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Droit de l'entreprise en difficulté
Procédure collective : vers une protection des biens du conjoint du débiteur ?
Mots-clefs : QPC, Procédure collective, Régimes matrimoniaux, Conjoint, Bien, Action en réintégration d’actif, Droit de propriété
En l’absence de toute disposition retenue par le législateur pour assurer un encadrement des conditions dans lesquelles la réunion à l'actif est possible, les dispositions de l'article L. 624-6 du Code de commerce sont inconstitutionnelles.
Dans le cadre d’une procédure collective, comment concilier l’intérêt des créanciers avec celui du conjoint du débiteur ? C’est la question à laquelle le Conseil constitutionnel a indirectement du répondre lorsqu’il a été saisi en novembre 2011 (Com. 2 nov. 2011) par la chambre commerciale d’une question prioritaire de constitutionnalité (art. 61-1 Const.) relative à la conformité aux droits et libertés de la Constitution de l’article L. 624-6 du Code de commerce.
Lorsqu’une personne fait l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, il est nécessaire de déterminer l’assiette de son patrimoine afin d’apurer le passif et permettre le désintéressement des créanciers (ou la continuation de l’entreprise). Ainsi, lorsque le débiteur est marié sous le régime de la communauté, l’actif est constitué des biens propres du débiteur et des biens communs ; dans un régime séparatiste, de ses biens personnels et des biens indivis. Les biens propres du conjoint, non partie à la procédure, ne sont donc en principe pas menacés. Toutefois, afin d’éviter toute fraude du débiteur qui dissimulerait certains biens dans le patrimoine de son conjoint, l’article L. 624-6 du Code de commerce prévoit la reprise en nature des biens acquis pendant la durée du mariage par le conjoint avec des valeurs fournies par le débiteur. Cette disposition a pour conséquences de désigner comme véritable propriétaire celui qui a financé l’acquisition et non celui que les règles du droit civil désignent, à savoir celui dont le nom figure sur le titre de propriété (Civ. 1re, 9 oct. 1991 ; Civ. 1re, 14 janv. 2003 : « Le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement »). Ainsi, le conjoint du débiteur se trouve privé de tout droit réel stable sur ledit bien.
Dans sa décision ici commentée, le Conseil constitutionnel déclare l’article L. 624-6 du Code de commerce contraire à la Constitution. Il constate que la réunion de l’actif en nature est possible quelles que soient la cause de l’apport, son ancienneté (le divorce n’empêchant pas la réintégration du bien dans l’actif : Com. 16 janv. 2007), l'origine des valeurs, l'activité exercée par le conjoint à la date de l'apport, et que la proportion de ce dernier dans le financement du bien n’est pas non plus prise en compte. Les Sages concluent qu’en « l’absence de toute disposition retenue par le législateur pour assurer un encadrement des conditions dans lesquelles la réunion à l'actif est possible », les dispositions de l’article L. 624-6 portent une atteinte disproportionnée au droit de propriété du conjoint au regard du but poursuivi (art. 2 DDHC).
Devons-nous, pour autant, conclure à la disparition de l’action en réintégration d’actif et à une protection garantie dans le temps des biens du conjoint non partie à une procédure collective ? Il est encore trop tôt pour le dire puisqu’en usant de la formule « en l’absence de toute disposition », le Conseil constitutionnel semble inviter le législateur à revoir sa copie pour assurer l’encadrement adéquat.
Cons. const. 20 janv. 2012, n°2011-212 QPC
Références
■ Article L. 624-6 du Code de commerce, abrogé au 21 janvier 2012
« Le mandataire judiciaire ou l'administrateur peut, en prouvant par tous les moyens que les biens acquis par le conjoint du débiteur l'ont été avec des valeurs fournies par celui-ci, demander que les acquisitions ainsi faites soient réunies à l'actif. »
■ Article 61-1 de la Constitution de 1958
« Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.
Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »
■ Article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789
« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. »
■ Com. 2 nov. 2011, n°10-25.570.
■ Civ. 1re, 9 oct. 1991, n°90-15.073.
■ Civ. 1re, 14 janv. 2003, n°00-16.612.
■ Com. 16 janv. 2007, n°04-14.592.
[Droit civil]
« Biens qui font partie de la communauté entre époux et qui sont partagés par moitié après la dissolution du régime matrimonial, sauf stipulation de parts inégales. »
[Droit civil]
« Biens faisant l’objet d’une indivision dont la gestion est étroitement réglementée par la loi. Mises à part les mesures conservatoires qui peuvent être prises par un indivisaire seul, il est demandé l’unanimité des indivisaires pour les actes qui ne ressortissent pas à l’exploitation normale des biens ainsi que pour tous les actes de disposition, et la majorité des 2 tiers pour les actes d’administration, la vente de meubles indivis nécessaires au paiement de dettes, les baux à usage d’habitation, l’attribution d’un mandat général d’administration. (…) »
[Droit civil]
« Dans un régime matrimonial de communauté, biens appartenant à l’un ou à l’autre des époux et qui ne tombent pas dans la masse des biens communs. À la dissolution de la communauté, chaque époux reprend ses biens propres. »
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
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