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[ 14 juin 2013 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Produits défectueux : incertitudes maintenues du contentieux de la vaccination contre l’hépatite B

Mots-clefs : Responsabilité, Produits défectueux, Dommage, Lien de causalité

Si la responsabilité du fait des produits défectueux requiert que le demandeur prouve le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage, la participation du produit à la survenance du dommage est un préalable implicite, nécessaire à l’exclusion éventuelle d’autres causes possibles de la maladie, pour la recherche de la défectuosité du produit et du rôle causal de cette défectuosité, sans pour autant que sa simple implication dans la réalisation du dommage suffise à établir son défaut au sens de l’article 1386-4 du Code civil ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage.

Après plusieurs vaccinations contre l’hépatite B, une femme s’est vue diagnostiquer une sclérose en plaque. Cette dernière, estimant avoir contracté cette maladie en raison des injections du vaccin, a assigné le producteur dudit vaccin en réparation de son préjudice. Elle fut déboutée par la cour d’appel, tant en raison de l’absence de preuve de la défectuosité du produit que de son lien avec la maladie. Le pourvoi qui critiquait ces deux motifs fut rejeté par la Cour de cassation.

Il est de principe qu’une personne agissant sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux doit rapporter la preuve du dommage, du défaut (« atteinte à laquelle on peut légitimement s’attendre », C. civ., art 1386-4) et du lien de causalité entre les deux.

Toutefois, comme le rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt rapporté, le requérant doit avant toute chose (« préalable implicite »), démontrer la participation du produit (en l’espèce, un vaccin), à la survenance du dommage. Cela se comprend aisément en ce que, sans cette implication, la recherche du défaut du produit et de son rôle causal dans la survenance du dommage n’aurait aucun sens. Au surplus, la Cour précise que si cette preuve venait à être apportée, elle ne permettrait pas pour autant d’établir la défectuosité du vaccin et encore moins le lien de causalité entre la vaccination et la maladie succincte.

Partant de ce postulat, pour établir la véracité de ses dires, la victime n’aurait d’autre choix que de rapporter des preuves scientifiques les attestant. Or, lorsqu’une maladie survient à la suite d’un vaccin (ou de la prise d’un médicament), il est très souvent difficile d’établir de façon scientifique le lien entre ces deux événements. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation est venue assouplir le fardeau probatoire des victimes en admettant le recours à des présomptions à condition que celles-ci « soient graves, précises et concordantes » (Civ. 1re, 22 mai 2008). S’agissant de présomptions de fait (et non de présomptions légales liant le juge), il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement et au cas par cas, la valeur et la portée des éléments de preuve qui leur sont soumis.

Dans l’arrêt commenté, la cour d’appel a refusé de donner gain de cause à la requérante, en raison d’arguments scientifiques (par ex : prédisposition génétique), de données statistiques (par ex : le nombre de vaccins administrés sur une période conséquente ne démontrent pas un pic alarmant de scléroses) et de données probatoires (par ex : la chronologie du diagnostic de la maladie contractée deux ans après la vaccination, est « peu probante » puisqu’il pouvait s’agir d’une « simple coïncidence »). La cour d’appel estime que les éléments qui lui étaient présentés auraient pu être tout autant versés par une personne à qui l’on n’aurait pas administré le vaccin.

Face aux arguments susvisés, la requérante se plaignait de la méthode retenue par les juges du fond pour apprécier les preuves rapportées. À ce titre, il convient de noter que la Cour de cassation semble s’être décidée, de manière pérenne, sur la motivation qu’elle attend des juges du fond. Désormais, en l’absence de preuve scientifique, leur appréciation doit être à la fois :

– objective : c’est-à-dire qu’ils doivent procéder à un bilan bénéfices/risques en comparant les avantages du vaccin sur la santé et ses effets indésirables eu égard à leur gravité et à leur fréquence (v. pour ex : Civ. 1re, 24 janv. 2006) ;

– subjective : en prenant en considération l’ensemble des éléments propres à la victime, pour savoir si le produit en question est susceptible, pour elle, d’être défectueux.

En l’espèce, les juges du fonds ayant procédé à une telle appréciation, la Haute cour en conclut qu’ils ont souverainement estimé « que la preuve n’était pas rapportée de la participation du vaccin litigieux à l’apparition de la maladie (…), [ni] celle du défaut du vaccin ».

Ainsi, si la Cour de cassation semble avoir, enfin, dégagé une position claire, l’encre ne cessera pas pour autant de couler, bien au contraire. En effet, certains rejetteront cette décision qui s’inscrit dans un courant jurisprudentiel défavorable aux victimes ayant contracté une maladie à la suite d’une vaccination (v. notamment pour ex., Civ. 1re, 28 avr. 2011 ; Civ. 1re, 28 juin 2012), alors que d’autres la salueront en ce que la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques ne sera pas mécaniquement engagée.

Civ. 1re, 29 mai 2013, n° 12-20.903

Références

■ Buffelan et Larribeau, Droit civil, Les obligations, 13e éd. Sirey, 2012.

■ Jourdain, « Vaccination contre l’hépatite B : le défaut présumé à partir des présomptions de causalité », RTD civ. 2013. 131, à propos de Civ. 1re, 26 sept. 2012, n° 11-17.738.

■ Civ. 1re, 22 mai 2008, n° 06-14.952, RTD civ. 2008. 492, note Jourdain.

 Civ. 1re, 24 janv. 2006, n° 03-19.534, RTD civ. 2006. 325, note Jourdain.

■ Civ. 1re, 28 avr. 2011, n° 10-15.289.

■ Civ. 1re, 28 juin 2012, n° 11-14.287.

 Article 1386-4 du Code civil

« Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. 

Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation. 

Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation. »

 

Auteur :H. V.


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