites, art. L. 464-6 C. com.) et des sanctions qu’elle peut infliger (amendes) pourrait laisser penser que sa ‘juridiction’ est soumise aux règles de la procédure pénale.

La spécificité de la procédure pénale réside dans la très grande liberté laissée aux parties dans l’administration de la preuve, en vertu de l’article 427 du Code de procédure pénale. Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a pu accepter la production en justice de preuves obtenues de manière déloyale par les parties (le testing à l’entrée des discothèques), en imposant toutefois aux juges du fond de « d’en apprécier la valeur probante après les avoir soumis à la discussion contradictoire » (Crim. 11 juin 2002).

En matière civile, à l’inverse, la preuve obéit à un régime plus strict, conformément aux dispositions de l’article 9 du Code de procédure civile, d’où il ressort qu’il est interdit aux parties à un litige de présenter au juge des preuves obtenues de manière illicite ou déloyale. En d’autres termes, la fin ne justifie pas les moyens.

En l’espèce, l’Autorité de la concurrence et la cour d’appel de Paris mettaient en avant l’autonomie procédurale de l’Autorité de la concurrence et la nécessité de protéger efficacement l’ordre public économique, afin de recueillir les écoutes téléphoniques lors du débat menées devant eux. Ce n’est pas l’avis de l’Assemblée plénière, qui casse à nouveau l’arrêt et renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée, l’affaire pour qu’elle soit jugée pour la troisième fois.

L’innovation de l’Assemblée plénière en l’espèce consiste à motiver cet arrêt au double visa de l’article 6 de la CEDH et l’article 9 du Code de procédure civile. Elle estime que le droit à un procès équitable empêche la production de preuves obtenues de manière déloyale ou illicite. Elle rattache donc la procédure applicable devant l’Autorité de la concurrence et lors des recours formés contre les décisions de cette dernière aux règles reconnues en procédure civile. Elle procède ainsi comme elle avait pu le faire en matière d’arbitrage (Civ. 2e, 28 févr. 1990).

Ass. plén. 7 janv. 2011, n° 09-14.316, P+B+R+I

Références

Autorité de la concurrence

« Succédant au Conseil de la concurrence, cette autorité administrative indépendante a été instituée par la loi du 4 août 2008, dite de modernisation de l'économie. Dotée d'une compétence consultative en matière de réglementation de la concurrence, lato sensu, elle est juge de première instance des pratiques anticoncurrentielles (ententes, abus de domination) et est nouvellement dotée d'un pouvoir décisionnel en matière de concentration. »

Principe du contradictoire

« Principe essentiel, bien que non formulé pendant longtemps par la loi, commandant toutes les procédures.

Il implique la liberté pour chacune des parties de faire connaître tout ce qui est nécessaire au succès de sa demande ou de sa défense. Il impose que toute démarche, toute présentation au juge d’une pièce, d’un document, d’une preuve par l’adversaire soit portée à la connaissance de l’autre partie et librement discutée à l’audience. Le respect du principe du contradictoire est la condition indispensable de la liberté de la défense. Le juge doit en toutes circonstances observer et faire observer le principe de la contradiction ; il ne peut retenir dans sa décision que les explications qu’il a recueillies contradictoirement et ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »

Preuve

« Dans un sens large, établissement de la réalité d'un fait ou de l'existence d'un acte juridique. Dans un sens plus restreint, procédé utilisé à cette fin (écrit, témoignage…). Lorsque les moyens de preuve sont préalablement déterminés et imposés par la loi, la preuve est dite légale. Dans le cas contraire, elle est dite libre ou morale. »

Procédure de preuve

« Les plaideurs, pour l'établissement des faits du procès, recourent à des procédures d'instruction particulières : vérification d'écritures, inscription de faux, enquête, expertise, comparution personnelle, serment, vérifications personnelles du juge, présomptions. »

Autorité administrative indépendante

Le plus souvent collégiales (v. pourtant, par ex. : Défenseur des droits, Défenseur des enfants, Médiateur de la République) ces autorités, qui sont des institutions de l’État agissant en son nom mais dont le statut s’efforce de garantir l’indépendance d’action aussi bien vis-à-vis du gouvernement que du Parlement, ont été créées en vue d’assurer dans leur domaine de compétence, sans intervention directe de l’Administration, un certain nombre de garanties telles que la protection des droits et des libertés (Commission nationale de l’informatique et des libertés), la protection de certaines catégories de personnes (Défenseur des enfants), ainsi que le bon fonctionnement de certains secteurs de l’économie (Conseil supérieur de l’audiovisuel). Selon les cas, elles disposent dans leur domaine – parfois cumulativement – d’un pouvoir d’avis, de recommandation, de sanction, de décision individuelle, voire d’un véritable pouvoir réglementaire. Un problème majeur – et non résolu actuellement – posé par ces autorités est de concilier leur indépendance et l’existence d’un contrôle démocratique de leur activité.

Ordre public

« Caractère des règles juridiques qui s'imposent pour des raisons de moralité ou de sécurité impératives dans les rapports sociaux. Les parties ne peuvent déroger aux dispositions d'ordre public. Dans le domaine économique, la doctrine distingue deux sortes d'ordre public : l'ordre public de protection qui tend à la défense d'intérêts particuliers estimés primordiaux (par exemple l'intérêt du consommateur face au professionnel) et dont la violation n'entraînerait qu'une nullité relative ; l'ordre public de direction dont la méconnaissance serait source de nullité absolue parce que la norme en cause correspond aux exigences fondamentales de l'économie (par exemple la prohibition de certaines indexations pour éviter leur effet inflationniste). »

Assemblée plénière

« Formation de la Cour de cassation comprenant, sous la présidence du Premier président, les présidents et les doyens des chambres ainsi qu’un conseiller pris au sein de chaque chambre (19 membres). Elle intervient obligatoirement lorsque, la juridiction de renvoi ne s’étant pas inclinée, un second pourvoi est formé et fondé sur les mêmes moyens que le premier. Sa saisine est facultative lorsqu’il existe des solutions divergentes soit entre les juges du fond, soit entre les juges du fond et la Cour de cassation.

Dans tous les cas, sa décision s’impose à la juridiction de renvoi.

Elle peut, à titre exceptionnel, juger sans renvoyer. »

Sources : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.

Article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »

Article L. 431-6 du Code de l’organisation judiciaire

« Le renvoi devant l'assemblée plénière peut être ordonné lorsque l'affaire pose une question de principe, notamment s'il existe des solutions divergentes soit entre les juges du fond, soit entre les juges du fond et la Cour de cassation ; il doit l'être lorsque, après cassation d'un premier arrêt ou jugement, la décision rendue par la juridiction de renvoi est attaquée par les mêmes moyens. »

Article 427 du Code de procédure pénale

« Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction.

Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui. »

Article 9 du Code de procédure civile

« Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »

Paris, 19 juin 2007.

Paris, 29 avril 2009.

Com. 3 juin 2008, Bull. civ. IV n° 112 ; CCE 2008. Comm. 114, obs. Chagny.

Crim. 11 juin 2002, Bull. crim. n° 131 ; D. 2003. 1309 note Collet-Askri ; JCP 2002. IV. 2370.

Civ. 2e, 28 févr. 1990, Bull. civ. II n° 43.

 

Auteur :B. H.

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