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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Protection des victimes d’agressions sexuelles : la loi ne méconnaît pas la liberté d’expression
Par une décision du 10 août 2022, la Cour de cassation a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l’article 39 quinquiès de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse interdisant la diffusion, sans leur consentement, d’informations concernant l’identité ou de l’image de victimes d’agressions ou d’atteintes sexuelles.
Crim. 10 août 2022, n° 22-81.057
Condamné à 1000 euros d’amende pour diffusion d’image ou de renseignement sur l’identité d’une victime d’agression ou d’atteinte sexuelle sans son accord écrit, un prévenu présenta deux QPC à l’occasion de son pourvoi en cassation. Dans la première il interrogeait la conformité de l’infraction définie par l’article 39 quinquiès de la loi sur la presse au principe de légalité criminelle garanti par l’article 8 de la Déclaration de 1789, en ce que les victimes protégées ne seraient pas assez précisément identifiées. Dans la seconde, il prétendait que le texte, réprimant sans distinction toute diffusion, y compris quand les renseignements ou éléments d’identité avaient été préalablement révélés par la victime elle-même, était contraire à la liberté d’expression garanti par l’article 11 de la Déclaration.
Le délit de l’article 39 quinquiès de la loi sur la presse est issu d’une loi du 23 décembre 1980 ; dans sa rédaction initiale le texte interdisait la diffusion par quelque moyen d’expression que ce soit de l’identité ou de renseignements permettant d’identifier la victime de viol ou d’attentat à la pudeur. Il fut ensuite modifié, d’abord pour prévoir des peines plus lourdes plus lourdes avec l’entrée en vigueur du nouveau code pénal (L. n° 92-1336 du 16 déc. 1992), ensuite pour inclure l’image de la victime dans les éléments interdits de diffusion, adapter la terminologie et viser plus largement les agressions (dont le viol fait partie) et atteintes sexuelles, « isoler » dans un alinéa 2 le cas où la victime a donné son accord écrit pour le soustraire à l’interdiction posé dans l’alinéa 1er, et supprimer l’emprisonnement prévu jusqu’alors (L. n° 2000-516 du 15 juin 2000), enfin, pour convertir l’amende prévue en francs en euros (15 000 euros).
La chambre criminelle, dans sa décision, écarte succinctement la première question qui portait sur le respect du principe de légalité, qui implique « la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire », selon l’expression consacrée par le Conseil constitutionnel dès sa décision « sécurité et liberté » n° 802-127 DC des 19 et 20 janvier 1981 (cons. 7), « dans des conditions qui permettent au juge, auquel le principe de légalité impose d'interpréter strictement la loi pénale, de se prononcer sans que son appréciation puisse encourir la critique d'arbitraire » (Cons. const., 16 juill. 1996, n° 96-377 DC, cons. 11). Reprenant ces différents éléments, tenant à la qualité de la norme ainsi qu’au rôle du juge pénal dans son interprétation, la chambre criminelle juge la question non sérieuse « dès lors que la notion de victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelles est suffisamment claire et précise pour que son interprétation, qui entre dans l'office du juge pénal, puisse se faire sans risque d'arbitraire » (§ 5).
La disposition en cause ne méconnaît pas davantage la liberté d’expression mais la Cour s’explique davantage s’agissant de la deuxième question. Elle se livre ici à un examen de proportionnalité de l’incrimination en prenant en compte à la fois sa finalité et le champ de l’interdiction qu’elle pose. Ainsi la disposition « poursuit un objectif d’intérêt général » (§ 7) : protéger la dignité et la vie privée de la victime d’infraction sexuelle (y compris en cas de nouvelle diffusion dans des conditions auxquelles la victime n’a pas consenti). Et son champ d’application est « limité […] à certains éléments seulement », ce qui « n’interdit pas toute expression sur des faits d’agression ou d’atteinte sexuelles » (§ 8) et, en tout état de cause, l’interdiction cède en cas d’accord de la victime. Ainsi, « La disposition en cause, qui ne présente pas un caractère général et absolu, assure donc une conciliation, qui n'est pas manifestement disproportionnée, entre la protection des victimes et le principe de la liberté d'expression » (§ 11).
