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[ 30 août 2011 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Principe de sécurité juridique v. principe de non-discrimination

Mots-clefs : Succession, Partage, Enfant adultérin, Discrimination, Dispositions transitoires, Principe de sécurité juridique

La Cour européenne des droits de l’homme fait prévaloir le principe de sécurité juridique dans une affaire relative à l'éviction d'un enfant adultérin de la succession de sa mère qui mettait en cause l’interprétation des dispositions transitoires de la loi du 3 décembre 2001.

Un homme, né d’une relation adultérine de sa mère, avait été évincé de la succession de celle-ci. La Cour de cassation a refusé de le faire bénéficier des dispositions de la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001, qui a supprimé les dispositions du Code civil qui restreignaient les droits successoraux des enfants adultérins. Avant cette loi en effet, le droit protégeait le conjoint victime d’un adultère et les enfants légitimes nés de l’union au cours de laquelle l’adultère avait été commis en limitant les droits de l’enfant adultérin. Trois mesures étaient principalement prévues : la diminution de la part successorale de l’enfant adultérin, l’augmentation du droit des personnes protégées à une attribution préférentielle et l’exclusion possible de l’enfant adultérin du partage par une attribution anticipée des biens (v. Rep. dr. civ. Dalloz). C’est ainsi qu’en l’espèce, la mère du requérant avait réglé sa succession dès 1970 en faisant avec son mari une donation-partage de leurs biens entre leurs enfants légitimes.

À la suite de la condamnation de la France dans l’arrêt Mazurek par la CEDH (CEDH, 1er févr. 2000, Mazurek c. France) qui a estimé que cette différence de traitement des enfants adultérins était discriminatoire, la loi du 3 décembre 2001 a abrogé les dispositions qui leur étaient spécifiquement applicables. Ce faisant, elle a consacré l’égalité successorale des enfants, quelle que soit la nature de leur filiation.

Le requérant entendait dès lors bénéficier de l’application de la loi de 2001, ce qui lui a été refusé par la Cour de cassation pour laquelle « les dispositions relatives aux nouveaux droits successoraux des enfants naturels dont le père ou la mère étaient, au temps de la conception, engagés dans les liens du mariage, ne sont applicables qu’aux successions ouvertes au 4 décembre 2001 et n’ayant pas donné lieu à partage avant cette date ». Or, en l’espèce, la Cour a estimé que le partage s’était réalisé par le décès de la mère du requérant le 28 juillet 1994.

C’est ainsi que la CEDH s’est trouvée saisie de cette affaire, le requérant invoquant une violation de l’article 14 de la Convention EDH (interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 1 du Protocole n° 1 (protection de la propriété). Dans son arrêt du 21 juillet 2011, elle a conclu à la non-violation de ces dispositions. Elle a en effet considéré que l’interprétation de la Cour de cassation n’était pas discriminatoire dans la mesure où elle poursuivait le but légitime de garantir le principe de sécurité juridique. Or, dans cette affaire, la donation-partage était intervenue en 1970. Et, s’il faut attendre le décès du donateur pour qu’une donation-partage devienne un partage successoral, il n’en demeure pas moins que les enfants légitimes de la mère du requérant pouvaient se prévaloir de « droits acquis de longue date ». La CEDH en a par conséquent conclu que les juridictions nationales avaient « correctement mis en balance » lesdits droits et les intérêts pécuniaires du requérant, évincé de la succession.

Si le raisonnement suivi par la Cour de cassation est ainsi accepté par la CEDH, il convient toutefois de relever qu'une opinion dissidente a été exprimée par les juges Spielmann et Costa (v. lecture complète en fin d’arrêt). Pour ces derniers, en effet, le principe de non-discrimination est plus important en droit et en équité que ceux des droits acquis et de la sécurité juridique. En outre, il leur semble paradoxal qu' « une législation censée tirer les conséquences de l'un de nos arrêts n'applique cet arrêt que pour les successions non encore ouvertes ». Ils relèvent enfin que « conclure à la non-violation reviendrait à donner la possibilité au législateur d'écarter rétroactivement la force obligatoire des arrêts qui résulte de l'article 46 de la Convention ». En l'espèce, l'interprétation faite par la Cour de cassation des dispositions transitoires de la loi de 2001 a eu pour effet de priver totalement le requérant de son droit à la succession de sa mère au profit des enfants légitimes de cette dernière. « Or la Convention, qui a un caractère dynamique et entraîne des obligations positives pour les États, est un instrument vivant, à interpréter à la lumière des conditions actuelles, et les États membres du Conseil de l'Europe attachent de nos jours de l'importance à l'égalité entre enfants issus du mariage et enfants nés hors mariage ». Les juges Spielmann et Costa en concluent que, les juges nationaux n'ayant pas fait primer la disposition législative transitoire dans son sens le plus conforme à la Convention telle qu'interprétée par la jurisprudence de la CEDH, il n'y a pas eu de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

CEDH 21 juill. 2011, req. n° 16574/08, Fabris c. France

Références

CEDH 1er févr. 2000, n° 34406/97, Mazurek c. France, D. 2000. 332, note J. Thierry ; ibid. 626, chron. B. Vareille ; GAJC, 12e éd., 2007, n° 99 ; RDSS 2000. 607, obs. F. Monéger ; RTD civ. 2000. 311, obs. J. Hauser ; ibid. 429, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 601, obs. J. Patarin.

