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Procédure pénale
QPC Fillon : inconstitutionnalité de la purge des nullités en matière correctionnelle
Lorsque des faits sont renvoyés devant le tribunal correctionnel à la suite d’une instruction, le premier alinéa de l’article 385 du Code de procédure pénale est contraire à la Constitution en ce qu’il ne prévoit aucune exception à la purge des nullités dans le cas où le prévenu n’aurait pu avoir connaissance de l’irrégularité d’un acte ou d’un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l’instruction.
Cons. const. 28 sept. 2023, n° 2023-1062 QPC
« Est-il concevable en France, en 2023, qu’il soit dit à un justiciable renvoyé devant le tribunal correctionnel, que l’instruction dont il a fait l’objet est entachée d’une irrégularité grave, mais qu’il est trop tard ! ? ». C’est par ces mots que Me Briard prenait la parole devant les membres du Conseil constitutionnel dans l’intérêt de l’ancien premier ministre, François Fillon, soulevant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative au mécanisme de purge correctionnel des nullités résultant de l’article 385 du Code de procédure pénale (C. pr. pén.).
Le requérant reprochait en effet à ces dispositions de priver le prévenu de toute possibilité d’invoquer devant le tribunal correctionnel, saisi par une juridiction d’instruction, un moyen tiré de la nullité de la procédure antérieure, quand bien même le prévenu n’avait pu en avoir connaissance que postérieurement à la clôture de l’instruction. Il en résultait selon lui une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense. Certaines parties intervenantes faisaient par ailleurs valoir que les dispositions contestées ne prévoyaient pas, devant le tribunal correctionnel, d’exception au mécanisme de purge des nullités en cas de connaissance tardive des moyens de nullité, alors que des exceptions étaient par ailleurs prévues dans d’autres hypothèses où le prévenu a pu ignorer un élément de la procédure ou n’a pas été mis en mesure d’exercer ses droits. L’une d’elles critiquait en outre le fait que le prévenu ne bénéficie pas de la même possibilité de soulever des nullités selon que le tribunal est saisi à la suite d’une enquête ou d’une information judiciaire. Il en résultait selon elle une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant la justice.
Le gouvernement quant à lui, par la voix de son chargé de mission pour les questions constitutionnelles, admettait que cet article 385 ne portait pas d’atteinte au principe d’égalité devant la loi et devant la justice et qu’il devait faire l'objet d'une réserve d'interprétation. Il revenait alors exclusivement au Conseil constitutionnel de trancher la question de la conformité à la Constitution du premier alinéa de l’article 385 et en aucune manière de porter quelque appréciation que ce soit sur le litige de fond à l’origine de la présente QPC.
À dire vrai, le litige apparaissait pour le moins inédit et complexe (pour ne pas dire sensible) tant sur le terrain procédural, que s’agissant des faits eux-mêmes (v. également H. Diaz, « Non-conformité de la purge des nullités en matière correctionnelle », D. actu., 13 oct. 2023).
Sur le terrain de la procédure pénale, la théorie des nullités de l’instruction relève de la combinaison des articles 802 et 170 et suivants du Code de procédure pénale (pour une présentation détaillée de ces règles, v. not. M. Guerrin, Rép. pén. Dalloz, v° « Nullités de procédure », juin 2015). En vertu de l’article 170, au cours de l’instruction, la chambre de l’instruction peut être saisie par le magistrat instructeur, le procureur de la République, les parties ou le témoin assisté aux fins d’annulation d’actes ou de pièces de la procédure. Les articles 173-1 et 174 du Code de procédure pénale prévoient les conditions de recevabilité des demandes de nullités. Mais lorsque le juge d’instruction estime, à la fin de l’information, que les faits dont il est saisi constituent un délit, il prend une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. À compter de l’envoi de cet avis, le procureur et les parties disposent alors d’un certain délai pour présenter des nullités (C. pr. pén., art. 175). Le Code prévoit que l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction couvre les vices de la procédure qui ont pu advenir jusqu’alors (C. pr. pén., art. 179). Dans ce cas, en application de l’article 385, les parties ne sont plus recevables à soulever devant le tribunal les nullités de la procédure antérieure. En d’autres termes, une fois l’affaire renvoyée devant la juridiction correctionnelle, les nullités sont « purgées » et la procédure elle-même est « purgée », ce qui signifie que le justiciable est alors forclos à invoquer les irrégularités de l’instruction. En résumé : « il est trop tard ! ».
