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Droit de la responsabilité civile
Produits défectueux : prescription de l’action
Mots-clefs : Responsabilité civile, Responsabilité du fait des produits défectueux, Défaut du vaccin, Dommage, Sclérose en plaques, Responsabilité du laboratoire pharmaceutique, Prescription de l'action en responsabilité extracontractuelle contre le fabricant
L'action en responsabilité extracontractuelle dirigée contre le fabricant d'un produit défectueux mis en circulation avant la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 transposant la directive du 24 juillet 1985, en raison d'un dommage survenu entre l'expiration du délai de transposition de cette directive et l'entrée en vigueur de ladite loi de transposition, se prescrit, selon les dispositions de droit interne alors en vigueur, par dix ans à compter de la manifestation du dommage.
Un patient avait reçu en janvier, février et août 1995, trois injections du vaccin contre l'hépatite B fabriqué par un laboratoire pharmaceutique. En 2004, apprenant être atteint d'une sclérose en plaques dont il imputait la survenance au vaccin, il avait, par acte des 7 et 8 décembre 2009, assigné le laboratoire en réparation des préjudices subis sur le fondement des articles 1382 et 1386-1 et suivants du Code civil. La cour d’appel, tout en constatant que le médecin n'avait donné aucune information à son patient quant aux risques avérés que comportait la vaccination, écarta tout d’abord la responsabilité pour faute du laboratoire en l'absence de lien démontré entre ce défaut d’information et la maladie en cause.
Devant la Cour de cassation, le demandeur excipait de l'atteinte abstraite portée à son droit d'être informé des risques avérés de l'acte. Son pourvoi est rejeté au motif qu’en dehors de la perte de chance, seul est réparable le préjudice moral d'impréparation à l'éventualité de la réalisation du risque (Civ. 1re, 23 janv. 2014, n° 12-22.123) et que le demandeur ne rapportait pas la preuve qu’il n’aurait pas pris le vaccin s’il avait été informé du risque de sclérose en plaques.
Par ailleurs, la Cour d’appel déclara ensuite irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité du fait des produits défectueux engagée par le patient : en application des dispositions de l'article 10-1 de la directive n° 85/374/CEE du 24 juillet 1985 relative à ce fondement spécial de responsabilité, elle retint qu'il appartenait au patient d'agir dans le délai de trois ans à compter de la date où il avait eu connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du fournisseur et que le délai était écoulé au jour de l'assignation.
Cette analyse est censurée par la Cour. Selon elle, il résulte de la jurisprudence de la CJUE (CJCE, 4 juill. 2006, gr. ch., Adenele, n° C-212/04; CJCE, 15 avr. 2008, gr. ch., Impact, n° C-268/06) que l'obligation pour le juge national de se référer au contenu d'une directive lorsqu'il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit, et que cette obligation ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national.
Or en déclarant l’action engagée prescrite, alors que l'action en responsabilité extracontractuelle dirigée contre le fabricant d'un produit défectueux mis en circulation avant la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 transposant la directive du 24 juillet 1985, en raison d'un dommage survenu entre l'expiration du délai de transposition de cette directive et l'entrée en vigueur de ladite loi de transposition, se prescrit, selon les dispositions de droit interne alors en vigueur, par dix ans à compter de la manifestation du dommage, la cour d'appel a violé les articles 2226 et 1382 du Code civil, le premier par refus d’application, le second par fausse application.
Dans cette affaire, la Cour de cassation devait faire le choix d’appliquer soit le délai de prescription de droit commun, soit celui du régime spécial issu de la directive du 25 juillet 1985 (Dir. 85/374/CEE, 25 juill. 1985), pour une action en réparation de dommages causés par un produit (un vaccin) mis en circulation après l'entrée en vigueur du texte communautaire mais avant sa transposition en droit interne.
Et la Cour de se prononcer clairement en faveur du premier, par faveur pour la victime, bénéficiant du délai allongé de dix ans prévu pour l’indemnisation des dommages corporels (C. civ., art. 2226) au lieu du délai de trois ans prévu par la directive, et désormais par l’article 1386-17 du Code civil.
