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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Publication dans la presse d’actes de procédure : une interdiction relative
Mots-clefs : Liberté de la presse, Liberté d’information, Interdiction de publication, Actes de procédure, Contrôle de proportionnalité, Intérêt général
L’interdiction de publier des actes de procédure avant leur lecture en audience publique n’est pas absolue et doit, dès lors qu’il s’agit d’une affaire d’intérêt général, être mise en balance avec la liberté d'information.
L'interdiction en matière pénale de publier des actes de procédure avant leur lecture en audience publique connaît des exceptions. Tel est l’enseignement de l’arrêt rapporté, opposant le magasine Le Figaro aux laboratoires Servier.
Le 7 février 2012, le quotidien avait publié un article intitulé « Chez Servier, on l'appelait le +Merdiator+ », citant des extraits de l'audition d'une visiteuse médicale qui avait, pendant plusieurs années, assuré la promotion de ce médicament dont la dangerosité, ensuite constatée, avait justifié la mise en accusation des laboratoires Servier.
En première instance, Le Figaro avait été condamné à leur verser un euro de dommages-intérêts. Puis le quotidien avait interjeté appel et obtenu gain de cause au motif que l'application à la publication incriminée de l'article 38 de la loi de1881, selon lequel il est interdit de publier les actes d'accusation et tous actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu'ils aient été lus en audience publique, sous peine d'une amende de 3 750 €, constituait une ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression, disproportionnée et ne répondant pas à un besoin impérieux de protection de la réputation et des droits d'autrui ou de garantie de l'autorité ou de l'impartialité du pouvoir judiciaire et devait, dès lors, être déclarée non conforme à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Les laboratoires Servier formèrent alors un pourvoi en cassation, rejeté dans ces termes par la première chambre civile de la Cour de cassation : « Attendu que la cour d'appel a relevé que l'affaire du Mediator avait trait à un problème de santé publique et qu'informer à son sujet revêtait un caractère d'intérêt général ; qu'ayant constaté que la publication des citations extraites des procès-verbaux d'audition contenait le témoignage non décisif d'une visiteuse médicale, recueilli au cours d'une information complexe et de longue durée, sans que soient connues l'échéance ni même la certitude d'un procès, elle a pu en déduire que cette publication n'avait pas porté atteinte au droit à un procès équitable ni à l'autorité et à l'impartialité de la justice, de sorte que l'application de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 à la publication litigieuse constituait une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».
La Haute cour semble ainsi valider, en faveur des organismes de presse, une pratique croissante et a priori contraire au principe du secret de l’instruction, qui consiste à publier des actes d’une procédure judiciaire en cours.
Certes, l’article 38 de la loi de 1881, qui est essentiellement une loi pénale, est difficilement compatible avec la liberté d'informer, sans cesse promue sous l’influence, notamment, des droits européens de l’homme, et tout particulièrement avec l’article 10 de la Conv. EDH. C’est très certainement la raison pour laquelle la Cour consent ici à son aménagement en admettant expressément qu’un journal d’information puisse, à certaines conditions, publier des extraits de procès-verbaux d'audition réalisés dans le cadre d'une information judiciaire.
Cette position paraît assez nouvelle, les juges affirmant jadis que la restriction à la liberté d'information prévue à l’article 38 était, dans une société démocratique, nécessaire et légitime en ce qu’elle permet de préserver tant l'indépendance et la sérénité de la justice que la présomption d’innocence de celui qui fait l'objet d'une poursuite pénale (Crim. 22 juin 1999), de telle sorte que l'article 38, 1er alinéa, n'avait pas été jugé contraire à la Conv. EDH (Crim. 22 juin 1999, préc. n° 157 – Paris, 11e ch., sect. B, 11 mai 2000 ;TGI Paris, 17e ch., 6 mars 2001).
Aussi la matérialité du délit était-elle automatiquement caractérisée par la reproduction de pièces de procédure d’instruction, et notamment par le fait qu'un journaliste est entré en possession d'un procès-verbal d'interrogatoire (Crim. 22 juin 1999, préc.).
De surcroît, cette analyse avait été confirmée par la CEDH, celle-ci considérant que l'article 38 de la loi de 1881 n’interdit pas l'analyse et le commentaire des actes de procédure, ni la publication d'une information dont la teneur aurait été puisée dans la procédure elle-même, mais se borne à interdire toute reproduction littérale de ces actes jusqu'à ce qu'ils soient lus en audience publique. Ainsi, les termes du texte « définissent avec clarté et précision l'étendue de l'interdiction légale, aussi bien dans son contenu que dans sa durée ». Une telle restriction, limitée et temporaire, ne présente pas de caractère général et absolu et n'entrave donc pas de manière excessive le droit de la presse à informer le public (CEDH 24 nov. 2005, Tourancheau et July c/ France). Cette décision n'avait cependant été acquise qu'à une seule voix de majorité et avait suscité des opinions contrastées, que la décision rapportée ne pourra qu’alimenter, et ceci bien que le Médiator ait été utilisé comme « coupe faim » !
Civ. 1re, 11 mars 2014, n° 12-29.419
Références
■ Crim. 22 juin 1999, Bull. crim. 1999, n° 146 ; Dr. pén. 2000, comm. 20, note M. Véron ; RSC 2001. 176, obs. J. Francillon.
■ Paris, 11e ch., sect. B, 11 mai 2000, D. 2000. IR. 193.
■ TGI Paris, 17e ch., 6 mars 2001, Légipresse 2002, n° 191, I, p. 60.
■ CEDH 24 nov. 2005, Tourancheau et July c/ France, req. n° 53886/00, Légipresse 2006, n° 230, III, p. 50, comm. B. Ader.
■ Article 38 de la loi du 29 juillet 1881
« Il est interdit de publier les actes d'accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu'ils aient été lus en audience publique et ce, sous peine d'une amende de 3 750 euros.
Sans préjudice des dispositions de l'article 15 du code pénal, il est interdit, sous la même peine, de publier aucune information relative aux travaux et délibérations du conseil supérieur de la magistrature, à l'exception des informations concernant les audiences publiques et les décisions publiques rendues en matière disciplinaire à l'encontre des magistrats. Pourront toutefois être publiées les informations communiquées par le président ou le vice-président dudit conseil. »
■ Article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme - Liberté d’expression
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
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