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Pupille d’État : conditions de retour dans sa famille d’origine
En l’absence d’une manifestation d’intérêt pour un enfant admis en qualité de pupille d’État, sa grand-mère ne peut contester cet arrêté d’admission faute d’en avoir reçu la notification et de ne pas avoir engagé son action avant le placement de l’enfant aux fins de son adoption.
Une enfant née d'un accouchement sous le secret avait, un peu plus de deux mois après sa naissance, le 8 août 2016, été déclarée pupille de l'État par arrêté. Le 15 octobre suivant, l'enfant avait été placée en vue de son adoption. Un peu plus d’un mois après ce placement, sa grand-mère biologique avait exercé un recours en annulation contre ledit arrêté pour obtenir la garde et l’hébergement de l’enfant.
Elle faisait grief à l'arrêt d’appel d’avoir déclaré sa demande irrecevable et, en conséquence, d’avoir rejeté ses demandes alors, selon le moyen, qu’un enfant régulièrement recueilli par l'aide sociale à l'enfance (ASE) peut être admis en qualité de pupille de l'État, par arrêté du président du conseil départemental, à l'expiration d'un délai de deux mois si aucun membre de sa famille n'a manifesté d'intérêt pour lui auprès de l'ASE et que si l'arrêté, qui doit être notifié aux membres de la famille de l'enfant, peut par principe être contesté par eux dans un délai de trente jours à compter de la date de la réception de sa notification, une telle prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ; or en l'espèce, la demanderesse soutenait n'avoir appris que le 8 septembre 2016 la naissance de sa petite-fille, de sorte que l'arrêté d'admission du 8 août 2016 n'avait pu lui être notifié et que le délai de recours n'avait pas davantage pu courir à son égard.
La Cour de cassation rejette son pourvoi. Elle commence par rappeler qu'il résulte de l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles et de l'article 352 du Code civil que le recours contre l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'État est formé, à peine de forclusion, devant le tribunal de grande instance dans un délai de trente jours, sans que ce délai puisse être interrompu ou suspendu ; elle poursuit en précisant que, toutefois, les titulaires de l'action qui n'ont pas reçu notification de l'arrêté peuvent agir jusqu'au placement de l'enfant aux fins d'adoption, lequel met fin à toute possibilité de restitution de celui-ci à sa famille d'origine. Elle approuve en conséquence la décision des juges du fond qui, après avoir d’abord constaté que faute d’avoir manifesté de l’intérêt pour l'enfant auprès du service de l'ASE avant l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'État, la demanderesse n'en avait pu en recevoir notification, ont ensuite tenu compte de la date de placement de l'enfant aux fins d'adoption (le 15 octobre 2016) ainsi que de celle de l’exercice de son recours par l'intéressée (le 24 novembre 2016), pour exactement en déduire que si le délai de trente jours pour exercer le recours ne lui était pas opposable, son action devait néanmoins être jugée irrecevable, dès lors qu'elle avait été engagée après le placement de l'enfant aux fins d'adoption.
Au sein de chaque département, le service de l’ASE accueille et prend en charge des mineurs qui n’ont pas de parents ou dont les père et mère ne parviennent pas à s’occuper. Parmi eux, certains sont admis en qualité de pupilles de l’État et deviennent donc susceptibles d’être adoptés. Ce statut peut naître de diverses circonstances, dont celle, en l’espèce illustrée, d’un accouchement sous X. En effet, aux termes de l'article L. 224-4, 1° du Code de l'action sociale et de la famille « sont admis en qualité de pupille de l'état les enfants dont la filiation n'est pas établie ou est inconnue depuis plus de deux mois ».
Parce que l’admission en qualité de pupille de l’État emporte des conséquences notables, notamment celle de conduire à une éventuelle adoption, un certain nombre de précautions sont prises. Ainsi, aux termes de l'article L. 224-5 du code précité, lorsqu'un enfant est recueilli à ce titre dans le cadre de l’ASE, un procès-verbal doit être établi et mentionner à la personne qui remet l'enfant les mesures et dispositions légales ainsi que les délais et conditions suivant lesquels l'enfant pourra être repris par les membres de sa famille d’origine, ainsi que les modalités d'admission de l’enfant en qualité de pupille de l'État. En l’espèce, conformément à ce texte, un procès-verbal de recueil de l’enfant au sein du service de l’ASE avait été remis à la mère de l'enfant au lendemain de la naissance de celle-ci.
En outre, pour éviter que le sort de l’enfant ne soit trop hâtivement scellé, le législateur interdit qu’une procédure d’adoption soit immédiatement engagée. L’admission définitive en qualité de pupille de l’État ne peut donc être préalablement décidée qu’à l’issue d’un délai de deux à six mois, selon que la filiation de l’enfant est ou non établie (CASF, art. L. 224-4). En l’espèce, l'enfant ayant été recueillie le 3 juin 2016 et le délai applicable étant de 2 mois, c'était donc bien à l'expiration de ce délai de deux mois, le 8 août 2016, que l'arrêté d'admission avait été pris, régulièrement.
Il convient encore d’ajouter que, comme en atteste la décision rapportée, une fois les deux ou six mois écoulés, la possibilité que l’enfant retrouve sa famille biologique reste envisageable. Si le président du Conseil général a, comme il a été précédemment rappelé, la faculté de prendre un arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État (CASF, art. L. 224-8, I), cette décision peut toutefois, comme on l’a précisé, être contestée par plusieurs personnes, notamment par « (…) les membres de la famille de la mère ou du père de naissance, lorsque la filiation de l’enfant n’avait pas été établie ou était inconnue ». Pour que le recours soit recevable, son auteur doit l’exercer dans un délai de trente jours à compter de la date de réception de la notification de l’arrêté contesté et aussi demander à assumer la charge de l’enfant (CASF, art. L. 224-8, II à IV). Or en l’espèce, l'arrêté, qui n’est notifié qu’aux membres de la famille de l'enfant qui ont, antérieurement à son édiction, manifesté un intérêt pour l'enfant, ne l’avait légitimement pas été à la requérante, faute pour celle-ci de s’être même présentée au service avant la date de cet arrêté, celle-ci ne s’y étant rendue que postérieurement, donc postérieurement au délai de recours susceptible d’être exercé contre cet arrêté.
Certes, même une fois l’arrêté d’admission devenu définitif, les titulaires de l’action en contestation gardent, à certaines conditions, la possibilité que l’enfant leur soit rendu (CASF, art. L. 224-6, al. 3) mais comme l’a rappelé la Cour de Cassation, cette possibilité s’évanouit à compter du moment où l’enfant a été placé en vue de son adoption. Afin de stabiliser la situation de l’enfant, le placement en vue de l’adoption, réalisé par la remise effective aux futurs adoptants notamment d’un pupille de l’État (C. civ., art. 351, al. 1), fait en effet obstacle à toute restitution de l’enfant à sa famille d’origine (C. civ., art. 352, al. 1). Il constitue donc une étape décisive et infranchissable, entérinant de manière définitive l’absence de lien entre l’enfant et sa famille d’origine. Or lorsque l’admission en qualité de pupille de l’État survient, comme en l’espèce, peu de temps après la naissance, l’enfant est généralement rapidement placé en vue de son adoption.
« Exalter la filiation adoptive, c’est une manière d’ébranler la famille dans un de ses fondements, de ruiner la justification qu’elle donne de ses privilèges de naissance par l’hérédité biologique » (Carbonnier J., Essais sur les lois, Paris, Defrénois, 1995, 2e éd., p. 358).
Civ. 1re, 5 déc. 2018, n°17-30.914
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