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Procédure civile
Procédure d’appel : l’absence de reprise des chefs critiqués dans les conclusions est sans incidence sur l’effet dévolutif
L’article 915-2 du Code de procédure civile prévoit la faculté pour l’appelant de modifier dans le dispositif de ses premières conclusions les chefs du dispositif du jugement critiqués qui sont mentionnés dans sa déclaration d’appel. Si l’appelant n’use pas de cette faculté, et que ceux-ci ne sont pas repris dans le dispositif de ses premières conclusions, les chefs du dispositif du jugement critiqué mentionnés dans la déclaration d’appel sont tout de même dévolus à la cour d’appel. Tel est l’avis important émis par la Cour de cassation le 20 novembre dernier : l’absence de reprise, dans le dispositif des premières conclusions, des chefs du jugement critiqués dans la déclaration d’appel ne conduit pas à la perte de l’effet dévolutif, dès lors que l’appelant n’use pas de la faculté prévue par l’article 915-2 du Code de procédure civile.
Cass. avis, 20 nov. 2025, n° 25-70.017
En principe, l’effet dévolutif de l’appel s’opère uniquement par la déclaration d’appel des chefs de jugement critiqués qu’elle mentionne. Dans cette perspective, la loi prévoit que l’appelant doit, notamment à peine de nullité, mentionner dans sa déclaration d’appel les chefs du dispositif du jugement qu’il entend critiquer (C. pr. civ., art. 901). Cependant, la Cour de cassation a substitué à la sanction d’une nullité de forme celle de la perte d’effet dévolutif. Elle a en effet affirmé que seul l’acte d’appel opère dévolution des chefs critiqués du jugement de sorte que s’il ne les vise pas, l’effet dévolutif n’opère pas et la cour d’appel doit constater qu’elle n’est pas saisie (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528). Ce changement est considérable pour le justiciable : la perte de l’effet dévolutif sur un chef de jugement équivaut à la confirmation définitive de ce chef, sans possibilité pour la cour d’appel de procéder à son examen.
L’enjeu lié à l’effet dévolutif de l’appel est apparu en même temps que son formalisme s’est accru pour étendre l’exigence d’effet dévolutif de l’acte d’appel aux conclusions de l’appelant, principal ou intimé : l’appelant a non seulement l’obligation de récapituler dans le dispositif de ses conclusions l’ensemble des chefs critiqués, même s’ils sont déjà visés dans la déclaration d’appel, mais également celle, lorsqu’il conclut à l’infirmation de la décision, d’énoncer les chefs du dispositif du jugement critiqués dans le dispositif de ses conclusions (art. 954, al. 2, issu du décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023, portant « simplification » de la procédure d’appel). Lorsque l’infirmation est demandée, les chefs du dispositif du jugement critiqués doivent désormais être obligatoirement listés dans le dispositif des conclusions de l’appelant.
Mise à l’épreuve du dispositif des conclusions, la dévolution réalisée par la déclaration d’appel est encore confrontée à la faculté pour l’appelant principal de modifier, dans le dispositif de ses premières conclusions, les chefs du dispositif du jugement critiqués tels qu’ils sont mentionnés dans sa déclaration d’appel (C. pr. civ., art. 915-2).
Dans ce cadre normatif épars, la demande d’avis formée par la Cour d’appel de Paris était la suivante : en l’absence de toute reprise des chefs du dispositif du jugement critiqués dans le dispositif de ses premières conclusions, les chefs du dispositif du jugement critiqués par l’appelant dans sa déclaration d’appel sont-ils dévolus à la cour ?
La configuration procédurale était la suivante : un appelant avait, dans sa déclaration d’appel, expressément mentionné les chefs du jugement critiqués, conformément à l’article 901 du Code de procédure civile. Toutefois, dans le dispositif de ses premières conclusions, il n’avait pas repris cette énumération, se contentant de solliciter l’infirmation de la décision frappée d’appel. L’intimé prenait prétexte de cette lacune pour invoquer l’absence d’effet dévolutif : l’article 954, al. 2, poserait une condition supplémentaire de l’effet dévolutif, et non une simple exigence formelle.
La Cour de cassation n’est pas de cet avis. Elle considère que si l'étendue de la dévolution est délimitée dans la déclaration d'appel comportant les chefs du dispositif du jugement critiqués, celle-ci peut être modifiée dans les premières conclusions de l'appelant principal, lorsque ce dernier fait usage de l’article 915-2. Elle précise qu’en conséquence, si l'appelant ne fait pas usage de cette faculté, la mention des chefs du dispositif du jugement critiqués dans la déclaration d'appel emporte effet dévolutif de l'appel, selon l'étendue ainsi définie, sans que l'appelant soit tenu de les mentionner à nouveau dans le dispositif de ses premières conclusions. Selon la Cour, l’article 915-2 n’impose pas, en effet, que ces premières conclusions reprennent les chefs du dispositif du jugement critiqué, le nouveau texte visant seulement à permettre à l’appelant principal de moduler le périmètre de l’effet dévolutif de l’appel réalisé par la déclaration d’appel. Dans cette configuration, l'absence de répétition des mentions de l’acte d’appel dans le dispositif de ses conclusions ne saurait emporter la perte d’effet dévolutif.
