Actualité > À la une
À la une
Droit de la responsabilité civile
Produits défectueux : limites de la notice informative
L’information sur le risque du produit n’exclut pas son défaut de sécurité et donc l’engagement de la responsabilité de son producteur.
La prise d’une pilule contraceptive avait provoqué chez l’une de ses consommatrices une embolie pulmonaire ayant entraîné son décès. Sa famille avait assigné en indemnisation l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), qui avait appelé en intervention forcée le producteur de ce contraceptif, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux. La cour d’appel mit ce dernier hors de cause au motif que le contraceptif ne pouvait être considéré comme défectueux dès lors que la notice l’accompagnant comporte une mise en garde contre le risque thromboembolique et l’évolution possible vers une embolie pulmonaire.
Au visa de l’article 1245-3 du Code civil (anc. art.1386-4) qui définit la notion de défectuosité du produit, la Cour de cassation casse la décision des juges du fond, lui reprochant de ne pas avoir recherché, comme ils y avaient été invités, si nonobstant les mentions informatives figurant dans la notice, la gravité du risque thromboembolique encouru et la fréquence de sa réalisation excédaient les bénéfices attendus du contraceptif en cause et si, par suite, les effets nocifs constatés n’étaient pas de nature à caractériser un défaut du produit au sens de l’article visé.
Le fait générateur de la responsabilité du fait des produits défectueux est le défaut de sécurité du produit qui, plus précisément, « n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre » (C. civ., art. 1245-3 al.1). Cela signifie que le juge saisi de la demande doit prendre en considération, non pas l’attente particulière de l’utilisateur du produit dommageable, mais l’attente commune et légitime d’un utilisateur moyen, que l’on pourrait apparenter au traditionnel standard du « bon père de famille » ou, en l’occurrence, au « bon consommateur ». Autrement dit, l’attente légitime de l’utilisateur du produit ne doit pas être appréciée in concreto mais in abstracto (Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, n° 8421). Cela étant, l’appréciation in abstracto n’implique pas d’ignorer les considérations d’espèce et l’ensemble des circonstances entourant à la fois la conception, la fabrication comme l’utilisation du produit. D’une part, l’attente légitime d’un consommateur quant à la sécurité d’un produit qu’il utilise ne peut appréciée de la même façon selon les produits : ainsi est-elle plus grande pour un médicament, tel une pilule contraceptive, médicament hormonal, que pour une bonbonne de gaz ; l’attente légitime est proportionnelle à l’innocuité naturelle du produit et inversement proportionnelle à son danger potentiel (Ph. Le Tourneau, op. cit., loc.cit.). D’autre part, la loi oblige le juge à tenir compte de toutes les circonstances et, notamment, de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ». Ainsi, la notice accompagnant le produit présente une importance toute particulière, la jurisprudence ayant pu à plusieurs reprises induire la défectuosité du produit de l’insuffisance d’informations sur les risques de son utilisation (Civ. 1re, 7 nov. 2006, n° 05-11.604; Civ. 1re, 5 avr. 2005, n° 02-11.947), et notamment sur les risques encourus par la prise de certains médicaments (Civ. 1re, 22 mai 2008, n° 07-17.200).
Cette importance que les juges ont conférée à la présentation du produit et à la notice précisant son mode d’emploi est parfaitement justifiée : l’attente du consommateur sera d’autant plus légitime que le produit aura été utilisé conformément à sa destination, et que le consommateur l’aura utilisé comme il convenait de le faire, ce qui suppose que les conditions d’une utilisation sécurisée du produit lui aient été précisées. Cependant, le risque est que par la connaissance que prend le consommateur du mode d’emploi et des risques du produit et par la juste utilisation qu’il est sensé en faire ainsi, les juges confèrent, comme l’ont fait les juges du fond dans cette affaire, un caractère excessivement subjectif à la condition de l’attente légitime pour éviter de réduire la défectuosité du produit au seul caractère anormalement dangereux du produit. Or s’il est juste de vouloir échapper à cette assimilation malvenue, le défaut déterminant l’application de ce régime spécial de responsabilité ne découlant pas ipso facto du caractère dangereux du produit, doit également être approuvé le refus exprimé par la Haute cour dans cette affaire de conclure à la sécurité d’un produit du seul fait que sa potentielle dangerosité aura été mentionnée dans sa notice présentative. D’ailleurs, la loi elle-même le précise bien : "il doit être tenu compte de toutes les circonstances et, notamment, de la présentation du produit (…)". L’adverbe a un sens que les juges ont ici respecté, rappelant que la sécurité de la pilule litigieuse devait être appréciée en tenant compte de tout un ensemble d’éléments, parmi lesquels non seulement la présentation du produit, mais également la gravité des effets nocifs en l’espèce constatés eu égard, le cas échéant, au rapport bénéfice/risque que cette pilule présentait. Puisque la défectuosité d’un produit est légalement définie comme le manque de sécurité, légitimement escompté, dont il souffre, l’attente légitime doit ainsi être appréciée proportionnellement à l’innocuité naturelle du produit ou, inversement, à son danger potentiel. Il était en l’occurrence avéré par le décès d’une jeune femme en bonne santé. Cette mise en évidence des risques graves liés à la prise du contraceptif litigieux, que ne justifiait pas le bénéfice qui en était attendu, aurait ainsi dû conduire les juges d’appel à constater la défectuosité de ce produit nonobstant la présentation du risque effectivement décrit dans la notice.
Civ. 1re, 26 sept. 2018, n°17-21.271
Références
■ Civ. 1re, 7 nov. 2006, n° 05-11.604 P: D. 2006. 2950 ; RDI 2007. 94, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2007. 139, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2007. 438, obs. B. Bouloc
■ Civ. 1re, 5 avr. 2005, n° 02-11.947 P: D. 2005. 2256, note A. Gorny ; ibid. 2006. 1929, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RDSS 2005. 498, obs. A. Laude ; RTD civ. 2005. 607, obs. P. Jourdain
Autres À la une
-
Droit des biens
[ 22 novembre 2024 ]
Acte de notoriété acquisitive : office du juge quant à l’appréciation de la preuve de l’usucapion
-
Droit des obligations
[ 21 novembre 2024 ]
Appréciation de la date de connaissance d’un vice caché dans une chaîne de contrats
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 20 novembre 2024 ]
Chuuuuuut ! Droit de se taire pour les fonctionnaires poursuivis disciplinairement
-
Droit de la responsabilité civile
[ 19 novembre 2024 ]
Recours en contribution à la dette : recherche d’une faute de conduite de l’élève conducteur
-
Droit de la responsabilité civile
[ 18 novembre 2024 ]
L’autonomie du préjudice extrapatrimonial exceptionnel d’un proche d’une victime handicapée
- >> Toutes les actualités À la une