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Droit de la responsabilité civile
Produits défectueux : le fait du tiers n’est pas exonératoire
La responsabilité de plein droit du producteur pour le défaut causé à la victime par un défaut de son produit ne peut être réduite par le fait d’un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage.
En 2014, un avion fabriqué en France transportant, pour le compte d’une compagnie aérienne étrangère, cent-cinquante-cinq passagers et sept membres d'équipage, s'était échoué en mer, entraînant la mort de toutes les personnes présentes à son bord. Plusieurs membres de la famille des victimes avaient assigné en référé, sur le fondement de l'article 809, alinéa 2, du Code de procédure civile, le fabricant de l'avion et le fabricant du module électronique ayant équipé cet avion accidenté, en paiement d'indemnités provisionnelles.
La cour d’appel refusa d’y faire droit au motif que si le module électronique litigieux présentait bien des fêlures sur les soudures et que ce facteur avait été la cause première - dans le temps - de l'accident, ce dont elle avait déduit l'existence d'un défaut imputable à l'un des éléments de l'avion construit par le premier fabricant mis en cause et fabriqué par le second, ainsi qu’un lien de causalité entre cette défectuosité et la réalisation de l'accident, ces constatations ne suffisaient pas à engager la responsabilité des fabricants. En effet, selon la cour, devaient être également appréciées la rigueur et la qualité des opérations de maintenance de l'appareil, lesquelles incombaient aux compagnies aériennes et non aux fabricants, tout comme devait être prise en compte la diligence des membres de l’équipage, dont ils n’avaient pas fait suffisamment preuve notamment en ne s’étant pas conformés à la procédure à suivre en pareille situation.
Après avoir rappelé le principe de la responsabilité de plein droit du producteur d’un produit défectueux et l’impossibilité de s’en exonérer par le fait d’un tiers, la Cour de cassation censure la décision des juges du fond qui, « par des motifs fondés sur le fait de tiers ayant concouru à la réalisation d'un dommage et sur le défaut de connaissance, par les producteurs de l'avion et du module litigieux, de l'absence de fiabilité de ce dernier, comme tels impropres à caractériser l'absence d'une obligation non sérieusement contestable à la charge de ces producteurs, alors qu'elle avait constaté un défaut du module », ont violé les articles 1386-1 et 1386-14, devenus 1245 et 1245-13 du Code civil, ainsi que l'article 809, alinéa 2, du Code de procédure civile.
Cette décision présente l’intérêt de rappeler qu’outre les causes spéciales d’exonération ou de limitation de la responsabilité du fabricant d’un produit défectueux dont celle, à l’époque inédite et pour cette raison, très largement commentée, liée au « risque de développement » (défaut d’un produit qui n’a pu être découvert ni évité car l’état des connaissances scientifiques et techniques objectivement accessibles lors de sa mise en circulation ne le permettaient pas, V. C. civ., art. 1245-10, 4°), certaines causes exonératoires, issues du droit commun, ont également été envisagées par la loi de 1998 sur les produits défectueux (L. n° 98-389 du 19 mai 1998), à l’occasion de la transposition d’une directive communautaire du 25 juillet 1985, imposant une responsabilité sans faute du producteur de produits privés de la sécurité normalement attendue de leur usage.
L’un des aspects les plus remarquables de la loi est d’avoir listé de manière limitative, aux articles 1386-11 ancien ou 1245-10 nouveau du Code civil, les causes d’exonération dont le producteur d’un produit défectueux peut se prévaloir dans ses rapports avec la victime. La ratio legis justifie cette délimitation : à l’image de la loi qui la contient, la restriction des modes d’exonération répond à la volonté du législateur de favoriser, ou à tout le moins, de ne pas entraver l’indemnisation des victimes. Cette volonté se traduit d’une part par l’instauration, en marge des cas traditionnels de responsabilité, de nouvelles règles indemnitaires (comme par exemple l’indifférence au fait que la victime soit contractuellement liée ou non au fabricant) et, d’autre part, par le renouvellement, qui prend souvent les traits d’un amenuisement, des moyens d’exonération offerts aux responsables.
Ainsi, par exemple, pour ce qui concerne la cause spéciale d’exonération du « risque de développement », ce dernier ne pourra pas être efficacement invoqué pour les dommages causés par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci (C. civ., art. 1245-11).
Concernant les causes classiques d’exonération, si la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime (C. civ., art. 1245-12), elle reste inchangée et pleinement acquise en cas d’intervention d’un tiers, même avérée (C. civ., art. 1245-13). Conformément à ce que la loi proscrit, la Haute cour rappelle en l’espèce que la responsabilité de plein droit du producteur envers la victime ne peut être réduite ni a fortiori supprimée par le fait d'un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage. C’est ce qui justifie la cassation prononcée par la Haute cour, qui déduit logiquement des règles précédentes que la responsabilité des deux fabricants mis en cause ne pouvait être limitée par l’éventuelle réaction inappropriée de l'équipage ni même par le défaut de maintenance, effectivement constaté, imputable aux compagnies de transport.
Il convient enfin de préciser que le texte de l’article 1245-13 du Code civil, qui fonde principalement la solution, ne trouverait à s’appliquer que dans l’hypothèse où la défectuosité du produit est avérée. Autrement dit, le producteur garderait la possibilité de s’exonérer s’il parvient à démontrer que le dommage trouve exclusivement sa source dans le fait du tiers, et non dans le défaut de sécurité de son produit.
Civ. 1re, 28 nov. 2018, n° 17-14.356
Référence
■ Fiche d'orientation Dalloz: Responsabilité du fait des produits défectueux
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