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[ 25 mai 2023 ] Imprimer

Introduction au droit

Principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle : illustration à propos des contrats d’assurance-vie

Concernant la souscription du contrat d'assurance sur la vie, les règles d’application de la loi dans le temps conduisent à ce que si la règle applicable aux versements non programmés est celle en vigueur au moment du versement, ainsi qu'il a été prévu par une disposition spéciale, d'application immédiate aux contrats en cours, ceci ne modifie pas les situations juridiques existantes, de sorte que les taux minimum garantis restent inchangés pour ce qui concerne les versements déjà effectués ou programmés dès la souscription du contrat.

Civ. 2e, 20 avr. 2023, n° 21-23.712 B

Plusieurs sociétés appartenant à un même groupe ont adhéré à un contrat collectif d'assurance sur la vie afin de permettre à leurs cadres de se constituer des compléments de retraite par capitalisation. La société souscriptrice a notifié aux adhérentes qu'en raison de modifications législatives et réglementaires, les stipulations contractuelles relatives au « taux d'intérêt technique » avaient été modifiées. Soutenant pouvoir prétendre au taux initialement prévu, les adhérentes ont assigné en justice la souscriptrice et son assureur.

Pour rejeter leurs demandes tendant à faire constater que les conditions initialement prévues devaient être applicables à tous les contrats souscrits antérieurement à l’entrée en vigueur des nouvelles normes, la cour d’appel a considéré que les nouvelles dispositions étaient applicables aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur, tels que les contrats « Super Retraite » en cause, et pour tous les versements effectués au titre de ces contrats. En ce sens, les juges du fond ont relevé que ces contrats « à versements programmés » prévoyaient expressément leur reconduction tacite au premier janvier de chaque année, puis énoncé que la tacite reconduction n'entraînant pas la prorogation du contrat initial mais donnant naissance à une convention nouvelle, les contrats litigieux se trouvaient pour ce motif soumis au nouveau dispositif, intégré à leurs conditions générales par l’effet de cette reconduction tacite. Devant la Cour de cassation, les sociétés adhérentes soutenaient qu’en l’absence d’effet rétroactif des nouvelles normes réglementaires, les conditions applicables lors de la souscription du contrat d’assurance-vie demeuraient inchangées pour l’ensemble des versements déjà effectués ou programmés dès la souscription au jour de l’entrée en vigueur des nouveaux textes.

La Cour de cassation leur donne raison et casse l’arrêt d’appel. Elle relève qu'il résulte des articles 2 du Code civil et A. 132-1 du Code des assurances que si la règle applicable aux versements non programmés aux termes du contrat d'assurance est celle en vigueur au moment du versement, ainsi qu'il a été prévu par une disposition spéciale d'application immédiate aux contrats en cours, cette règle ne s’applique pas aux situations juridiques déjà existantes de sorte que les taux minimum garantis restent identiques pour l'ensemble des versements déjà effectués ou programmés à la date de la souscription. La Haute juridiction censure donc la cour d'appel, « qui a fait produire un effet rétroactif à l'article A 132-1 du code des assurances en soumettant à son application les versements programmés dès l'adhésion au contrat ».

Consacré à l’article 2 du Code civil figurant au visa de la décision rapportée, le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, à portée générale, s’illustre également en droit spécial et, notamment, en droit des assurances. Ce principe fondateur de l’application de la loi dans le temps se justifie par le concept de sécurité juridique, dont découle l’interdiction de remettre des situations juridiques valablement constituées sous l’empire de la loi ancienne. Plus précisément, le principe signifie qu’en l’absence d’effet rétroactif, les conditions de validité passées et les effets passés d’une situation juridique, légale ou contractuelle, sont soustraits à l’application de la loi nouvelle.

■ La loi nouvelle n’a pas d’emprise sur les conditions de validité d’une situation juridique légale ou contractuelle passée.

Cette règle connaît deux déclinaisons :

-          D’une part, une situation que la loi proscrivait dans le passé ne pourra pas être régularisée grâce à la loi nouvelle ; par exemple, un couple homosexuel qui s’est marié en 2010 verra son mariage invalidé et la loi de 2013 ayant légalisé le mariage entre personnes de même sexe n’aura pas pour effet de le valider ex post, en vertu du principe de non-rétroactivité.

-          D’autre part, une situation qui s’était constituée conformément à la loi ancienne ne pourra pas être invalidée par la loi nouvelle ; par exemple, si une loi était prise en 2023 pour supprimer celle de 2013 et restaurer l’interdiction du mariage homosexuel, cette loi nouvelle n’aurait pas pour effet d’invalider les mariages homosexuels célébrés entre 2013 et 2023, en vertu du principe de non-rétroactivité.

■ La loi nouvelle n’a pas d’emprise sur les effets passés d’une situation juridique légale ou contractuelle.

Par exemple, un contrat de prêt stipulant un taux d’intérêt de 5 % a été conclu en 2017 pour 5 ans. La perception des intérêts est un effet du contrat. Partant, si une loi nouvelle promulguée en 2023 abaisse le seuil des taux d’intérêt des prêts à 3 %, l’emprunteur ne pourra pas se prévaloir de cette nouvelle loi pour obtenir la restitution des intérêts supérieurs à 3 % versés avant l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi, en vertu du principe de sa non-rétroactivité.

C’est à ce titre qu’en l’espèce, la deuxième chambre civile refuse d’appliquer les nouvelles dispositions, modifiant les taux des contrats de capitalisation, aux taux minimums garantis initialement prévus, demeurant inchangés pour ce qui concerne les versements déjà effectués ou programmés à la souscription du contrat.

Il est encore à noter que par exception, trois types de lois rétroactives sont susceptibles d’être édictées :

-          les lois de validation, visant à régulariser, de manière rétroactive, des actes annulés ou susceptibles de l’être par le juge ;

-          les lois interprétatives, visant à clarifier l’interprétation d’un texte antérieur ; s’incorporant à la loi qu’elle interprète, la loi interprétative rétroagit, en principe, à la date d’entrée en vigueur de la loi interprétée ;

-          les lois déclarées rétroactives par le législateur.

En l’espèce, c’est précisément par une disposition spéciale, déclarée d’application immédiate par son auteur, que la modification du taux se retrouve applicable aux versements non programmés en cours de contrat.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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