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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Privacy
Même sans divulgation extérieure au cercle familial, l'envoi répétitif de SMS menaçants et d'appels téléphoniques malveillants à un membre de sa famille constitue une atteinte à sa vie privée.
Reprochant à son beau-frère de lui avoir adressé des SMS menaçants et réitérés, la victime de ce harcèlement téléphonique l'avait assigné en réparation de son préjudice sur le fondement du droit au respect de sa vie privée. Pour rejeter sa demande, le tribunal d’instance retint que si les messages et signaux malveillants reçus sur son téléphone étaient de nature à troubler sa tranquillité, ils ne pouvaient cependant constituer une atteinte à sa vie privée puisqu'ils revêtaient un caractère purement privé, la preuve n'étant pas rapportée que les menaces et dénigrements avaient également fait l'objet d'une divulgation extérieure à la sphère familiale.
La victime forma un pourvoi en cassation, au moyen « qu'une immixtion arbitraire dans la vie d'autrui constitue par elle-même une atteinte à la vie privée, peu important qu'elle intervienne au sein d'une « sphère familiale » et qu'elle s'accompagne ou non d'une divulgation hors de cette sphère ». Au visa de l’article 9 du Code civil, la Cour de cassation casse le jugement rendu, au motif que l'absence de divulgation ne suffisait pas à écarter l'atteinte en l’espèce portée à la vie privée du demandeur.
L’affaire ayant donné lieu à la décision rapportée conduit à remettre en cause plusieurs idées reçues sur la notion de vie privée.
Tout d’abord celle consistant à définir la vie privée par opposition à la vie publique, cette dernière pouvant être, plus aisément que la première, définie selon un double critère résidant d’une part dans la visibilité des actes accomplis par la personne et, d’autre-part, dans l’accessibilité de leur champ d’action : ainsi, alors que la vie publique se réfère à la vie exposée, à celle qui se déroule dans l’espace public, dans des lieux accessibles à tous ou au plus grand nombre, la vie privée correspondrait, a contrario, à la sphère intime que l’on veut cachée, à celle menée à l’abri des regards, dans un lieu protégé. Communément admis, ce critère de distinction entre vie publique et vie privée révèle pourtant par sa difficulté à le mettre en œuvre son manque de pertinence. Prenons l’exemple simple d’un mariage. Par nature privé, cet acte comporte également, dans sa manifestation, un aspect public, principalement au commencement et à l’issue de la cérémonie ; l’arrivée comme la sortie en cortège des époux s’effectuent dans un lieu public qui tempère le caractère privé de l’événement, a fortiori, lorsqu’il concerne des personnes elles-mêmes publiques. Pourtant, la publication d’une vidéo filmant un couple célèbre à l’issue de la cérémonie de leur mariage, sans leur consentement, s’analysera comme une atteinte à leur vie privée, quand bien même la séquence aura été tournée dans un espace public, en raison de la révélation non autorisée de circonstances intimes de leur union (CA Paris, 6 oct. 1999). Le distinguo vie privée /vie publique est donc plus utilisé qu’utile pour définir précisément la notion de vie privée, au contenu il est vrai d’autant moins saisissable que la loi reste muette le concernant. L’article 9, alinéa 1er du Code civil fait en effet une simple référence à la « vie privée », sans autre précision ; cependant, le second alinéa semble réserver sa sanction aux atteintes faites à l’ « intimité de la vie privée ». Cette variante sémantique est plus significative qu’il n’y paraît, comme en témoigne la décision rapportée : plutôt que de se référer à la « vie privée », terme dont le flou et l’ambiguïté empêchent de saisir le sens exact de la notion, peut-être serait-il préférable de se fonder sur un « droit à la tranquillité d’existence ». Au fond, il s’agirait d’« un droit au calme », ce que les Américains dénomment plus justement que nous le « right of privacy » (Libertés et droits fondamentaux, ss la dir. R. Cabrillac, T. Revet, Dalloz, 16 éd., n° 311, p. 201). Dans cette affaire, les juges relevant le trouble avéré à la tranquillité de la victime soutenaient précisément cette idée que le droit au respect de sa vie privée serait moins un droit au secret qu’un droit à la quiétude. La vie privée s’apparenterait alors à une sorte d’ataraxie dépassant la distinction traditionnelle entre la sphère privée, close et inaccessible, et la sphère publique, ouverte et exposée, la définition ici proposée d’un droit à ne pas voir sa tranquillité troublée permettant en outre d’offrir à la personne, titulaire ce « ce droit-créance » que constitue le respect dû à la vie privée, la possibilité de l’opposer à autrui quels que soient les lieux et les fonctions, privés ou publics, qu’elle occupe, et de contourner du même coup la difficulté de déterminer le caractère public ou privé de ces lieux et de ces fonctions, voire de certaines activités. Ainsi, généraliser cette acception de la notion de vie privée ouvrirait le champ de la protection du droit à son respect.
