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[ 20 mai 2016 ] Imprimer

Droit commercial et des affaires

Protection des marques renommées : le lien de similitude entre elles et une marque postérieure suffit !

Mots-clefs : Propriété intellectuelle, Marques renommées, Protection, Conditions, Risque d’assimilation ou de confusion (non), Degré suffisant de similitude (oui)

La protection d’une marque renommée est offerte dès lors que la similitude entre cette marque et une marque postérieure est suffisante pour que le public soit susceptible d’établir un lien entre elles deux, indépendamment du risque de leur assimilation ou de leur confusion.

Une société spécialisée dans l'équipement et la décoration de la maison et titulaire d’une marque « renommée » avait constaté qu’une autre société commercialisant des articles d'art de la table, d'ameublement et de décoration de maison utilisait des panneaux publicitaires empruntant les signes de sa marque. Elle avait alors assigné cette société en contrefaçon ainsi qu’en concurrence déloyale et parasitaire et demandé l'annulation de la marque que cette société avait déposée. 

Pour rejeter sa demande, la cour d’appel retint l’absence de tout risque d'assimilation entre les deux marques en cause, « compte tenu de leurs différences visuelle, phonétique et conceptuelle », insusceptibles, en dépit de quelques ressemblances, mineures, de faire naître quelconque risque de confusion ou d'assimilation dans l’esprit du consommateur moyen. 

Cette décision est cassée par la chambre commerciale de la Cour de cassation au visa de l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, dont il ressort que la protection conférée aux marques jouissant d'une renommée n'est pas subordonnée à la constatation d'un risque d'assimilation ou de confusion, et qu'il suffit que le degré de similitude entre une telle marque et une marque postérieure ait pour effet que le public concerné puisse établir un lien entre le signe et la marque. 

En application de l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, qui fonde la protection accordée aux marques renommées, la reproduction ou l’imitation d’une marque reconnue comme renommée pour des produits ou des services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice aux propriétaires de la marque ou si sa reproduction ou son imitation constituent une exploitation injustifiée de cette dernière (Com. 12 juill. 2005, n° 03-17.640). 

Pour qu’une demande fondée sur cet article puisse prospérer, il convient d’établir que la société mise en cause a commis des actes de reproduction ou d’imitation de la marque renommée au point de faire naître, dans l’esprit du consommateur moyen, un lien entre les deux marques en conflit. En revanche, il n’est pas nécessaire d'établir l'existence d'un risque de confusion entre les deux signes adverses, la preuve de ressemblances créant un lien de similitude entre eux, même mineur, étant suffisant. 

Telle est la réponse apportée par la décision reproduite à la question, qui s’est posée en droit français comme en droit communautaire, de savoir si la mise en œuvre de la protection spécifique des marques renommées suppose de démontrer l'existence d'un risque d’assimilation ou de confusion entre les marques en cause. Pour une raison textuelle, la réponse à cette question se devait d’être négative puisque ni l'article 5, 2° de la directive du 22 octobre 2008 sur les marques renommées (Dir. 2008/95/CE), ni les articles 8, 5°, 53, 1°, a) et 9, 1°, c) du règlement sur la marque communautaire (RMC, n°40/94 du 20 déc. 1993), ni davantage l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle ne font référence à la notion de risque de confusion, alors que la preuve de son existence est, au contraire, expressément exigée par les textes lorsqu'il est question de sanctionner la reproduction à l'identique ou l’imitation d'une marque non renommée, dans une spécialité similaire, ainsi que l'usage d'une telle reproduction ou imitation. C’est ainsi que dans un arrêt fondateur, la Cour de justice (CJCE, 23 oct. 2003, Adidas, n° C-408/01) a pris le soin d’affirmer que la mise en œuvre de la protection spécifique accordée aux marques renommées ne suppose pas nécessairement le constat d'un risque de confusion entre la marque renommée prétendue usurpée et le signe postérieur litigieux, la preuve d'un certain degré de similitude entre les signes, dû à l'existence de ressemblances phonétiques, visuelles ou intellectuelles incitant le public à établir un lien entre eux, suffisant à garantir la protection de cette marque. C’est au contraire sur le constat de leurs différences « visuelle, phonétique et conceptuelle » que la cour d’appel avait exclu tout risque de confusion, alors même qu’il était question de rechercher l’existence éventuelle d’un lien de similitude, d’une ressemblance d'ensemble des signes, appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce. Or l’existence d’une atteinte à une marque renommée s’apprécie en fonction des ressemblances, et non des différences, et celle-ci peut, en outre, être la conséquence d’une similitude même faible entre les signes en conflit, en sorte que des ressemblances, même mineures, peuvent suffire à susciter, dans l’esprit du consommateur moyen, à établir un lien entre eux. 

En l’espèce, les éléments de similitude étaient pluriels, et conséquents : une terminologie et une police de caractère identiques, un même fond de couleur, un logo ressemblant, une place prépondérante également réservée au terme « maison », sans compter la similarité des produits proposés. Ainsi les signes en présence présentaient-ils bien, selon la Haute cour, un degré de similitude suffisant pour que le public concerné établît un lien entre eux.

Com. 12 avr. 2016, n° 14-29.414

Références

■ Com. 12 juill. 2005, n° 03-17.640 P ; D. 2005. 2074, obs. J. Daleau ; RTD com. 2005. 713, obs. J. Azéma.

■ Directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques

Article 5

Droits conférés par la marque. « 1. La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires:

a) d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b) d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque.

2. Tout État membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou comparable à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas comparables à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’État membre et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.

3.   Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit:

a) d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;

b) d’offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe;

c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe;

d) d’utiliser le signe dans les papiers d’affaires et la publicité.

4. Lorsque, antérieurement à la date d’entrée en vigueur des dispositions nécessaires pour se conformer à la directive 89/104/CEE, le droit de cet État ne permettait pas d’interdire l’usage d’un signe dans les conditions visées au paragraphe 1, point b), ou au paragraphe 2, le droit conféré par la marque n’est pas opposable à la poursuite de l’usage de ce signe.

5. Les paragraphes 1 à 4 n’affectent pas les dispositions applicables dans un État membre et relatives à la protection contre l’usage qui est fait d’un signe à des fins autres que celle de distinguer les produits ou services, lorsque l’usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice. »

■ Règlement (UE) 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 modifiant le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil sur la marque communautaire et le règlement (CE) no 2868/95 de la Commission portant modalités d'application du règlement (CE) no 40/94 du Conseil sur la marque communautaire, et abrogeant le règlement (CE) no 2869/95 de la Commission relatif aux taxes à payer à l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles).

■ CJCE, 23 oct. 2003Adidas, n° C-408/01, D. 2004. 341, et les obs., note J. Passa ; RTD com. 2004. 91, obs. J. Azéma ; ibid. 387, obs. M. Luby ; RTD eur. 2004. 706, obs. G. Bonet.

 

Auteur :M. H.


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