Le choix devait être opéré en raison de la chronologie particulière des faits de l’espèce, la date limite de transposition de la directive étant largement dépassée, sans que le législateur français ne l’eût encore transposée ; cependant, durant cet intervalle de temps, le juge est, en principe, d’ores et déjà tenu d’interpréter le droit interne à la lumière des objectifs et des dispositions de la directive (CJCE, 13 nov. 1990, Marleasing, n° C-106/89). Ainsi le juge national doit-il s’inspirer de l’interprétation qu’aura livré la Cour de justice pour interpréter une directive invoquée lors d’un litige (CJCE, 30 sept. 2003, Köbler, n° C-224/01), cette obligation d’interprétation conforme ayant de surcroît conduit, en matière d’obligation de sécurité, à rendre le régime spécial de la responsabilité des produits défectueux quasiment exclusif.
Pourtant, la Cour se libère de cette contrainte d’interprétation en retenant le délai prévu par le texte de droit interne de l’article 2226, sans doute parce que cette contrainte est depuis longtemps tempérée, par la Cour de justice elle-même, par les principes généraux du droit, notamment ceux de sécurité juridique et de non-rétroactivité, tout comme elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (CJUE, gr. ch., 24 janv. 2012, Maribel Dominguez, n° C-282/10).
Or, les délais de prescription de droit commun résultant de textes clairs, il n'y aurait pas lieu de les interpréter à la lumière de la directive (V. P. Jourdain, RTD civ. 2007. 580), et les écarter procèderait d'une « appréciation erronée de l'étendue de l'obligation d'interpréter le droit commun à la lumière de la directive » et conduirait à intégrer « au droit commun les inconvénients de celle-ci aboutissant à une application quasi rétroactive de la loi de transposition » (V. M. Bacache, RCA 2008, étude 7, spéc. n° 4 s).
Civ. 1re, 15 mai 2015, n° 14-13.151
Références
■ Code civil
Article 1382
« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
Article 1386-1
« Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime. »
Article 1386-17
« L'action en réparation fondée sur les dispositions du présent titre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur. »
Article 2226
« L'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé.
Toutefois, en cas de préjudice causé par des tortures ou des actes de barbarie, ou par des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur, l'action en responsabilité civile est prescrite par vingt ans. »
■ Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux
Article 10
«1. Les États membre prévoient dans leur législation que l'action en réparation prévue par la présente directive se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.»
■ Civ. 1re, 23 janv. 2014, n° 12-22.123, D. 2014. 589, ibid. 584, avis Léonard Bernard de la Gatinais ; ibid. 590, note M. Bacache ; ibid. 2021, obs. A. Laude ; ibid. 2015. 124, obs. P. Brun et O. Gout ; RDSS 2014. 295, note F. Arhab-Girardin ; RTD civ. 2014. 379, obs. P. Jourdain.
■ CJCE, 13 nov. 1990, Marleasing, n° C-106/89, Rev. sociétés 1991. 532, note Y. Chaput, RTD com. 1991. 68, obs. C. Champaud.
■ CJCE, gr. ch., 4 juill. 2006, Adenele, n° C-212/04, D. 2006. 2209, Dr. soc. 2007. 94, note C. Vigneau.
■ CJCE, gr. ch., 15 avr. 2008, Impact, n° C-268/06
■ CJCE, 30 sept. 2003, Köbler , n° C-224/01, D. 2003. 2546.
■ CJUE, gr. ch., 24 janv. 2012, Maribel Dominguez, n° C-282/10, RDT 2012. 371, obs. M. Véricel ; RTD eur. 2012. 490, obs. S. Robin-Olivier ; ibid. 2013. 677, obs. F. Benoît-Rohmer .
■ P. Jourdain, RTD civ. 2007. 580
■ M. Bacache, « La loi n° 98-389 du 19 mai 1998, 10 ans après » ; RCA 2008, étude 7, spéc. n° 4 et s.
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