Ensuite, la solution ici rendue permet de rappeler ce que notre ère hyper médiatique pourrait nous faire oublier, à savoir que le principe de respect dû à la vie privée ne conduit pas seulement à interdire certaines révélations ou divulgations de faits privés ; comme le rappelait à juste titre l’auteur du pourvoi, elle proscrit également les immixtions forcées et les intrusions illégitimes dans la sphère privée de la personne (Civ. 1re, 6 mars 1996, n° 94-21.122 ; Civ. 2e, 3 juin 2004, n° 02-19.886). Comme le rappelle la Cour, est illicite toute immixtion arbitraire dans la vie privée d’autrui, telle que celle prenant la forme d’un harcèlement téléphonique (quoique l’illicéité de l’immixtion ne puisse être seulement déduite du caractère pénalement répréhensible de l’action, Civ. 2e, 3 juin 2004, préc.), peu important sa divulgation. Si celle-ci se présente généralement comme une manifestation de l’atteinte portée à la vie privée de la personne, elle n’en constitue pas pour autant un critère. Autrement dit, l’atteinte à la vie privée peut naître de la seule immixtion dans la vie personnelle d’autrui sans qu’il soit nécessaire, pour la sanctionner, qu’elle s’accompagne d’une diffusion des faits privés constitutifs de cette immixtion ou de ceux par ce biais obtenus. L’atteinte peut donc être caractérisée par une intrusion illicite dans la vie privée d’autrui, sans extériorisation de celle-ci. Ce rappel est opportun tant la jurisprudence contemporaine, le plus souvent amenée à connaître de litiges portant sur la révélation de faits privés par des organes de presse ou autres médias, alimente l’idée qui, sans être inexacte, mérité d’être nuancée, que l’atteinte à la vie privée naît forcément d’une diffusion, d’une médiatisation et donc d’une extériorisation d’un fait privé. La décision commentée illustre le fait qu’elle peut tout aussi bien provenir d’une intrusion sans divulgation. Cela renforce l’opportunité du concept de privacy : pouvoir opposer à autrui cette imperméabilité de la vie privée, c’est admettre que l’intimité doit être protégée au sein même des frontières de la sphère personnelle autant qu’elle l’est en dehors de ces frontières. La troubler de l’intérieur ou l’exposer à l’extérieur, sans y avoir été autorisé, est dans tous les cas illicite car à chaque fois, c’est bien la tranquillité d’existence de la personne qui se trouve perturbée.
Enfin, cette décision condamne l’habituelle association du droit au respect de la vie privée avec celui dû à la vie familiale, le premier étant généralement présenté comme englobant le second (le « droit au respect de la vie privée et familiale) qui occulte le principe de distinction de ces deux droits subjectifs, dont les sources comme les implications diffèrent quoiqu’ils puissent parfois, en pratique, être en même temps et par le même fait, atteints. En l’espèce, comme un pied de nez à leur inexacte confusion, la vie familiale manifestement conflictuelle des intéressés est à l’origine même de l’atteinte à la vie privée de l’un d’eux. Le manque de respect dans la vie d’une famille peut donc conduire à un manque de respect à la vie privée de l’un de ses membres, qui justifie de sanctionner celui qui y a attenté, sans que sa responsabilité puisse être atténuée par le fait que sa faute ait été commise dans un cercle privé…
Bref, la vie privée comme la vie de famille n’est décidément pas chose facile…
Civ. 1er, 20 mai 2020, n° 19-20.522
Références
■ CA Paris, 6 oct. 1999: D. 2000. 268, note A. Lepage
■ Civ. 1re, 6 mars 1996, n° 94-21.122 P : D. 1997. 7, note Ravanas
■ Civ. 2e, 3 juin 2004, n° 02-19.886 P: D. 2004. 2069, note J. Ravanas ; ibid. 2005. 1821, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 2643, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot ; RTD civ. 2004. 489, obs. J. Hauser ; ibid. 736, obs. J. Mestre et B. Fages
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