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[ 24 avril 2018 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Propriétaire gardien de la chose : illustration à propos d’un dégât des eaux

Le propriétaire d’un bien immobilier, présumé gardien de celui-ci, est responsable de plein droit des désordres qu’il a causés, même sans qu’aucune faute ne puisse lui être imputée.

Propriétaire d’un appartement, une société civile immobilière (SCI) avait assigné la nue-propriétaire et l’usufruitière de l’appartement situé à l’étage du dessous en réparation du préjudice résultant d’une infiltration d’eau. La cour d’appel rejeta sa demande au motif qu’au terme des opérations d’expertise, la cause de ce sinistre, jugé mineur, n’était pas identifiée et que la SCI elle-même n’imputait à ses voisines aucune faute caractérisée pouvant être à l’origine de cette trace d’infiltration. Au visa de l’ancien article 1384, alinéa 1er du Code civil (art. 1242), cette décision est cassée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, celle-ci reprochant à la cour d’appel d’avoir omis de rechercher, comme il le lui avait été demandé et après avoir constaté, par motifs adoptés, que les infiltrations provenaient bien de l’appartement des défenderesses, si celles-ci n’étaient pas responsables de plein droit des dommages causés dans l’appartement de la SCI.

Depuis l’arrêt Jand’heur (Ch. réunies, 13 févr. 1930), la jurisprudence ne s’est jamais départie de la conception extensive de la notion de chose, volontairement choisie par les chambres réunies, pour favoriser, en même temps que l’engagement de la responsabilité du gardien de ladite chose, l’indemnisation de la victime d’un dommage causé par celle-ci. Ainsi les juges avaient-ils implicitement pris parti, dans cet arrêt, pour l’application de l’ancien article 1384 aux immeubles, alors que certains arrêts antérieurs avaient limité l’application du texte aux biens meubles, naturellement plus susceptibles, en raison de leur mobilité, de causer un dommage (Civ. 26 juin 1924; Req., 10 févr.1925; Civ. 21 févr. 1927). Cette thèse restrictive allait cependant à l’encontre de la lettre même du texte qui, employant le terme générique de « choses », ne distingue pas entre meubles et immeubles, ce qui explique sa condamnation par la Chambre des requêtes, dès 1928 (Req., 6 mars 1928), jugeant que la disposition de l’article 1384 (ancien) était d’une généralité absolue, ce texte ne distinguant pas les choses mobilières des choses immobilières. 

Dans l’arrêt Jand’heur, la Cour de cassation confirma cette interprétation extensive en visant toutes les choses inanimées, sans distinction ni réserve. Aussi avait-elle, quelques années plus tard, expressément reconnu que la présomption de responsabilité du gardien de la chose s’applique à toute chose mobilière ou immobilière, sauf toutefois en cas de ruine d’un bâtiment, hypothèse spécifiquement et autrement régie par l’ancien article 1386 du Code civil (art. 1244 ; Civ., 4 août 1942), étant précisé que le dommage causé par la ruine provient d’une chute involontaire totale ou partielle d’une partie de la construction édifiée, notamment à usage d’habitation, ce qui exclut tous les désordres et détériorations sans effondrement, en sorte qu’en l’espèce, ce texte ne trouvait pas à s’appliquer. 

Une chose inerte peut donc tout aussi qu’une chose en mouvement engager la responsabilité de son gardien, cette distinction jouant seulement un rôle quant à la preuve que la victime doit rapporter. C’est la raison pour laquelle le gardien d’un bien immobilier peut voir sa responsabilité engagée pour les désordres que celui-ci a engendrés, le propriétaire du bien étant présumé responsable. C’est ce que commence par rappeler la décision rapportée, lorsque la Cour de cassation reproche aux juges du fond de pas avoir recherché si en leur qualité de nue-propriétaire et d’usufruitière de l’appartement litigieux, les défenderesses au pourvoi, présumées gardiennes de ce bien, ne devaient pas voir leur responsabilité engagée à ce titre pour les infiltrations d’eau ayant endommagé en partie le plafond de l’appartement de la SCI, copropriétaire.

L’arrêt rappelle également que la responsabilité du fait des choses est une responsabilité de plein droit, indépendante de toute notion de faute, qui pèse objectivement sur le gardien de la chose intervenue dans la réalisation du dommage, sauf à prouver qu’il n’a fait que subir l’action d’une cause étrangère, ou bien le fait d’un tiers ou une faute de la victime, revêtant les caractères de la force majeure. Cette indifférence à la faute est même à l’origine de la création prétorienne de ce principe général de responsabilité du fait des choses (Civ. 16 juin 1896, Teffaine), né à l’effet de réparer, en conséquence du développement du machinisme de la fin du XIXe siècle, la multiplication des accidents à l’origine desquels il était difficile d’établir une faute. Si initialement, et par tradition, la doctrine, relayée en ce sens par la jurisprudence, n’envisageait pas la possibilité d’une responsabilité sans faute, en sorte que la responsabilité du gardien de la chose a été, dans un premier temps, fondée sur une présomption de faute, cette présomption de faute fut clairement remplacée, par l’arrêt Jand’heur, par une présomption de responsabilité favorable aux victimes, conformément à l’évolution générale de la responsabilité délictuelle, privilégiant l’indemnisation des victimes plutôt que la recherche de la faute des responsables des dommages causés. Ainsi, en l’espèce, le seul fait que les infiltrations provenaient de l’appartement des défenderesses suffisait à engager leur responsabilité, même sans qu’aucune faute ne puisse leur être imputable, faute que leur absence des lieux au moment du dégât des eaux évinçait de fait. 

Ajoutons enfin que le propriétaire responsable d’un dégât des eaux peut échapper à l’engagement de sa responsabilité en vertu du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle lorsqu’il est également le bailleur du bien endommagé (Civ. 3e, 5 juin 2002, n° 00-21.519: la cour d’appel ne pouvait condamner le propriétaire de l’immeuble, à la suite d’un dégât des eaux, sur le fondement de l’article 1384 (anc.), al. 1er du Code civil, après avoir constaté l’existence d’un contrat de bail). 

Civ. 3e, 22 mars 2018, n° 17-13.467

Références

■ Fiche d’orientation Dalloz : Responsabilité civile du fait des choses

■ Cass., ch. réun., 13 févr. 1930, Jand'heurGAJC, 11e éd., n° 193 ; DP 1930. 1. 57, concl. Matter, note Ripert; S. 1930. 1. 121, note Esmein.

■ Civ. 26 juin 1924 : DP 1924.1.159.

■ Req., 10 févr. 1925 : DP 1925.1.97, note Josserand ; 

■ Civ. 21 févr. 1927 : DP 1927.1.97, note Ripert

■ Req. 6 mars 1928 : DP 1928, I, 97, note Josserand.

■ Civ. 4 août 1942: GAJC, 11e éd., n° 191-192 (I) ; DC 1943. 1, note Ripert; S. 1943, I, 89, note Houin.

■ Civ. 16 juin 1896, Teffaine : D. 97.I.433, note Saleilles

■ Civ. 3e, 5 juin 2002, n° 00-21.519 P : D. 2002. 2407, obs. Y. Rouquet.

 

Auteur :M. H.

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