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Droit de l'entreprise en difficulté
Procédures confidentielles de prévention des difficultés : la presse doit garder le secret !
La publication d’articles révélant le détail de procédures de mandat ad hoc et de conciliation, engagées au profit d’un groupe industriel et couvertes par la confidentialité, ne répond pas au droit légitime du public à être informé sur un débat d’intérêt général, le contenu de ces informations étant sans incidence avérée sur l’emploi et l’économie nationale et leurs destinataires, constitués d’un public spécialisé dont le seul intérêt avait été considéré. Le risque en outre généré par cette divulgation de compromettre le déroulement comme l’issue de ces procédures préventives constitue un trouble manifestement illicite qui justifie leur retrait.
A l’heure où certains journalistes se défendent de l’abus qui leur est parfois reproché de leur droit d’informer, en justifiant par l’intérêt général ou public du débat qu’ils prétendent nourrir la divulgation d’informations en principe couvertes par le secret de l’instruction ou par le secret professionnel, la Cour de cassation vient de confirmer la condamnation de l’éditeur d’un site d’informations financières pour avoir divulgué les détails de procédures confidentielles, tempérant ainsi la valeur sans doute excessive aujourd’hui accordée au principe de transparence et au droit du public à être informé.
Un grand groupe industriel, dominant le marché européen des produits en béton préfabriqués, avait été racheté par une holding qui avait à cette fin recouru à un mécanisme fréquemment décrié au lendemain de la crise financière de 2008, l’achat à effet de levier (ou LBO). À la suite de graves difficultés financières, les dirigeants du groupe, à l’effet d’obtenir des aménagements de la part des prêteurs, avaient saisi le président du tribunal de commerce de Nanterre qui, par deux ordonnances rendues le 11 juillet et le 26 septembre 2012, avait désigné une société en qualité de mandataire ad hoc puis de conciliateur des sociétés du groupe sur le fondement des articles L. 611-3 et L. 611-5 du Code de commerce.
Or, une semaine après que la première eut été rendue, une société éditrice d’un site d’informations financières en ligne, spécialisé dans le suivi de l’endettement des entreprises et consultable par abonnement, avait publié un article commentant l’ouverture de la procédure de mandat ad hoc puis avait, par la suite, diffusé divers articles rendant compte de l’évolution des procédures en cours, exposant les négociations engagées avec les créanciers et citant des données chiffrées sur la situation financière des sociétés concernées. A la fin du mois d’octobre 2012, plusieurs sociétés du groupe ainsi que la société conciliatrice avaient assigné la société éditrice devant le juge des référés pour obtenir le retrait de l’ensemble des articles contenant des informations confidentielles les concernant ainsi que l’interdiction de publier d’autres articles.
Par ordonnance du 16 novembre 2012, le président du tribunal de commerce avait conclu à un trouble manifestement illicite qu’il convenait de faire cesser, mais en appel, les juges avaient infirmé cette ordonnance au motif que la société éditrice, en qualité de tiers aux procédures amiables en cours, ne pouvait être directement tenue de respecter l’obligation de confidentialité énoncée à l’article L. 611-15 du Code de commerce. La cour de cassation avait déjà censuré une telle décision, jugeant que « la diffusion d’informations relatives à une procédure de prévention des difficultés des entreprises, couvertes par la confidentialité, sans qu’il soit établi qu’elles contribuent à l’information légitime du public sur un débat d’intérêt général, constitue à elle seule un trouble manifestement illicite » (Com. 15 déc. 2015, n° 14-11.500). Statuant sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Paris s’était conformée à cette décision, confirmant l’ordonnance du 16 novembre 2012. La société éditrice avait alors formé un nouveau pourvoi en cassation, logiquement rejeté par la Haute cour, confirmant en tous points la décision des juges parisiens.
Ces derniers, après avoir vérifié que la mesure de retrait et d’interdiction demandée était prévue par la loi, qu’elle poursuivait un but légitime et qu’elle était proportionnée à ce but, se sont attachés à examiner le contenu des articles litigieux pour déterminer si, au-delà de l’affirmation de principe selon laquelle les difficultés d’un grand groupe industriel relevaient d’un débat d’intérêt général au regard des répercussions économiques et sociales que ces difficultés pouvaient entraîner, le contenu des articles n’avait pas contribué à nourrir ce débat, et ce faisant, a vérifié si la mesure sollicitée était nécessaire dans une société démocratique au sens de l’article 10, § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui soumet le droit à la liberté d’expression à certaines restrictions légales et nécessaires, dans une société démocratique, notamment pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles. L’issue du contrôle de proportionnalité effectué par les juges du fond doit être approuvé en ce qu’en l’état de leurs constatations et appréciations, desquelles il résulte que les articles litigieux, qui ont divulgué des données chiffrées confidentielles sur les difficultés des sociétés du groupe et les détails des négociations en cours que ces dernières menaient pour restructurer leur dette dans le cadre d’une procédure de conciliation couverte par la confidentialité prévue par l’article L. 611-15 du Code de commerce, n’étaient pas de nature à nourrir un débat d’intérêt général sur les difficultés d’un grand groupe industriel et ses répercussions sur l’emploi et l’économie nationale, mais tendaient principalement à satisfaire les intérêts de ses abonnés, public spécialisé dans l’endettement des entreprises, et que leur publication risquait de causer un préjudice considérable aux sociétés du groupe ainsi qu’aux parties appelées à la procédure de prévention amiable et de compromettre gravement son déroulement et son issue.
On sait que sous l’influence de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation a admis que la contribution de certaines informations au débat d’intérêt général pouvait justifier, malgré les atteintes qu’elles portaient au droit à la vie privée ou à l’image des personnes concernées, leur publication. C’est cette fois sous l’influence du texte conventionnel qui fonde la compétence de la juridiction européenne que la Cour de cassation rappelle la rigueur d’appréciation qu’exige cette concession. En effet, la notion de débat d’intérêt général doit, en tant qu’exception, être étroitement entendue. Ainsi, en matière de droits de la personnalité, un lien direct entre la publication et le débat d’intérêt général doit-il exister. Aussi, lorsque la loi proscrit la divulgation d’informations confidentielles, au sens de l’article 10, § 2 de la Convention européenne, leur révélation doit, pour être légitime, poursuivre un objectif informatif en corrélation étroite et directe avec ce qui peut être considéré comme relevant d’un débat d’intérêt public.
En l’espèce, les juges ont relevé qu’il n’était pas justifié en quoi il pouvait être conforme à l’intérêt général et, en particulier, à la défense de l’emploi et de l’économie de rendre public un compte-rendu en temps réel du déroulement et du contenu des négociations, tandis que les articles diffusés par d’autres sites ou organes de presse se bornaient à faire état, sans plus de détails, des difficultés du groupe ; ils ont également souligné que le public visé, abonné et spécialisé, ne correspondait pas à l’importance de l’audience que sous-entend « le droit à l'information légitime du public » sur une question d’intérêt général. Ils ont enfin relevé, pour justifier la mesure de retrait ordonnée, le préjudice causé aux sociétés dont la situation avait été, du fait des publications litigieuses, d’autant plus fragilisée et son amélioration, par là-même compromise.
Com. 13 févr. 2013, n° 17-18.049
Références
■ Convention européenne de droits de l’homme
Article 10
« Liberté d'expression. 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ Com. 15 déc. 2015, n° 14-11.500 P : D. 2016. 5, obs. A. Lienhard ; ibid. 1894, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas ; Rev. sociétés 2016. 193, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2016. 191, obs. F. Macorig-Venier
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