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Droit administratif général
Procédure d’urgence relative à une atteinte grave et manifeste à des libertés publiques
Mots-clefs : Liberté de religion, Liberté de réunion, Laïcité, Utilisation de locaux communaux, Urgence, Référé-Liberté.
En refusant de mettre à disposition une salle communale au cours du mois de Ramadan, la commune de Saint-Gratien a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion et à la liberté de culte.
Par lettre en date du 5 juillet 2011, l’association franco-musulmane de Saint-Gratien a demandé au maire de la commune de Saint-Gratien la mise à disposition gracieuse ou la location d’une salle communale un soir par semaine pour des réunions et prières pendant le mois du Ramadan débutant le 1er août 2011. Le maire a refusé cette demande par décision du 25 juillet, notifiée le 29 juillet.
L’association franco-musulmane saisit alors le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise afin que celui-ci suspende la décision du maire et l’enjoigne de mettre une salle communale à leur disposition. En effet, les musulmans résidant sur le territoire de Saint-Gratien ne possèdent aucun lieu de culte et rencontrent des difficultés pour accéder aux mosquées des communes voisines en raison du nombre important de pratiquants pendant le mois de Ramadan.
Par ordonnance rendue le 8 août dernier (n° 1106560), le juge de l’urgence (art. L. 521-2 CJA), se référant aux articles 1er et 2 de la loi du 9 décembre 1905 et à l’article L. 2144-3 du CGCT, a considéré que la décision du maire portait une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés de culte et de réunion. Il a écarté les moyens en défense de la commune selon lesquels : la commune ne met pas à disposition de salle communale aux fins de pratique cultuelle ; aucun local municipal n’est disponible pendant l’été ; la municipalité serait dans l’impossibilité d’affecter des agents à des missions d’ouverture et de fermeture des salles communales ; et, les réunions de l’association risqueraient de constituer une menace de trouble à l’ordre public. Le juge des référés a en conséquence, suspendu la décision du maire en date du 25 juillet 2011 et enjoint à la commune de mettre à disposition de l’association requérante une salle pour les jours et horaires demandés.
À la suite de cette injonction, la commune informe, le 10 août, par courrier, l’association franco-musulmane du refus de mettre à disposition une salle malgré l’ordonnance du tribunal administratif. L’association saisit alors une nouvelle fois le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Le 16 août 2011 (n° 1106842), le juge des référés ordonne que l’injonction prescrite par l’ordonnance du 8 août soit assortie d’une astreinte de 1 000 euros par jours de retard pour la commune à compter de l’expiration d’un délai de trois jours suivant la notification de l’ordonnance et jusqu’au 27 août inclus.
Le juge des référés du Conseil d’État est ensuite saisi en appel par la commune de Saint-Gratien qui rejette les demandes d’annulation des deux ordonnances du tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Le juge du Palais Royal considère, en l’espèce, qu’il existe une atteinte grave et illégale aux libertés de réunion et de culte. En effet, le Conseil d’État rappelle que les dispositions de l’article L. 2144-3 du CGCT permettent à une commune d’autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, l’utilisation d’un local lui appartenant pour l’exercice d’un culte par une association, dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité, et par suite, toute aide à un culte. Une commune ne peut donc pas rejeter une demande d’une association d’utilisation d’un local dans le but d’exercer un culte. À cette fin, le juge des référés cite le considérant de l’arrêt Commune de Montpellier du 19 juillet 2011 (n° 313518) : « … les collectivités territoriales ne peuvent, sans méconnaître les dispositions précitées de la loi du 9 décembre 1905, décider qu’un local dont elles sont propriétaires sera laissé de façon exclusive et pérenne à la disposition d’une association pour l’exercice d’un culte et constituera ainsi un édifice cultuel ». En appliquant notamment ce considérant à l’espèce, le juge de l’urgence estime que si le règlement d’utilisation des locaux communaux de la ville de Saint-Gratien prévoit la mise à disposition gratuite de ces locaux pour les associations de la commune, cette seule circonstance ne peut faire regarder le prêt d’un local demandé par l’association franco-musulmane comme une libéralité. En effet, la demande est considérée comme brève et limitée dans le temps (1h par semaine pendant un mois) mais l’avantage demandé est également modeste. L’association n’a pas sollicité une mise à disposition exclusive et pérenne d’une propriété communale.
