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Droit des personnes
Protection de l'intérêt du majeur placé sous curatelle et pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond
Mots-clefs : Incapacités, Curatelle, Assistance, Achat de véhicule, Refus, Autorisation du juge, Appréciation souveraine
En cas de refus d’assistance de son curateur, la personne protégée peut solliciter du juge une autorisation de contracter dont l’octroi dépend de sa souveraine appréciation.
Face au refus de son curateur, un majeur placé sous curatelle renforcée demande au juge des tutelles l'autorisation d'acquérir un véhicule ne nécessitant pas le permis de conduire. Dans un arrêt du 16 décembre 2010, la cour d'appel de Bourges confirme l’ordonnance du juge ayant rejeté sa demande au motif qu’une telle autorisation aurait conduit à mettre en danger les autres conducteurs. Le majeur protégé forme alors un pourvoi en cassation contre cet arrêt prétendant, d'une part, que son état mental lui permettait de prendre seul la décision de l’acquisition du véhicule en question et d'autre part, que son curateur ne pouvait lui interdire cette acquisition sans en informer le juge en l'absence de péril imminent. S’appuyant sur l’article 415 du Code civil, la Cour de cassation rejette son pourvoi, considérant que la protection des majeurs placés sous curatelle vise l'intérêt de la personne protégée et que cet intérêt est apprécié de manière souveraine par les juges du fond. Or, en l'espèce, les juges du fond ont pu estimer, en vertu de leur souverain pouvoir d’appréciation, que l'acuité visuelle du majeur protégé ne permettait pas de satisfaire aux impératifs de sécurité routière et que par conséquent, dans son propre intérêt, l'acquisition de ce véhicule ne pouvait lui être autorisée.
Pédagogique, la solution rappelle les principes essentiels à la protection des incapables majeurs. En visant les dispositions de l’article 415 du Code civil, l’idée générale qui soutient le dispositif légal est ainsi réaffirmée : il convient de protéger les intérêts de la personne tout en préservant son autonomie dans le respect de ses droits et libertés.
Dans cette perspective, la loi offre au juge un ensemble de mesures dont le choix dépend du degré de protection qu’il estimera nécessaire en considération de la situation propre à chaque personne concernée. Si la mesure doit être adaptée à la personne, elle est également adaptable : comme en l’espèce, le juge peut renforcer la curatelle (C. civ., art. 472) en interdisant au majeur protégé d’accomplir seul des actes en principe autorisés dans le cadre d’une curatelle (actes d’administration, réception de paiement) ; il peut, inversement, alléger la curatelle, comme la tutelle, en autorisant l’incapable à accomplir des actes que son régime devrait lui interdire. L’objectif est donc de personnaliser la mesure en l’adaptant au mieux aux besoins de la personne à protéger.
Outre sa finalité, l’objet de la protection est également rappelé : la personne elle-même comme son patrimoine entrent dans le champ de la protection légale. Confirmant sur ce point la jurisprudence antérieure, la loi n°2007-308 du 5 mars 2007 l’a expressément prévu. En l’espèce, il était évidemment question de protéger la personne elle-même d’une pratique, la conduite, que sa déficience visuelle ne lui permettait pas d’assurer en parfaite sécurité. Plus spécialement cette fois, la décision fait ressortir la spécificité de la technique de protection propre à la curatelle. Celle-ci repose sur l’assistance, et non sur la représentation, laquelle est seulement prévue en cas de tutelle. Dans la curatelle, le majeur, « sans être hors d’état d’agir lui-même, a besoin […] d’être assisté ou contrôlé d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile » (C. civ., art. 440). Le curateur assiste donc le curatélaire sans le représenter ; ainsi, dans l’arrêt rapporté, le curateur n’aurait pas été en droit d’acheter le véhicule à la place du majeur sous curatelle.