En définitive, la Cour de cassation est d'avis que lorsque l'appelant principal ne fait pas usage de la faculté offerte par l'article 915-2, alinéa 1, du Code de procédure civile, les chefs du dispositif du jugement critiqués par l'appelant dans sa déclaration d'appel restent dévolus à la cour d'appel même si ceux-ci n’ont pas été repris dans le dispositif des premières conclusions.
La Cour privilégie ainsi la finalité du texte – la simplification procédurale – sur sa lettre, plus rigoriste – l’absence d’effet dévolutif à défaut de reprise dans le dispositif des conclusions des chefs du jugement dont il est demandé l’infirmation. Pour mettre en œuvre cette méthode téléologique, la Haute juridiction lève habilement l’obstacle érigé par l’article 954, al. 2 en centrant son raisonnement sur l’article 915-2 : de cette simple faculté de l’appelant de modifier les chefs critiqués, la Cour déduit a contrario que l’absence de modification vaut maintien du périmètre initial de la dévolution tel qu’il a été fixé par la déclaration d’appel.
La solution inverse de refuser l’effet dévolutif en l’absence de reprise formelle des chefs critiqués au dispositif des premières conclusions, alors même que la déclaration d’appel les mentionnait expressément, aurait sans doute constitué une sanction disproportionnée, d’autant plus qu’aucun texte ne prévoit expressément cette sanction.
L’interprétation de la Cour prolonge de surcroît sa jurisprudence récente, selon laquelle « seul l’acte d’appel emporte dévolution des chefs critiqués du jugement » (Civ. 2e, 30 avr. 2025, n° 23-18.993). La déclaration d’appel reste ainsi l’acte fondateur de la saisine de la cour, en sorte que les conclusions, même les premières, ne sauraient modifier rétroactivement cette saisine que dans les cas exceptionnellement prévus par la loi.
On peut toutefois regretter que deux points aient été laissés en suspens par la Cour. Le premier, le plus substantiel, tient à l’office du juge d’appel, l’avis restant muet sur l’article 954 alinéa 3, qui fonde le principe selon lequel le dispositif des conclusions délimite l’office du juge d’appel. Or si l’appelant ne reprend pas dans ce dispositif, comme il y est ici autorisé, la demande d’infirmation de certains chefs du jugement, comment la cour pourra-t-elle statuer sur ces chefs ? L’analyse retenue par la Cour conduit à cette situation procédurale paradoxale où la cour serait saisie, au titre de l’effet dévolutif, de chefs sur lesquels elle ne pourrait statuer faute de prétention en ce sens dans le dispositif des conclusions. Interrogeant sa portée, le second point délaissé dans cet avis tient dans l’hypothèse d’une reprise partielle des chefs critiqués. L’avis réserve en effet expressément l’hypothèse où l’appelant fait usage de la faculté offerte par l’article 915-2, alinéa 1er. Dans ce cas, le périmètre de la dévolution est modifié par les premières conclusions, et la cour est saisie des chefs « ainsi déterminés ». Mais qu’advient-il si l’appelant, dans le dispositif de ses premières conclusions, ne reprend que certains des chefs mentionnés dans la déclaration d’appel ? Faut-il considérer qu’il a implicitement usé de la faculté de « retrancher » les chefs non repris, perdant ainsi le bénéfice de l’effet dévolutif sur ces points ? L’avis ne tranche pas directement cette question, mais une réponse affirmative doit être privilégiée. Si l’appelant ne reprend dans ses conclusions que certains des chefs mentionnés dans la déclaration d’appel, c’est qu’il a voulu retrancher les autres du périmètre de la dévolution. Retenir l’inverse – les chefs non repris demeurent dévolus – serait contraire à la logique de l’avis ici émis, fondée sur l’absence de modification volontaire du périmètre initial. En somme, si l’absence totale de reprise des chefs critiqués dans les conclusions est désormais sans incidence sur l’effet dévolutif, une reprise partielle équivaudrait, en revanche, à l’abandon des chefs non mentionnés. Mais l’absence de réponse formelle impose aux praticiens une vigilance accrue.
Références :
■ Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528 : D. 2020. 288 ; ibid. 576, obs. N. Fricero ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry ; ibid. 458, obs. N. Cayrol
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