Par ailleurs, le juge de l’urgence relève que la commune de Saint-Gratien n’apporte pas d’éléments permettant d’établir l’impossibilité d’accueillir les réunions de l’association franco-musulmane que ce soit en invoquant la fermeture habituelle de la totalité des salles communales ou l’effectif réduit de ses personnels au mois d’août. Enfin, il ne résulte pas de l’instruction que les réunions que l’association souhaite organiser soient de nature à troubler l’ordre public.
CE, ord., 26 août 2011, Commune de Saint-Gratien, n° 352106 et 352107
Références
[Droit administratif]
« Pour éviter l’inexécution d’une décision rendue par une juridiction administrative contre une personne morale de droit public, ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public, cette juridiction peut prononcer une astreinte en vue d’en assurer l’exécution. »
[Droit administratif]
« Ordre de faire adressé par un juge à une personne publique.
Le principe de séparation des pouvoirs avait longtemps interdit, en principe, à tous les tribunaux d’adresser des injonctions à l’Administration, sauf en matière d’astreinte et en cas de voie de fait.
Le Médiateur de la République et, après lui, le Défenseur des droits peut adresser des injonctions à l’Administration. »
[Droit administratif]
« En contentieux administratif sont juges des référés les présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel et les magistrats qu’ils désignent, et au Conseil d’État le président de la section du contentieux et les conseillers d’État qu’il désigne. »
■ Référé administratif
[Droit administratif]
(…)
« Référé-liberté. Procédure permettant au juge des référés administratif, en cas d’urgence, d’ordonner les mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une collectivité publique (ou un organisme chargé d’une mission de service public) aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale dans l’exercice d’un de ses pouvoirs. Cette atteinte peut être représentée aussi bien par un simple comportement que par une décision juridique. »
[Procédure civile/Procédure pénale/Procédure administrative]
« Décision rendue par le chef d’une juridiction (ainsi ordonnance sur requête ou en référé du président du tribunal de grande instance ou du premier président de la cour d’appel). La même qualification est donnée aux décisions rendues par les magistrats chargés de l’instruction (ainsi juge de la mise en état, juge d’instruction, juge des libertés et de la détention) et à certaines décisions du juge de l’application des peines. Il est important de savoir si une telle ordonnance est un acte d’administration judiciaire ou un acte juridictionnel. »
[Droit général]
« Vaste conception d’ensemble de la vie en commun sur le plan politique et juridique. Son contenu varie évidemment du tout au tout selon les régimes. À l’ordre public s’opposent, d’un point de vue dialectique, les libertés individuelles dites publiques ou fondamentales et spécialement la liberté de se déplacer, l’inviolabilité du domicile, la liberté de pensée, la liberté d’exprimer sa pensée. L’un des points les plus délicats est celui de l’affrontement de l’ordre public et de la morale. »
Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
■ Articles 1er et 2 de la loi du 9 décembre 1905
Article 1er
« La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. »
Article 2
« La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes.
Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.
Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l'article 3. »
■ Article L. 521-2 du Code de justice administrative
« Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »
■ Article L. 2144-3 du Code général des collectivités territoriales
« Des locaux communaux peuvent être utilisés par les associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande.
Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l'administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l'ordre public.
Le conseil municipal fixe, en tant que de besoin, la contribution due à raison de cette utilisation. »
■ CE 19 juillet 2011, Commune de Montpellier, n° 313518, v. Dalloz Actu Étudiant 1er sept. 2011.
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