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Droit des obligations
Promesse unilatérale de vente : l’exécution forcée est-elle contraire aux droits de l’homme ?
La sanction de l’exécution forcée d’une promesse unilatérale de vente ne porte pas atteinte à la liberté contractuelle et ne constitue pas une privation du droit de propriété.
L’ordonnance du 10 février 2016 a codifié les promesses unilatérales, dont le régime résultait auparavant de la jurisprudence. L’article 1124, alinéa 1er du Code Civil dispose désormais que la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. Cette disposition a été complétée par un deuxième alinéa marquant, contrairement au premier, une nette rupture avec la jurisprudence antérieure relative à la sanction de la rétractation du promettant : « La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n'empêche pas la formation du contrat promis ».
Cette rupture était attendue et souhaitée par la doctrine majoritaire. Si techniquement, le promettant a donné un consentement définitif à la vente, il existe un « contentieux du regret » : le promettant engagé souhaite revenir sur son consentement, avant l’expiration du délai d’option, souvent pour saisir l’opportunité qui s’offre à lui de vendre à un meilleur offrant. Or, à la question de savoir si la révocation de son engagement doit être sanctionnée en équivalence et/ou en nature, la jurisprudence avait pendant plus de vingt ans répondu que seule une réparation par équivalent pouvait être obtenue par le bénéficiaire victime d’un tel retrait (Consorts Cruz, 15 déc. 1993, n° 91-10.199). Fondée sur la liberté contractuelle, cette solution se justifiait par le fait que, faute pour le promettant d’avoir maintenu sa volonté de vendre, la rencontre des volontés devenait, en toute hypothèse, impossible (Civ. 3e, 11 mai 2011, n° 10-12.875 ; Civ. 3e, 6 sept. 2011, n° 10-20.362 ; Com. 13 sept. 2011, n° 10-19.526) et avant cela, par la règle traditionnelle selon laquelle on ne pouvait faire exécuter les obligations de faire en nature (C. civ., art. 1142 anc., V. Consorts Cruz, préc.). L’exclusion de principe de la sanction de l’exécution forcée était vivement critiquée, au nom d’un principe fondamental du droit commun contractuel prolongeant celui de la liberté contractuelle sur lequel la jurisprudence contestée, paradoxalement, s’appuyait : la force obligatoire du contrat. En effet, en méconnaissant le principe originel selon lequel la promesse unilatérale emporte la formation du contrat promis à la seule condition que le bénéficiaire exprime son consentement, celui du promettant étant censé être acquis, cette jurisprudence trahissait le mécanisme juridique de cet avant-contrat en convertissant le devoir du promettant de finaliser la vente promise en pouvoir d’y renoncer. Alignant en outre le régime de la sanction de la promesse sur celui applicable à la révocation abusive de l’offre de contrat faite à une personne déterminée avec un délai d’acceptation, elle privait d’intérêt la conclusion d’une promesse, qui résidait précisément dans la sécurité offerte par la règle favorable au bénéficiaire selon laquelle la formation de la vente définitive ne dépend que de son consentement à celle-ci, celui déjà exprimé par le promettant, figé dans le contrat de promesse initial, justifiant le pouvoir du juge de prononcer l’exécution forcée du contrat projeté pour sanctionner la rétractation fautive du vendeur.
La réforme du droit des contrats a donc abandonné cette solution en admettant l’exécution forcée du contrat promis ; désormais, si le promettant révoque son engagement pendant le délai d’option alors que le bénéficiaire entend lever celle-ci, ce dernier pourra y parvenir effectivement en le forçant à conclure l’acte définitif de vente, à la condition, au demeurant importante en pratique, que le promettant n’ait pas entre-temps contracté avec un tiers de bonne foi (V. art. 1124, al. 3).
Renforçant incontestablement l’efficacité de la promesse unilatérale de vente, cette innovation, largement approuvée, de la réforme, contenue à l’article 1124, alinéa 2, ne serait-elle pas, cependant, contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et, plus particulièrement, au principe de liberté contractuelle (art. 4) et au droit de propriété (art. 17) ?
Cette question a été transmise par le juge de la mise en état d’un tribunal de grande instance à l’occasion d’un litige entre deux sociétés, la société bénéficiaire ayant assigné la SCI qui lui avait promis la vente d’un immeuble en perfection de celle-ci.
La troisième chambre civile de la Cour de cassation constate d’abord que la disposition contestée est bien applicable au litige, et n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
Cependant, elle juge ensuite que la question posée, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas eu l’occasion de faire application, n'est pas nouvelle. « Selon l’article 1124, alinéa 1er, du Code civil, dans une promesse unilatérale de vente, le promettant donne son consentement à un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire, de sorte que la formation du contrat promis malgré la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter ne porte pas atteinte à la liberté contractuelle et ne constitue pas une privation du droit de propriété ».
Par conséquent, affirme enfin la Cour, la question ne présentant pas un caractère sérieux, la Haute juridiction prononce un non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel.
Il est vrai que le Conseil constitutionnel protège depuis longtemps le droit de propriété, notamment sous l’angle de la privation de ce droit (dès la Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation, cons. 16) ainsi que, plus récemment, la liberté contractuelle, notamment sous l’angle de la protection des contrats légalement formés, sur le fondement de l’article 4 de la déclaration de 1789, (Cons. const. 10 juin 1998, n° 98-401 DC) ; ultérieurement complété par l’article 16 du même texte (Cons. const. 13 janv. 2003, n° 2002-465 DC).
