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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Protection animale : la CEDH valide l’interdiction de l’abattage rituel religieux sans étourdissement
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) juge pour la première fois que la poursuite du bien-être animal peut justifier l’interdiction de l’abattage rituel sans étourdissement en Belgique.
En Belgique, la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux interdit la mise à mort d’animaux vertébrés sans anesthésie ou étourdissement préalable, avec une exception pour les abattages rituels. Tel est aussi le cas en France (v. C. rur., art. R. 214-70). En 2017 et 2018, les régions flamande et wallonne adoptent des décrets mettant fin à cette exception (pt. 4). Un recours à un étourdissement réversible, non létal, devient obligatoire lors des mises à mort rituelles.
■ Procédure. Les requérants, ressortissants belges et organisations non gouvernementales représentatives des communautés musulmanes et juives de Belgique, introduisent un recours en annulation des décrets devant la Cour constitutionnelle. Ils estiment que les décrets seraient discriminatoires (Conv. EDH, art. 14) et porteraient atteinte à la liberté de religion (Conv. EDH, art. 9 ; CDFUE, art. 10).
La Cour constitutionnelle effectue un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres d’interroger la CJUE quant à la validité, ou l’interprétation d’une norme de droit de l’Union. La problématique est de savoir si l’interdiction de l’abattage sans étourdissement préalable est « compatible avec (…) la liberté de religion (…) » (pt. 6). La CJUE conclut que l’interdiction est compatible avec le droit de l’Union (v. CJUE 17 déc. 2020, aff. n° C-336/19). Après l’épuisement des voies de recours internes, les requérants saisissent la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
■ Droit à la liberté de religion. En l’espèce, la Cour admet que l’interdiction de l’abattage sans étourdissement est une ingérence (pts. 87 et 88). Une ingérence peut être justifiée si elle est prévue par la loi, et nécessaire à la poursuite d’un but légitime. Or, l’article 9 Conv. EDH ne fait nulle mention expresse du but légitime de protection du bien-être animal. Notons que c’est « première fois que la Cour doit se prononcer sur la question de savoir si la protection du bien-être animal peut être rattachée à l’un [de ces] buts (…) » dans le cadre de l’article 9.
La Cour rattache le bien-être animal au but légitime de protection de la morale publique. Ce faisant, elle souligne que la notion de morale est « évolutive par essence » (pt. 96), et rappelle que la Convention est un « instrument vivant » à interpréter à la lumière des conceptions contemporaines (pt. 97). Un tel raisonnement avait aussi été utilisé dans le cadre d’une affaire concernant une interdiction de la chasse à la cour (v. CEDH 24 nov. 2009, Friend et autres c/ Royaume Uni (déc.), nos 16072/06 et 27809/08, pts. 50 et s.).
La CEDH relève aussi l’existence d’un « consensus scientifique » concluant que l’étourdissement est le moyen optimal de minimiser la souffrance (pt. 116) et qu’aucune mesure « moins radicale » ne peut réaliser ledit objectif (pt. 118). La restriction est donc nécessaire.
■ La notion de discrimination. Pour se prévaloir d’une discrimination, le requérant doit démontrer, soit avoir « été traité autrement qu’un groupe de personnes placées dans une situation comparable » ; soit avoir été « traité de la même manière qu’un groupe de personnes placées dans une situation sensiblement différente » sans justification objective (v. par ex. CEDH 28 mars 2017, Skorjanec c/ Croatie, n° 25536/14, pt. 53).
■ Examen relatif à l’article 14. Les requérants font grief d’avoir à étourdir les animaux mis à mort pour l’abattage religieux, alors que ce n’est pas exigé dans le cadre de la chasse ou de la pêche. La Cour juge que les contextes de la chasse et de la pêche sont fondamentalement distincts de ceux de l’abattage, il n’y a donc pas lieu de les comparer (pt. 146).
Les requérants affirment aussi que le fait que l’interdiction ne distingue pas entre la situation des individus soumis à des préceptes alimentaires religieux, le restant de la population serait discriminatoire. Or, la loi distingue ces deux cas en prévoyant des spécificités dans le cadre de l’abattage rituel : la méthode d’étourdissement rituel est non létale (pt. 148).
Enfin, les requérants soutiennent que l’absence de distinction selon le contexte des pratiquants juifs et musulmans serait discriminatoire. La Cour relève qu’au regard de l’ingérence portée à la liberté religieuse, « les situations dénoncées ne [peuvent] être considérées comme sensiblement différentes (…) ».
Il n’y a donc pas discrimination au sens de l’article 14 de la Convention.
■ Conclusion. La CEDH juge à l’unanimité qu’il n’y a pas eu violation des articles 9 (liberté de religion) et 14 (interdiction des discriminations) de la Conv. EDH.
Références :
■ CJUE 17 déc. 2020, Centraal Israëlitisch Consistorie van België et autres, aff. n° C-336/19 : D. 2021. 11 ; RTD eur. 2021. 975, obs. F. Benoît-Rohmer.
■ CEDH 24 nov. 2009, Friend et autres c/ Royaume Uni (déc.), nos 16072/06 et 27809/08 [en anglais]
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