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Droit de la responsabilité civile
Produit défectueux : l’imputabilité au cœur de la responsabilité du fabricant et du médecin
En l’absence d’imputabilité de la maladie de la victime au vaccin qui lui a été injecté, la responsabilité de plein droit du fabricant comme la responsabilité pour faute du praticien ne peuvent être engagées.
Alléguant l'existence de troubles graves causés à leur fils par un vaccin contre l'hépatite B, des parents avaient, en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de l'enfant, assigné en responsabilité et indemnisation le producteur du vaccin ainsi que le praticien qui l’avait administré.
La cour d’appel rejeta leurs demandes fondées sur le défaut du produit et sur la faute médicale du praticien au motif que la faute du praticien n’était pas établie et que quand bien même elle l’aurait été, l’absence d’imputabilité de la maladie à la vaccination écartait non seulement la responsabilité du fabricant sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux mais également celle, pour faute prouvée, du médecin faute de lien causal entre la faute éventuelle d’imprudence que celui-ci aurait commise en procédant à une seconde injection du vaccin. Elle accueillit en revanche la demande des parents formée au titre du manquement du praticien à son devoir d’information sur les risques inhérents à l’acte pratiqué dès lors que même dans le cas, ici avéré par l’absence de lien entre le défaut d'information et la survenance du dommage, de la non-réalisation de ces risques, la violation du droit à l'information du patient et de ses parents justifie en elle-même une réparation.
Au soutien de leur pourvoi en cassation, les parents de l’enfant victime soutenaient tout d’abord, pour se prétendre libérés de la charge de la preuve de sa faute professionnelle, l’existence d’un manquement du praticien à une obligation de sécurité de résultat. Ils invoquaient ensuite, pour justifier l’engagement de sa responsabilité au titre d’une faute d’imprudence, le fait qu’il avait procédé à l’injection du vaccin tout en ayant constaté l’absence de similarité des mesures de précaution mentionnées dans un dictionnaire médical avec les indications contenues dans la notice. Ils rappelaient enfin que la preuve de l’incidence d’un vaccin sur la survenance d’une maladie peut résulter de présomptions graves, précises et concordantes, ce qui était en l’occurrence le cas, les éléments produits, liés à la proximité temporelle entre l'administration d'un vaccin et la survenance d'une maladie ainsi qu'à l'absence d'antécédents médicaux personnels et familiaux, en relation avec cette maladie, constituant des indices dont la conjonction aurait dû conduire les juges à considérer qu'ils avaient satisfait à la charge de la preuve pesant sur eux de l’imputabilité de la maladie à l’injection du vaccin.
La thèse de ce pourvoi est d’abord écartée par la Haute cour, au motif que même lorsqu'ils ont recours à des produits de santé pour l'accomplissement d'un acte médical, les professionnels de santé n'engagent leur responsabilité qu'en cas de faute et qu'il appartient au patient de prouver que son dommage est imputable à une telle faute. Or aucune faute ne pouvait être imputée au praticien découlant de la discordance entre la notice et les indications du dictionnaire médical dénoncée par les auteurs du pourvoi et qu'en l'absence d'imputabilité de la maladie à ce vaccin, les juges ont à, bon droit, déduit des différents rapports médicaux versés aux débats et de l’insuffisance probante du faisceau d’indices allégué, que la faute d'imprudence résultant des circonstances de l'injection, à la supposer établie, était sans lien avec la maladie et les dommages dont se prévalaient les demandeurs, la cour d'appel ne pouvait que refuser d’engager la responsabilité du praticien à ces différents titres. La décision des juges du fond est en revanche cassée sous l’angle du droit à l’information. Rappelant que le non-respect par un professionnel de santé de son devoir d'information sur les risques inhérents à un acte individuel de prévention, de diagnostic ou de soins peut, lorsque l'un de ces risques se réalise, faire perdre au patient une chance de l'éviter en refusant qu'il soit pratiqué ou encore causer à celui auquel l'information était due un préjudice résultant d'un défaut de préparation aux conséquences de ce risque, elle reproche aux juges du fond d’avoir engagé la responsabilité du praticien alors qu'elle avait constaté qu'aucun risque dont les demandeurs auraient dû être informés ne s'était réalisé.