En toute hypothèse, la sanction de l’exécution forcée de la promesse unilatérale de vente n’attente pas au principe de la liberté contractuelle. Tout d’abord, il est normal et unanimement admis que l’inexécution d’un contrat doit par principe être sanctionnée, sans qu’aucun texte n’ait jamais établi de hiérarchie entre les deux types de réparation, en nature ou en équivalent, de même qu’aucune disposition ne les rend alternatives en sorte que l’une comme l’autre doit, en principe, pouvoir être envisagée. De surcroît, quoique l’argument ne soit pas textuel, l’exécution forcée revêt une sorte de supériorité naturelle, essentiellement parce qu’elle respecte la nature même du contrat : dès lors que l’essence même d’une obligation est d’être exécutée en tant que telle, la réparation en nature prolonge naturellement la force obligatoire du contrat; ainsi l’exécution forcée en nature serait, en aval, la manifestation contentieuse du respect de la parole donnée en amont, et ce en application de deux maximes traditionnelles : Pacta sunt servanda (les conventions doivent être respectées) et Nemo potest proprio facto se ad obligatione liberare (personne ne peut se libérer d’une obligation par son propre fait). Il en résulte que tant que l’exécution en nature du contrat est possible, les parties se doivent d’y procéder, débiteur comme créancier. Enfin, si elle favorise l’effectivité du droit de créance par son effet dissuasif, en ce que la crainte de la sanction en nature dissuaderait le débiteur de se soustraire à ses obligations et l’oblige, le cas échéant, à fournir au créancier l’objet de la prestation contractuelle convenue, cette efficacité de la réparation en nature, sans doute supérieure à celle qui procède par équivalent, ne lui fait cependant revêtir une force de contrainte telle qu’elle réduirait à la portion congrue la liberté individuelle du débiteur, à laquelle il a volontairement en partie renoncé par contrat, à supposer, de surcroît, que celle-ci soit davantage ménagée dans le cas d’une réparation par équivalent. Enfin, la privation du droit de propriété auquel elle conduirait serait une conclusion aussi hâtive qu’excessive en raison de la valeur, qui doit encore être soulignée et reconnue au consentement exprimé à cette fin par le promettant. Si privation de propriété il y a, celle-ci a été librement consentie, or il n'y a de privation de propriété, au détriment notamment des personnes privées, que si le transfert s'opère contre la volonté du propriétaire (Cons. const. 12 nov. 2010, n° 2010-60 QPC; Cons. const. 6 oct. 2010, n° 2010-43 QPC).
Civ. 3e, QPC, 17 octobre 2019, n° 19-40.028
Références
■ Civ. 3e, 15 déc. 1993, n° 91-10.199 P : D. 1994. 507, note F. Bénac-Schmidt ; ibid. 230, obs. O. Tournafond ; ibid. 1995. 87, obs. L. Aynès ; AJDI 1994. 384 ; ibid. 351, étude M. Azencot ; ibid. 1996. 568, étude D. Stapylton-Smith ; RTD civ. 1994. 584, obs. J. Mestre
■ Civ. 3e, 11 mai 2011, n° 10-12.875 P : D. 2011. 1457, note D. Mazeaud ; ibid. 1273, édito. F. Rome ; ibid. 1460, note D. Mainguy ; ibid. 2679, chron. A.-C. Monge et I. Goanvic ; ibid. 2012. 459, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; AJDI 2012. 55, obs. F. Cohet-Cordey ; RTD civ. 2011. 532, obs. B. Fages
■ Civ. 3e, 6 sept. 2011, n° 10-20.362 P : D. 2011. 2838, note C. Grimaldi ; ibid. 2649, édito. F. Rome ; ibid. 2012. 459, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki
■ Com. 13 sept. 2011, n° 10-19.526 P : D. 2012. 130, note A. Gaudemet ; ibid. 231, chron. N. Molfessis ; ibid. 459, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; Rev. sociétés 2012. 22, note B. Fages ; RTD civ. 2011. 758, obs. B. Fages ; RTD com. 2011. 788, obs. B. Bouloc
■ Cons. const. 16 janv. 1982, n° 81-132 DC
■ Cons. const. 10 juin 1998, n° 98-401 DC
■ Cons. const. 13 janv. 2003, n° 2002-465 DC : D. 2003. 642 ; ibid. 638, chron. B. Mathieu ; ibid. 2004. 1280, obs. V. Ogier-Bernaud ; Dr. soc. 2003. 260, note X. Prétot
■ Cons. const. 12 nov. 2010, n° 2010-60 QPC : D. 2011. 652, note A. Cheynet de Beaupré ; ibid. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; RDI 2011. 99, obs. L. Tranchant ; RTD civ. 2011. 144, obs. T. Revet
■ Cons. const. 6 oct. 2010, n° 2010-43 QPC : AJDA 2011. 223, note J. Trémeau ; ibid. 2010. 1858 ; D. 2011. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; RDI 2010. 612, obs. N. Foulquier ; AJCT 2010. 183, obs. J.-H. Driard
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