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Libertés fondamentales - droits de l'homme
QPC : suppression du carnet de circulation pour les gens du voyage et possibilité d’exercer leurs droits civiques comme tout citoyen
Mots-clefs : QPC, Gens du voyage, Livret de circulation, Carnet de circulation, Liberté d’aller et de venir, Droits civiques, Commune de rattachement
Dans sa décision du 5 octobre 2012, le Conseil constitutionnel n’a pas censuré la loi du 3 janvier 1969 dans sa totalité, comme cela lui était demandé. En revanche, il a déclaré contraire à la Constitution le carnet de circulation et a donc supprimé un des trois titres de circulation exigé par la loi de 1969. Par ailleurs, il a également censuré la condition de trois années de rattachement ininterrompues à la même commune afin de permettre à des personnes circulant en France sans domicile ou résidence fixe de jouir de leurs droits civiques.
■ Les titres de circulation
La loi du 3 janvier 1969 (dont les dispositions ne sont ni applicables aux bateliers ni aux SDF) distinguait, jusqu’à la décision du Conseil du 5 octobre, trois types de titres de circulation délivrés aux personnes de nationalité française ou à celles venant de l’étranger si elles justifient de façon certaine de leur identité (L. 3 janv. 1969, art. 6) :
▪ Le premier titre de circulation concerne les personnes, ainsi que leurs accompagnants et préposés âgés de plus de 16 ans n’ayant ni domicile ni résidence fixes de plus de 6 mois dans un État membre de l’Union européenne. Ces personnes (des forains pour l’essentiel) doivent être munies d’un livret spécial de circulation sans obligation de visas par l’autorité administrative (L. préc., art. 2). Le fait de ne pas détenir ce livret constitue une contravention de 5e classe punie d’une amende de 1 500 euros (Décr. n° 70-708, art. 19).
▪ Le deuxième titre, le livret de circulation doit être détenu par les personnes âgées de plus de 16 ans, autres que celles mentionnées à l’article 2 de la loi de 1969, qui sont dépourvues de domicile ou de résidence fixes depuis plus de 6 mois, qui logent de façon permanente dans un véhicule, une remorque ou tout autre abri mobile (les gens du voyage) et qui justifient de ressources régulières leur assurant des conditions normales d’existence (L. préc., art. 3 et 4). Leur livret de circulation doit être visé par l’autorité administrative tous les ans, le défaut de visa constitue une contravention de 5e classe punie d’une amende de 1 500 euros (Décr. préc., art. 18 et 20), et le fait de ne pas détenir ce livret constitue également une contravention de 5e classe punie d’une amende de 1 500 euros (Décr. préc., art.19).
▪ Le troisième et dernier titre de circulation, le carnet de circulation, est délivré aux personnes répondant aux mêmes conditions que celles détenant un livret de circulation lorsque celles-ci ne peuvent justifier des ressources régulières leur assurant des conditions normales d’existence. Le carnet de circulation doit être visé tous les 3 mois, de quantième en quantième, par l’autorité administrative, l’absence de visa constitue une contravention de 5e classe punie d’une amende de 1 500 euros (Décr. préc., art. 20). La circulation sans carnet expose ces personnes à un emprisonnement de trois mois à un an (L. préc., art. 3, 4 et 5).
La différence de traitement entre les personnes qui justifient ou non de ressources régulières, c'est-à-dire entre celles détentrices d’un livret de circulation et celles titulaires d’un carnet de circulation n’est pas, selon le Conseil constitutionnel, en rapport direct avec les fins civiles, sociales, administratives ou judiciaires poursuivies par la loi. Comme le souligne le commentaire du Conseil relatif à cette décision : « l’identification et la recherche de ceux qui ne peuvent être trouvés grâce à un domicile ou à une résidence fixe d’une certaine durée et la garantie d’un moyen de communiquer avec ceux-ci, ne dépend pas du montant des ressources ». Par ailleurs les obligations imposées aux personnes détenant un carnet de circulation portent une atteinte disproportionnée à l’exercice de la liberté d’aller et de venir par rapport au but poursuivi.
Le Conseil constitutionnel supprime de la loi de 1969 toute référence au carnet de circulation et laisse uniquement subsister le livret de circulation pour tous les gens du voyage quelles que soient leurs ressources.