Cette décision rappelle tout d’abord la réticence à la fois récente et croissante que les juges nationaux, sous l’influence des juges européens (CJUE 21 juin 2017, n° C-621/15), à admettre la preuve juridique, faute de certitude scientifique, d’un lien de causalité entre l’administration du vaccin contre l’hépatite B et l’apparition de maladies par la concordance d’indices qu’ils refusent de plus en plus souvent de considérer comme suffisamment « graves, précis et concordants » (V. pour une dernière illustration, Civ. 1re, 18 oct. 2017, n° 14-18.118 et 15-20.791), ce qui explique qu’ils n’aient pas, en l’espèce, été convaincus par les indices d'absence d'antécédents et de proximité temporelle entre la vaccination et le déclenchement de la maladie. L’absence d’imputabilité du vaccin à la maladie de l’enfant des demandeurs est capitale dans cette affaire. Elle justifiait à la fois d’exclure la responsabilité du fabricant du vaccin, dont l’engagement dépendait précisément de cette reconnaissance, en même temps que celle, fondée sur la responsabilité pour faute, du praticien, dont elle constitue également une condition nécessaire pour établir le lien causal entre sa faute prétendue et le dommage survenu. Les parents de la victime ne pouvaient, pour cette première raison, obtenir satisfaction.
Concernant le manquement à l’obligation d’information du médecin, l’échec de leur action s’explique plus précisément, compte tenu du fait qu’aucune preuve n'ait été recueillie quant à l'imputabilité de la maladie à l'injection du vaccin, aucun lien entre le défaut d'information et la survenance du dommage ne pouvait davantage être retenu. Or, contrairement à ce qu’avait retenu la cour d’appel, considérant qu'il résulte des droits de la personnalité un droit à l'information du patient et de ses parents dont la seule violation justifie une réparation, même en l'absence de dommages constatés, la responsabilité médicale encourue dans ce cas est conforme aux règles traditionnelles de la responsabilité civile qui exigent, notamment, l’existence d’un lien de causalité. Celles-ci supposent également le constat d’un préjudice, également absent, faute de réalisation du risque dont ils auraient dû être informés puisqu’en effet, il n'existait pas de perte de chance de ne pas contracter la maladie et de préjudice d'impréparation qui soit en relation avec le défaut d'information (sur la notion et l’autonomie des préjudices constitués par la perte de chance et l’impréparation, V. Civ. 1re, 25 janv. 2017, n° 15-27.898). L’insuccès de leurs demandes formées contre le praticien s’explique enfin par leur inaptitude à rapporter la faute de ce dernier, qu’ils avaient entendu fonder, par confusion avec la responsabilité de plein droit pesant sur le fabricant, sur la discordance entre les mentions figurant dans un dictionnaire médical et la notice d'utilisation contenue dans la boîte du vaccin litigieux. En effet, le praticien ne pouvait se voir endosser la responsabilité de plein droit du fabricant du vaccin tenu, en vertu de l'article 1386-4 ancien du Code civil devenu l'article 1245-3 de ce code, de garantir la sécurité du produit en l'accompagnant d'une notice d'utilisation complète mentionnant notamment tous ses effets indésirables, alors qu’il est de principe que la responsabilité des prestataires de soins ne peut être recherchée que pour faute lorsqu'ils ont recours aux produits médicaux nécessaires à l'accomplissement d'un acte médical et qu’en l’espèce, le praticien ne pouvait être logiquement tenu responsable de l’inadéquation desdites indications, dont il n’était pas à l'origine.
Civ. 1re, 14 nov. 2018, n° 17-27.980 et 17-28.529
Références
■ Fiche d’orientation Dalloz : Responsabilité du fait des produits défectueux
■ CJUE 21 juin 2017, n° C-621/15 : AJDA 2017. 1709, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2017. 1807, note J.-S. Borghetti ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RTD civ. 2017. 877, obs. P. Jourdain
■ Civ. 1re, 18 oct. 2017, n° 14-18.118 P et n° 15-20.791 P : D. 2018. 490, note J.-S. Borghetti ; ibid. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RDSS 2017. 1136, obs. J. Peigné ; RTD civ. 2018. 140, obs. P. Jourdain ; RTD eur. 2018. 340, obs. A. Jeauneau
■ Civ. 1re, 25 janv. 2017, n° 15-27.898 P : Dalloz Actu Étudiant, 3 mars 2017 ; D. 2017. 555, note M. Ferrié ; ibid. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; ibid. 2018. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RDSS 2017. 716, note D. Cristol ; RTD civ. 2017. 403, obs. P. Jourdain
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