En outre, la rigueur de cette assistance obligatoire doit être relativisée :
– d’une part, seuls certains actes sont concernés, ceux qui requièrent, en cas de tutelle, une autorisation du juge ou du conseil de famille (C. civ., art. 467, al. 1er et 468), c’est-à-dire, pour l’essentiel, les actes de disposition ;
– d’autre part, en cas de refus d’assistance opposé au majeur par le curateur, le premier peut toujours, malgré le désaccord du second, solliciter une autorisation supplétive du juge (C. civ., art. 469, al. 3 ; C. pr. civ., art. 1257).
Cette disposition en appelle nécessairement au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, ainsi autorisés à contredire la position du curateur sur l’opportunité de l’acte envisagé. Cette possibilité fait ressortir la difficulté de déterminer exactement la mesure de la protection à accorder au majeur dans le respect de son autonomie, également nécessaire. Celle-ci varie selon les circonstances, la situation de l’incapable et ses perspectives d’évolution. L’appréciation est nécessairement concrète, variable, et subjective. Elle relève donc, logiquement, de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Civ. 1re, 27 févr. 2013, n°11-28.307
Références
■ Code civil
« Les personnes majeures reçoivent la protection de leur personne et de leurs biens que leur état ou leur situation rend nécessaire selon les modalités prévues au présent titre.
Cette protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne.
Elle a pour finalité l'intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l'autonomie de celle-ci.
Elle est un devoir des familles et de la collectivité publique. »
« La personne qui, sans être hors d'état d'agir elle-même, a besoin, pour l'une des causes prévues à l'article 425, d'être assistée ou contrôlée d'une manière continue dans les actes importants de la vie civile peut être placée en curatelle.
La curatelle n'est prononcée que s'il est établi que la sauvegarde de justice ne peut assurer une protection suffisante.
La personne qui, pour l'une des causes prévues à l'article 425, doit être représentée d'une manière continue dans les actes de la vie civile, peut être placée en tutelle.
La tutelle n'est prononcée que s'il est établi que ni la sauvegarde de justice, ni la curatelle ne peuvent assurer une protection suffisante. »
« La personne en curatelle ne peut, sans l'assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille.
Lors de la conclusion d'un acte écrit, l'assistance du curateur se manifeste par l'apposition de sa signature à côté de celle de la personne protégée.
À peine de nullité, toute signification faite à cette dernière l'est également au curateur. »
« Les capitaux revenant à la personne en curatelle sont versés directement sur un compte ouvert à son seul nom et mentionnant son régime de protection, auprès d'un établissement habilité à recevoir des fonds du public.
La personne en curatelle ne peut, sans l'assistance du curateur conclure un contrat de fiducie ni faire emploi de ses capitaux.
Cette assistance est également requise pour introduire une action en justice ou y défendre. »
« Le curateur ne peut se substituer à la personne en curatelle pour agir en son nom.
Toutefois, le curateur peut, s'il constate que la personne en curatelle compromet gravement ses intérêts, saisir le juge pour être autorisé à accomplir seul un acte déterminé ou provoquer l'ouverture de la tutelle.
Si le curateur refuse son assistance à un acte pour lequel son concours est requis, la personne en curatelle peut demander au juge l'autorisation de l'accomplir seule. »
« Le juge peut également, à tout moment, ordonner une curatelle renforcée. Dans ce cas, le curateur perçoit seul les revenus de la personne en curatelle sur un compte ouvert au nom de cette dernière. Il assure lui-même le règlement des dépenses auprès des tiers et dépose l'excédent sur un compte laissé à la disposition de l'intéressé ou le verse entre ses mains.
Sans préjudice des dispositions de l'article 459-2, le juge peut autoriser le curateur à conclure seul un bail d'habitation ou une convention d'hébergement assurant le logement de la personne protégée.
La curatelle renforcée est soumise aux dispositions des articles 503 et 510 à 515. »
■ Article 1257 du Code de procédure civile
« Quand le majeur en curatelle demande une autorisation supplétive, le juge des tutelles ne peut statuer qu'après avoir entendu ou appelé le curateur. »
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