■ La commune de rattachement et l’exercice des droits civiques.
Selon l’article 7 de la loi de 1969 contestée, toute personne qui sollicite la délivrance d’un titre de circulation est tenue de faire connaître la commune à laquelle elle souhaite être rattachée. Ce rattachement produit tout ou partie des effets attachés au domicile. Parmi ceux-ci, on retrouve l’inscription sur les listes électorales. L’article 10 de la loi précité impose aux personnes titulaires de titres de circulation de justifier de 3 ans de rattachement ininterrompu dans la même commune pour être inscrites sur une liste électorale. Le Conseil constitutionnel censure cette obligation restreignant l’exercice des droits civiques : « il résulte que la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l’éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n’en sont pas exclus pour une raison d’âge, d’incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l’électeur ou l’indépendance de l’élu ; que ces principes de valeur constitutionnelle s’opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles ».
Par cette décision, le Conseil constitutionnel n’a donc pas déclaré contraire à la Constitution la totalité les articles de la loi. En revanche, cette loi de 1969 a déjà fait l’objet de demandes d’abrogation (V. notamment, délibération de la HALDE n° 2009-316 du 6 avr. 2009 et proposition de loi visant à mettre fin au traitement discriminatoire des gens du voyage du député M. Jean-Marc Ayrault, proposition n° 3042 du 15 déc. 2010).
Cons. const., 5 oct. 2012, M. Jean-Claude P., n° 2012-279 QPC
Références
■ Loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe
« Les personnes n'ayant ni domicile ni résidence fixes de plus de six mois dans un État membre de l'Union européenne doivent être munies d'un livret spécial de circulation délivré par les autorités administratives.
Les personnes qui accompagnent celles mentionnées à l'alinéa précédent, et les préposés de ces dernières doivent, si elles sont âgées de plus de seize ans et n'ont en France ni domicile, ni résidence fixe depuis plus de six mois, être munies d'un livret de circulation identique.
Les employeurs doivent s'assurer que leurs préposés sont effectivement munis de ce document, lorsqu'ils y sont tenus. »
« Les personnes âgées de plus de seize ans autres que celles mentionnées à l'article 2 et dépourvues de domicile ou de résidence fixe depuis plus de six mois doivent, pour pouvoir circuler en France, être munies de l'un des titres de circulation prévus aux articles 4 et 5 si elles logent de façon permanente dans un véhicule, une remorque ou tout autre abri mobile. »
Nouvel article 3
« Les personnes âgées de plus de seize ans autres que celles mentionnées à l'article 2 et dépourvues de domicile ou de résidence fixe depuis plus de six mois doivent, pour pouvoir circuler en France, être munies du titre de circulation prévu à l'article 4 si elles logent de façon permanente dans un véhicule, une remorque ou tout autre abri mobile. »
« Lorsque les personnes mentionnées à l'article 3 justifient de ressources régulières leur assurant des conditions normales d'existence notamment par l'exercice d'une activité salariée, il leur est remis un livret de circulation qui devra être visé à des intervalles qui ne pourront être inférieurs à trois mois par l'autorité administrative. Un livret identique est remis aux personnes qui sont à leur charge. »
Nouvel article 4
« Il leur est remis un livret de circulation qui devra être visé à des intervalles qui ne pourront être inférieurs à trois mois par l'autorité administrative. Un livret identique est remis aux personnes qui sont à leur charge. »
« Lorsque les personnes mentionnées à l'article 3 ne remplissent pas les conditions prévues à l'article précédent, il leur est remis un carnet de circulation qui devra être visé tous les trois mois, de quantième à quantième, par l'autorité administrative.
Si elles circulent sans avoir obtenu un tel carnet, elles seront passibles d'un emprisonnement de trois mois à un an. »
« Les titres de circulation ne peuvent être délivrés aux personnes venant de l'étranger que si elles justifient de façon certaine de leur identité.
La validité du livret spécial de circulation prévu à l'article 2, des carnet et livret prévus aux articles 3, 4 et 5, doit être prorogée périodiquement par l'autorité administrative. »
Nouvel article 6
« Les titres de circulation ne peuvent être délivrés aux personnes venant de l'étranger que si elles justifient de façon certaine de leur identité.
