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[ 4 octobre 2011 ] Imprimer

Droit des obligations

Protection des professionnels contre les clauses abusives : un grand distributeur à l’amende !

Mots-clefs : Contrats de distributions, Professionnels, Clauses abusives, Déséquilibre, Préjudice, Responsabilité, Amende civile

Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Instituée par la loi du 4 août 2008, la protection des professionnels contre les clauses abusives a d’ores et déjà fait beaucoup parler d’elle en doctrine. Elle acte le fait que les consommateurs n’ont pas le monopole de l’abus, si l’on peut dire et que les déséquilibres excessifs provoqués par l’exploitation de l’inégalité économique des contractants au stade de la négociation contractuelle ne sont pas l’apanage des contrats de consommation. Les contrats de distributions peuvent aussi être affectés par de tels déséquilibres qui procèdent des rapports de force inhérents aux contrats conclus dans le cadre de la grande distribution. Désormais, les professionnels dépendants et dominés qui sont victimes de clauses qui emportent des déséquilibres contractuels significatifs sont eux aussi protégés. Les mêmes clauses emportent donc, quel que soit le statut du contractant victime, les mêmes effets ou presque, étant entendu que les sanctions diffèrent et que, outre le contractant qui subit la clause abusive, le ministère chargé de l’Économie peut agir.

C’était le cas dans l’espèce qui a donné lieu au jugement du tribunal de commerce de Lille le 7 septembre 2011. Le ministre de l’Économie a exercé une action contre une grande enseigne de distribution du Nord de la France, au motif que dans les conventions qu’elle concluait avec ses fournisseurs étaient stipulées des clauses qui créaient un déséquilibre significatif au détriment de ceux-ci.

Les clauses en question étaient des clauses de révision de prix, d’une part, et une clause du taux de service fournisseur, d’autre part. Pour caractériser l’abus « infectant » des premières, le tribunal relève, en substance, que la révision à la hausse du prix des fournisseurs supposait que soient remplies une série de conditions dont la réalisation dépendait pour partie du distributeur, tandis que la révision à la baisse dépendait du pouvoir de la volonté unilatérale de celui-ci. Le tribunal déduit donc de l’examen de ces clauses que le distributeur a engagé sa responsabilité en tentant de soumettre ses fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre contractuel significatif. Quant à la clause du taux de service fournisseur, le tribunal considère qu’elle est abusive, elle aussi : le taux contractuellement imposé par le distributeur était manifestement très élevé et le montant des pénalités contractuelles infligées en cas de manquement était disproportionné à l’égard de ce dernier. La responsabilité du distributeur est donc retenue aussi de ce chef.

Le ministre chargé de l’Économie demandait aussi au tribunal de prononcer une amende civile en application de l’article L. 442-6 du Code de commerce. Après avoir énoncé qu’une telle « amende doit répondre à un caractère de sanction au regard du trouble à l’ordre public économique, à celui d’effet suffisamment exemplaire et dissuasif pour éviter la répétition de telles pratiques », le tribunal décide qu’en l’occurrence, en raison des « infractions » (sic !) constatées, le principe d’une amende civile exemplaire est justifié et qu’au regard des circonstances de l’espèce, elle doit être fixée à un million d’euros.

Comme le texte précité lui en confère le pouvoir, le tribunal de commerce, qui relève dans les motifs de sa décision que le ministre n’a pas demandé la nullité des clauses abusives, enjoint le distributeur de cesser de les stipuler à l’avenir dans les contrats qu’il conclut avec ses fournisseurs.

Manifestement, les juges consulaires entendent exploiter toutes les potentialités de l’article L. 442-6-2° du Code de commerce et pourchasser avec la même pugnacité que les juges professionnels les clauses abusives. La justice contractuelle en sortira grandie et c’est tant mieux !

T. com. Lille 7 sept. 2011

Références

Amende

[Droit civil]

« Au sens large, sanction pécuniaire prévue par une loi civile et prononcée par une juridiction civile en cas de violation de certaines règles juridiques limitativement énumérées.

Dans un sens plus restreint, l’amende civile est une somme d’argent mise à la charge de l’auteur d’une faute, infligée par un particulier ayant reçu un pouvoir de type disciplinaire; le montant de l’amende n’est pas en relation directe avec la valeur du préjudice. C’est ainsi que le chef d’entreprise pouvait naguère infliger des amendes aux salariés. »

Clause abusive

[Droit civil]

« Clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un non-professionnel ou consommateur qui a pour objet ou pour effet de créer au détriment du non-professionnel ou consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Une telle clause est réputée non écrite.

