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Droit des obligations
Proportionnalité de l’engagement de caution : le rappel de méthode de la Cour de cassation
Pour apprécier la proportionnalité du cautionnement souscrit par une personne physique en faveur d’un créancier professionnel, il convient de prendre en compte, outre ses cautionnements antérieurs, le nouvel engagement litigieux, ainsi que le montant de son propre engagement, indépendamment de celui correspondant aux modalités de règlement de l’obligation garantie.
On connaît l’exigence de proportionnalité du cautionnement souscrit par une personne physique en faveur d’un créancier professionnel (C. consom., nouv. art. L. 332-1, anc. art. L. 341-4), objet d’un abondant contentieux que la décision rapportée, procédant au rappel de plusieurs éléments nécessaires à son appréciation, contribue encore à alimenter. Il ne convient pas toutefois de le regretter. La publicité de cet arrêt, de surcroît de cassation, témoigne que les principes de solution qui y sont énoncés se devaient d’être réaffirmés.
Une personne physique s’était engagée en qualité de caution solidaire pour garantir deux prêts souscrits par une société. La débitrice principale ayant fait l’objet d’une procédure collective, la banque avait assigné la caution en paiement, laquelle, pour y échapper, lui avait opposé la disproportion manifeste de ses engagements. Les jugeant au contraire équilibrés, la cour d’appel condamna la caution à les exécuter.
Devant la Cour de cassation, la caution invoqua la double erreur d’appréciation qu’aurait commise, par la méthode adoptée, la juridiction du fond : la première tiendrait au fait d’avoir apprécié la proportionnalité des deux engagements litigieux sans toutefois en avoir tenu compte, les juges s’étant bornés à prendre en considération ses seuls cautionnements antérieurs ; la seconde consisterait à avoir procédé au même examen au regard de la seule somme des charges mensuelles afférentes aux échéances des prêts garantis en cas de défaillance des débiteurs principaux, et non à celui de son propre engagement de caution. Sur ces deux points, la Cour de cassation donne raison à la caution. Pour justifier la cassation alors prononcée, la Haute juridiction commence par rappeler cette règle d’appréciation pourtant établie selon laquelle la disproportion d’un cautionnement suppose de prendre en considération l’engagement litigieux ; elle confirme également que la disproportion s’apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, non à l’obligation garantie, mais au montant de son propre engagement.
Concernant le premier attendu de solution, la chambre commerciale condamne l’indifférence des juges d’appel aux engagements litigieux dont ils devaient pourtant apprécier la proportionnalité. Faute d’avoir « tenu compte du montant de ces deux cautionnements litigieux, auxquels devaient être ajoutés celui des cinq cautionnements antérieurs », les juges d’appel ont privé leur décision de base légale. Ce motif de cassation aurait pourtant pu être facilement évité : s’il est parfois malaisé d’identifier parmi l’ensemble des engagements déjà souscrits par la caution ceux à prendre en compte pour lui éviter de souscrire un cautionnement qui se révélerait notoirement déséquilibré (v. par exemple, Com. 29 sept. 2015, n° 13-24.568, sur la nécessité de prendre en compte des cautionnements même jugés disproportionnés ; comp. Com. 21 nov. 2018, n° 16-25.128, sur la nécessité d’ignorer ceux judiciairement annulés, de même sur l’obligation d’écarter les engagements, même prévisibles, à venir, v. Com. 3 nov. 2015, nos 14-26.051 et 15-21.769) , il est en revanche acquis que doivent être pris en compte non seulement les cautionnements antérieurs (Com. 22 mai 2013, n° 11-24.812) mais également et avant tout le cautionnement litigieux comme s’ajoutant à ces précédents engagements. En tant qu’élément nouveau à inscrire au passif de la caution, le juge est contraint d’en tenir compte, au moment de la souscription, pour déterminer l’exacte étendue du passif patrimonial de la caution, en même temps qu’il doit pouvoir mesurer les ressources qui en constituent l’actif. En effet, cette dette certaine que constitue le nouveau cautionnement litigieux ne peut, dans la perspective d’une éventuelle défaillance du débiteur principal, être extraite de l’ensemble des engagements à prendre en compte pour exercer le contrôle de proportionnalité. Ainsi la Cour de cassation commence-t-elle par redéfinir les bornes du passif de la caution à saisir pour mener à bien l’examen de proportionnalité que le juge du fond doit, dans cette hypothèse, exercer.
Par son second attendu de solution, la Chambre commerciale apporte un second correctif à la méthode d’appréciation de la disproportion effectuée par la juridiction d’appel, qui avait omis à tort de l’observer au regard du propre engagement de la caution. En effet, pour juger les engagements litigieux comme équilibrés, la cour avait considéré que la somme des charges mensuelles correspondant aux échéances des prêts garantis n’était pas manifestement disproportionnée aux biens et revenus de la caution pour permettre d’estimer s’ils lui auraient permis d’assumer cette charge financière, en cas de défaillance des différents débiteurs principaux. La méthode appliquée là encore erronée, justifie la censure de la décision d’appel dès lors « que la disproportion manifeste du cautionnement s’apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l’obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci, c’est-à-dire, en l’espèce, aux mensualités des prêts, mais au montant de son propre engagement ». Déjà affirmée (Com. 6 mars 2019, n° 17-27.063), la règle selon laquelle la capacité de la caution à assumer son engagement s’apprécie indépendamment des modalités de l’obligation principale garantie est justifiée par l’approche patrimoniale globale voulue par le législateur lui-même, seule à même de permettre de déterminer si la caution disposera des biens et revenus suffisants, une fois ceux-ci soustraits du montant de son endettement, pour supporter le poids de son propre engagement.
Ainsi, en l’espèce, même si la caution était effectivement apte à régler chacune des mensualités issues des prêts garantis, il ne pouvait pour autant en être déduit qu’elle aurait les ressources suffisantes, dans l’hypothèse d’une défaillance concomitante des débiteurs principaux, pour assurer le paiement de l’ensemble de leurs mensualités respectives, autrement dit, qu’elle pourrait supporter le montant total de son propre engagement. Partant, la Haute cour rappelle que le contrôle de proportionnalité ne peut être effectué qu’en considération du propre engagement de la caution, à la condition qu’il soit justement estimé à la mesure de son endettement général mais sans égard aux modalités de paiement de l’obligation garantie, (correspondant, en l’espèce, à l’échelonnement des mensualités générées par les différentes obligations principales garanties).
Com. 11 mars 2020, n° 18-25.390
Références
■ Com. 29 sept. 2015, n° 13-24.568 P: D. 2015. 2004 ; ibid. 2016. 1955, obs. P. Crocq
■ Com. 21 nov. 2018, n° 16-25.128 P: D. 2018. 2356 ; AJ contrat 2019. 43, obs. D. Houtcieff ; RTD civ. 2019. 152, obs. P. Crocq ; ibid. 153, obs. P. Crocq ; RTD com. 2019. 485, obs. A. Martin-Serf
■ Com. 3 nov. 2015, nos 14-26.051 et 15-21.769 P: D. 2015. 2316, obs. V. Avena-Robardet ; Rev. sociétés 2016. 146, note C. Juillet
■ Com. 22 mai 2013, n° 11-24.812 P: D. 2013. 1340, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 1706, obs. P. Crocq ; ibid. 2551, chron. A.-C. Le Bras, H. Guillou, F. Arbellot et J. Lecaroz ; RTD civ. 2013. 607, obs. H. Barbier
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