La liberté d’expression est donc préservée dans la mesure où il est possible de rendre compte de faits constitutifs d’infractions sexuelles mais sans faire appel aux éléments d’identification de la victime, sauf si cette dernière y consent par écrit. Mais le champ de la liberté est certainement plus limité qu’il n’y paraît, sur le plan civil en tout cas, puisque la première chambre civile a récemment permis l’application subsidiaire de l’article 9 du code civil en cas de divulgation d’informations concernant les circonstances précises dans lesquelles une infraction sexuelle a été commise, considérée comme un fait distinct de la révélation de l’identité de la victime (Civ. 1re, 9 sept. 2020, n° 19-16.415 ; jugeant que les abus de la liberté d'expression portant atteinte à la vie privée peuvent être réparés sur le fondement de l'art. 9 du code civil., V. déjà Civ. 1re, 7 févr. 2006, n° 04-10.941). On rappellera ici que, sur le plan pénal, l’article 35 quater de la loi sur la presse (qui a remplacé l’ancien art. 38, al. 3, jugé contraire aux articles 6, 7 et 10 de la Convention, Crim. 20 févr. 2001, n° 98-84.846) incrimine spécialement la diffusion de la reproduction des circonstances d’un crime ou d’un délit (quel qu’il soit cette fois), lorsque cette reproduction porte gravement atteinte à la dignité d’une victime et qu’elle est réalisée sans l’accord de cette dernière.
Reste que la révélation d’éléments d’identification d’une victime d’infraction sexuelle pourrait éventuellement, suivant les circonstances, contribuer à un débat d’intérêt général et conduire les juges à faire primer, au terme d’une mise en balance des intérêts en présence, la liberté de s’exprimer (en ce sens, V. M. Slimani, Dalloz actualité, 9 sept. 2022).
Références :
■ Cons. const., 19-20 janv. 1981, n° 802-127 DC : D. 1982. 441, note Dekeuwer ; JCP 1981. II. 1970, note Franck
■ Cons. const., 16 juill. 1996, n° 96-377 DC : AJDA 1997. 86, note C. Teitgen-Colly et F. Julien-Laferrière ; ibid. 1996. 693, note O. Schrameck ; D. 1997. 69, note B. Mercuzot ; ibid. 1998. 147, obs. T. S. Renoux ; RFDA 1997. 538, note P.-E. Spitz ; RTD civ. 1997. 787, obs. N. Molfessis
■ Civ. 1re, 9 sept. 2020, n° 19-16.415 : D. 2020. 1794 ; ibid. 2021. 197, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2020. 586, obs. J.-B. Thierry ; Légipresse 2020. 529 et les obs. ; ibid. 617, étude E. Sudre ; ibid. 2021. 57, étude G. Loiseau ; ibid. 112, étude E. Tordjman et O. Lévy ; RTD civ. 2020. 857, obs. A.-M. Leroyer
■ Civ. 1re, 7 févr. 2006, n° 04-10.941 : D. 2006. 605 ; RTD civ. 2006. 279, obs. J. Hauser
■ Crim. 20 févr. 2001, n° 98-84.846 : D. 2001. 3001, et les obs., note P. Wachsmann ; ibid. 2002. 1793, obs. B. de Lamy ; RTD civ. 2002. 781, obs. J. Hauser
■ C. Lacroix, Rép. pén. Dalloz, vo Lois et règlements, n° 107 s. (qualité de la norme)
■ B. de Lamy, « Le principe de la légalité criminelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Cah. Cons. const. août 2009
■ Dossier « Débat d’intérêt général et droit pénal », Gazette du Palais n° 27 du 6 septembre 2022
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