■ R. le Guidec et G. Chabot, V° « Succession », Rep. dr. civ. Dalloz, n° 196.

■ A.-M. Leroyer, Droit des successions, 2e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2011, n°73 et s.

Donation-partage

Acte par lequel une personne, de son vivant, transfère à ses héritiers présomptifs (c’est la donation) et répartit entre eux (c’est le partage), ses biens présents ; ils en deviennent immédiatement et irrévocablement propriétaires ou nus-propriétaires ou usufruitiers, selon que la donation porte sur la propriété des biens ou leur nue-propriété ou leur usufruit. Elle bénéficie d’un régime juridique et fiscal très favorable.

Si le Code civil n’autorisait les donations-partages qu’au profit des descendants, son domaine s’est progressivement agrandi : une loi du 5 janvier 1988 en a étendu la possibilité au profit d’autres personnes (pour faciliter la transmission d’une entreprise individuelle) et aujourd’hui, la donation-partage est possible en faveur de tous les héritiers présomptifs (L. du 23 juin 2006). Cette dernière loi autorise même la donation-partage « transgénérationnelle » (par laquelle les enfants de l’ascendant peuvent consentir à ce que leurs propres descendants soient allotis en leurs lieu et place, en tout ou en partie, ce qui constitue un pacte sur succession future exceptionnellement autorisé par la loi) et la donation-partage conjonctive qui permet à un couple d’englober dans un même acte des enfants de lits différents, à condition qu’il y ait au moins un enfant commun (les biens communs peuvent alors être attribués indifféremment à n’importe quel enfant, même non commun, en conservant le régime fiscal de faveur, alors que les biens propres à chaque époux doivent revenir à ses propres enfants). »

Filiation adultérine

« Filiation d’un enfant dont le père ou la mère était, au temps de sa conception, engagé dans les liens du mariage avec une autre personne. Depuis l’ordonnance no 2005-759 du 4 juillet 2005, cette filiation ne constitue plus une cause d’infériorité à succéder : l’enfant né d’une telle filiation relève de la catégorie des enfants non conçus ou nés pendant le mariage. »

Partage

« Opération qui met fin à une indivision, en substituant aux droits indivis sur l’ensemble des biens une pluralité de droits privatifs sur des biens déterminés.

Le partage est amiable lorsque tous les indivisaires sont présents, capables et d’accord. À défaut, le partage est fait en justice.

L’évaluation des biens a lieu au jour du partage; ce jour est dénommé jour de la jouissance divise parce que le droit aux revenus des copartageants ne naît qu’à ce moment-là. Grâce à cette date d’évaluation, la plus-value acquise ou la moins-value subie pendant le cours de l’indivision profite ou préjudicie à tous les indivisaires. »

Principe de sécurité juridique

[Droit européen]

« Principe de droit communautaire (aujourd’hui de l’Union européenne) selon lequel les particuliers et les entreprises doivent pouvoir compter sur une stabilité minimale des règles de droit et des situations juridiques. Il en découle un certain nombre de règles de droit positif, comme la non-rétroactivité des textes européens, ou le principe de confiance légitime. »

[Droit civil]

« En droit civil, le principe n’est pas reconnu par la Cour de cassation qui refuse de considérer qu’il existe un droit à ne pas voir ses prévisions remises en cause par un revirement de jurisprudence. Dans 2 arrêts du 11 juin 2009 la 1re chambre civile, renouvelant sa position antérieure, décide que “ la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l’application immédiate d’une loi nouvelle résultant d’une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s’en prévaut n’est pas privée du droit à l’accès au juge” ».

Discrimination

« Situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable (discrimination directe). Il y a discrimination indirecte lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence est susceptible d’entraîner pour les mêmes motifs un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres.

Ces 2 types de discrimination sont interdits. Il suffit à la victime de présenter à la juridiction compétente les faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination; la partie défenderesse ayant la charge de prouver que la mesure dénoncée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. »

Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 14 - Interdiction de discrimination

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Article 46 - Force obligatoire et exécution des arrêts

« 1. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L'arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l'exécution.

3. Lorsque le Comité des Ministres estime que la surveillance de l’exécution d’un arrêt définitif est entravée par une difficulté d’interprétation de cet arrêt, il peut saisir la Cour afin qu’elle se prononce sur cette question d’interprétation.

La décision de saisir la Cour est prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité.

4. Lorsque le Comité des Ministres estime qu’une Haute Partie contractante refuse de se conformer à un arrêt définitif dans un litige auquel elle est partie, il peut, après avoir mis en demeure cette partie et par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité, saisir la Cour de la question du respect par cette partie de son obligation au regard du paragraphe 1.

5. Si la Cour constate une violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres afin qu’il examine les mesures à prendre. Si la Cour constate qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres, qui décide de clore son examen.

Article 1er du Protocole n°1 – Protection de la propriété

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

 

Auteur :I. G.


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