Le décret no 2009-302 du 18 mars 2009 établit 2 listes de clauses abusives : une liste « noire », une liste « grise ». La liste noire énumère 12 clauses présumées abusives de manière irréfragable eu égard à la gravité de l’atteinte qu’elles portent à l’équilibre du contrat (par ex., réserver au professionnel le droit de modifier unilatéralement les stipulations du contrat relatives à sa durée, aux caractéristiques ou au prix du bien à livrer ou du service à rendre). La liste grise désigne 10 clauses simplement présumées abusives, laissant au professionnel la possibilité d’apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse (par ex., reconnaître au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d’une durée suffisante). »

Contrat-cadre de distribution

[Droit commercial]

« Succédant à la réglementation du contrat dit de coopération commerciale, introduit par une loi du 2 août 2005, la loi impose désormais, au titre de la transparence des pratiques professionnelles, que l’issue des négociations tarifaires entre fournisseurs et distributeurs ou prestataires de services fasse l’objet d’un acte écrit. Cet écrit peut prendre la forme d’un contrat unique, ou bien d’un contrat-cadre annuel, suivi de contrats d’application. Son contenu est fixé par la loi, sous la menace de la sanction pénale. »

Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

Article L. 442-6 du Code de commerce

« I.-Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d'une opération d'animation commerciale, d'une acquisition ou d'un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d'enseignes ou de centrales de référencement ou d'achat. Un tel avantage peut également consister en une globalisation artificielle des chiffres d'affaires ou en une demande d'alignement sur les conditions commerciales obtenues par d'autres clients ;

2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

3° D'obtenir ou de tenter d'obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné et, le cas échéant, d'un service demandé par le fournisseur et ayant fait l'objet d'un accord écrit ;

4° D'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente ;

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. À défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ;

6° De participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence ;

7° De soumettre un partenaire à des conditions de règlement qui ne respectent pas le plafond fixé au neuvième alinéa de l'article L. 441-6 ou qui sont manifestement abusives, compte tenu des bonnes pratiques et usages commerciaux, et s'écartent au détriment du créancier, sans raison objective, du délai indiqué au huitième alinéa de l'article L. 441-6. Est notamment abusif le fait, pour le débiteur, de demander au créancier, sans raison objective, de différer la date d'émission de la facture ;

8° De procéder au refus ou retour de marchandises ou de déduire d'office du montant de la facture établie par le fournisseur les pénalités ou rabais correspondant au non-respect d'une date de livraison ou à la non-conformité des marchandises, lorsque la dette n'est pas certaine, liquide et exigible, sans même que le fournisseur n'ait été en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant ;

9° De ne pas communiquer ses conditions générales de vente, dans les conditions prévues à l'article L. 441-6, à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour l'exercice d'une activité professionnelle ;

10° De refuser de mentionner sur l'étiquetage d'un produit vendu sous marque de distributeur le nom et l'adresse du fabricant si celui-ci en a fait la demande conformément à l'article L. 112-6 du code de la consommation ;

11° D'annoncer des prix hors des lieux de vente, pour un fruit ou légume frais, sans respecter les règles définies aux II et III de l'article L. 441-2 du présent code ;

12° De ne pas joindre aux fruits et légumes frais destinés à la vente ou à la revente à un professionnel établi en France, lors de leur transport sur le territoire national, le document prévu à l'article L. 441-3-1 ;

13° De bénéficier de remises, rabais et ristournes à l'occasion de l'achat de fruits et légumes frais en méconnaissance de l'article L. 441-2-2.

II.-Sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers, la possibilité :

a) De bénéficier rétroactivement de remises, de ristournes ou d'accords de coopération commerciale ;

b) D'obtenir le paiement d'un droit d'accès au référencement préalablement à la passation de toute commande ;

c) D'interdire au cocontractant la cession à des tiers des créances qu'il détient sur lui ;

d) De bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant ;

e) D'obtenir d'un revendeur exploitant une surface de vente au détail inférieure à 300 mètres carrés qu'il approvisionne mais qui n'est pas lié à lui, directement ou indirectement, par un contrat de licence de marque ou de savoir-faire, un droit de préférence sur la cession ou le transfert de son activité ou une obligation de non-concurrence postcontractuelle, ou de subordonner l'approvisionnement de ce revendeur à une clause d'exclusivité ou de quasi-exclusivité d'achat de ses produits ou services d'une durée supérieure à deux ans.

L'annulation des clauses relatives au règlement entraîne l'application du délai indiqué au deuxième alinéa de l'article L. 441-6, sauf si la juridiction saisie peut constater un accord sur des conditions différentes qui soient équitables.

III.-L'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'économie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article.

Lors de cette action, le ministre chargé de l'économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu. Ils peuvent également demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 2 millions d'euros. Toutefois, cette amende peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées. La réparation des préjudices subis peut également être demandée. Dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l'industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l'extinction de son obligation.

La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Elle peut également ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.

La juridiction peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte.

Les litiges relatifs à l'application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret.

Ces juridictions peuvent consulter la Commission d'examen des pratiques commerciales prévue à l'article L. 440-1 sur les pratiques définies au présent article et relevées dans les affaires dont celles-ci sont saisies. La décision de saisir la commission n'est pas susceptible de recours. La commission fait connaître son avis dans un délai maximum de quatre mois à compter de sa saisine. Il est sursis à toute décision sur le fond de l'affaire jusqu'à réception de l'avis ou, à défaut, jusqu'à l'expiration du délai de quatre mois susmentionné. Toutefois, des mesures urgentes ou conservatoires nécessaires peuvent être prises. L'avis rendu ne lie pas la juridiction.

IV.-Le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire. »

 

Auteur :D. M.


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