Cette règle était inaudible pour le requérant : dans sa situation, comment faire pour soulever des nullités lorsque, postérieurement à la clôture de l’instruction et à l’audience du tribunal correctionnel, des nouveaux éléments particulièrement graves sont révélés ? Rappelons que le contexte de cette affaire est en effet bien particulier. À la suite des révélations faites dans Le Canard enchaîné, une enquête préliminaire avait été diligentée à l’encontre des époux Fillon, puis une instruction ouverte à l’initiative du parquet national financier (PNF), ce qui avait conduit à la mise en examen de François Fillon pour détournements de fonds publics et recel de ce délit, complicité d’abus de biens sociaux et recel de ce délit. Par jugement du 29 juin 2020, le tribunal correctionnel de Paris l’avait alors condamné à une peine d’emprisonnement ferme. Mais entre-temps, une commission d’enquête parlementaire consacrée aux obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire avait été saisie et, à cette occasion, l’ex-procureure en charge du dossier au PNF avait, dans le cadre de son audition, évoqué une forme de « pression » de sa hiérarchie dans le suivi de cette affaire (M. Babonneau, « Affaire Houlette ou l’hypocrite débat sur l’indépendance du parquet relancé », D. actu., 22 juin 2020).
Pour François Fillon et son conseil, la procédure ne présentait pas de garanties suffisantes en termes d’indépendance et d’impartialité. Au motif que, postérieurement à l’audience du tribunal correctionnel des nouveaux éléments particulièrement graves auraient été révélés, ils soulevaient des moyens de nullités devant la cour d’appel. Toutefois, par un arrêt du 9 mai 2022 et au bénéfice d’une application stricte de l’article 385 du Code de procédure pénale, la cour d’appel avait estimé que le prévenu était forclos à se prévaloir de griefs antérieurs à l’ordonnance de renvoi, avant d’entrer, à son tour, en voie de condamnation.
À l’occasion de son pourvoi en cassation, la présente QPC fut alors soulevée.
Sans se prononcer sur le litige de fond, le Conseil constitutionnel rappelle l’ensemble des dispositions du Code de procédure pénale relatives aux nullités. Il commence par énoncer le principe même de la purge des nullités en matière correctionnelle et les règles relatives au délai (§ 8 et § 9), puis il explique qu’il existe une dérogation au mécanisme de purge des nullités (§ 10), l’ensemble de ces dispositions garantissant ainsi que le prévenu a été en mesure de soulever utilement les moyens de nullité dont il a pu avoir connaissance avant la clôture de l’instruction (§ 11).
Cependant, le Conseil relève que ni les dispositions contestées, ni aucune autre disposition ne prévoient d’exception à la purge des nullités dans le cas précis où le prévenu n’aurait pu avoir connaissance de l’irrégularité éventuelle d’un acte ou d’un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l’instruction (§ 12).
Dès lors, il en conclut que les dispositions contestées sont contraires à l’article 16 de la DDHC et qu’elles méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense. Constatant que l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles entraînerait des conséquences manifestement excessives, le Conseil constitutionnel juge qu’il y a lieu de reporter au 1er octobre 2024 la date de leur abrogation.
Finalement, cette solution semblait évidente tant elle fait évidemment écho à la jurisprudence du Conseil constitutionnel concernant le mécanisme de purge des nullités en matière criminelle, qui lui aussi était particulièrement draconien. Dans sa décision n° 2021-900 QPC du 23 avril 2021, le Conseil constitutionnel avait déclaré contraires à la Constitution les articles 181, alinéa 4, et 305-1 du Code de procédure pénale en raison de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense. Le requérant reprochait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense, en ce que les textes ne permettaient pas à l’accusé, qui n’a pas été régulièrement mis en examen et qui n’a pas été informé de l’ordonnance de mise en accusation, de contester la régularité de la procédure.
Dans notre affaire, et comme il l’avait fait dans sa précédente décision du 23 avril 2021, le Conseil précise que, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, au 1er octobre 2024, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances en cours ou à venir lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un moyen de nullité qui n’a pu être connu avant la clôture de l’instruction. Il reviendra alors à la juridiction compétente de statuer sur ce moyen de nullité.
Références :
■ Cons. const. 23 avr. 2021, n° 2021-900 QPC : D. actu., 4 mai 2021, obs. D. Goetz ; D. 2021. 801.
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