La validité du livret spécial de circulation prévu à l'article 2, et du livret de circulation prévu aux articles 3 et 4, doit être prorogée périodiquement par l'autorité administrative. »
Toute personne qui sollicite la délivrance d'un titre de circulation prévu aux articles précédents est tenue de faire connaître la commune à laquelle elle souhaite être rattachée.
Le rattachement est prononcé par le préfet ou le sous-préfet après avis motivé du maire.
« Le rattachement prévu aux articles précédents produit tout ou partie des effets attachés au domicile, à la résidence ou au lieu de travail, dans les conditions déterminées par un décret en Conseil d'État, en ce qui concerne :
La célébration du mariage ;
L'inscription sur la liste électorale, sur la demande des intéressés ;
L'accomplissement des obligations fiscales ;
L'accomplissement des obligations prévues par les législations de sécurité sociale et la législation sur l'aide aux travailleurs sans emploi ;
L'obligation du service national.
Le rattachement à une commune ne vaut pas domicile fixe et déterminé. Il ne saurait entraîner un transfert de charges de l'État sur les collectivités locales, notamment en ce qui concerne les frais d'aide sociale. »
Nouvel article 10
« Le rattachement prévu aux articles précédents produit tout ou partie des effets attachés au domicile, à la résidence ou au lieu de travail, dans les conditions déterminées par un décret en Conseil d'État, en ce qui concerne :
La célébration du mariage ;
L'inscription sur la liste électorale, sur la demande des intéressés ;
L'accomplissement des obligations fiscales ;
L'accomplissement des obligations prévues par les législations de sécurité sociale et la législation sur l'aide aux travailleurs sans emploi ;
L'obligation du service national.
Le rattachement à une commune ne vaut pas domicile fixe et déterminé. Il ne saurait entraîner un transfert de charges de l'État sur les collectivités locales, notamment en ce qui concerne les frais d'aide sociale. »
■ Décret n° 70-708 du 31 juillet 1970 portant application du titre Ier et de certaines dispositions du titre II de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe
« Toute personne mentionnée à l'article 1 du présent décret qui désire changer de commune de rattachement doit adresser sa demande au commissaire de la République du département ou au commissaire adjoint de la République de l'arrondissement où est située la commune à laquelle elle est rattachée et, dans le ressort de la préfecture de police, au préfet de police. Elle doit joindre à sa demande les pièces justifiant qu'elle a établi des attaches dans une autre commune.
La détermination de ces attaches peut notamment résulter de l'une des circonstances suivantes :
Le requérant a acquis ou pris en location un terrain ou un bâtiment ;
Il a conclu un contrat de travail l'appelant à un séjour prolongé dans une commune autre que celle à laquelle il est rattaché ;
Un ou plusieurs membres de sa famille se sont fixés dans la commune à laquelle il désire être rattaché ;
Il justifie qu'il séjourne au moins trois mois chaque année dans ladite commune, ou qu'il y revient à intervalles fréquents ;
Un ou plusieurs enfants du requérant fréquentent avec assiduité un établissement scolaire situé dans la commune à laquelle il demande son rattachement ;
Un membre de la famille du requérant est hospitalisé ou immobilisé pour une longue durée dans la commune à laquelle l'intéressé désire se rattacher. »
« Le commissaire de la République ou le commissaire adjoint de la République saisi de la demande de changement de la commune de rattachement en avise sans délai, en lui communiquant les justifications fournies, le commissaire de la République ou le commissaire adjoint de la République dont dépend la commune à laquelle le rattachement est demandé. Le commissaire de la République ou le commissaire adjoint de la République recueille l'avis du maire dans les conditions prévues à l'article 15 ci-dessus et fait connaître sa décision au commissaire de la République ou au commissaire adjoint de la République initialement saisi, qui avise le requérant. Si cette décision est positive, elle est communiquée au maire de l'ancienne commune de rattachement. »
« Les demandes tendant à obtenir un changement de commune de rattachement avant l'expiration de la durée de deux ans prévue à l'article 9 de la loi du 3 janvier 1969 doivent être accompagnées de tous documents établissant les motifs graves qui les justifient. Le commissaire de la République se prononce après avoir pris l'avis, selon le cas, du directeur de l'action sanitaire et sociale ou de l'inspecteur du travail. »
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