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Droit constitutionnel
QPC/élu local/ peine complémentaire d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire/procédure de démission d’office
La procédure de démission d’office applicable à un élu local privé de son droit électoral à la suite d’une condamnation pénale non définitive est conforme à la Constitution sous réserve d’interprétation.
Cons. const. 28 mars 2025, n° 2025-1129 QPC
Le Conseil d’État a transmis au Conseil constitutionnel une QPC présentée par un élu mahorais condamné, en juin 2024, par le tribunal correctionnel de Mamoudzou à une peine complémentaire d’inéligibilité de 4 ans, assortie de l’exécution provisoire. Le préfet de Mayotte l’avait en conséquence, en application de l’article L. 236 du code électoral, immédiatement déclaré démissionnaire d’office de ses mandats locaux (CE, QPC, 27 déc. 2024, n° 498271). Selon le Conseil d’État, il résulte des dispositions des articles L. 230, 1° et L. 236 du code électoral « que, si le législateur est compétent, en vertu du septième alinéa de l'article 34 de la Constitution, pour fixer les conditions d'exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales, il ne saurait priver un citoyen du droit d'éligibilité dont il jouit en vertu de ces dispositions que dans la mesure nécessaire au respect du principe d'égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l'électeur. … Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit d'éligibilité, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 3 de la Constitution, en tant qu'elles s'appliquent à des élus ayant fait l'objet d'une condamnation pénale déclarée exécutoire par provision sur le fondement de l'article 471 du code de procédure pénale, alors que cette sanction n'est pas devenue définitive, soulève une question présentant un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ».
Ainsi, le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur le fait de savoir si la démission d’office prononcée par le préfet, à l’encontre d’un élu local à la suite d’une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire mais non définitivement condamné, était conforme à la Constitution. Étaient soumis à son examen les articles L. 230, 1° et L. 236 du code électoral.
Selon le 1° de l’article L. 230 du code électoral, les individus privés du droit électoral ne peuvent être conseillers municipaux. L’article L. 236 du même code précise que le conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans ce cas d’inéligibilité est immédiatement déclaré démissionnaire d’office par le préfet. Il résulte d’une jurisprudence constante du Conseil d’État que le préfet a l’obligation de déclarer immédiatement démissionnaire d’office le conseiller municipal non seulement en cas de condamnation à une peine d’inéligibilité devenue définitive, mais aussi lorsque la condamnation est assortie de l’exécution provisoire (CE 20 juin 2012, n° 356865 A ; CE 29 mai 2024, n° 492285 B). Le préfet aurait ainsi une compétence liée.
Pour rappel, prévue par l’article 131-26-2 du code pénal (L. n° 2016-1691 du 9 déc. 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (« Sapin 2 », reprise par la L. n° 2017-1339 du 15 sept. 2017 pour la confiance dans la vie politique, art. 1er), la peine complémentaire d’inéligibilité est obligatoirement prononcée pour une liste déterminée de délits et pour tous les crimes. Toutefois, le juge peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas la prononcer en prenant en considération les circonstances de l'infraction et la personnalité de son auteur. L’exécution provisoire de cette peine peut être ordonnée par le juge (C. pr. pén., art. 471, al. 4).
Dans cette affaire, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur le droit d’éligibilité, le droit à un recours juridictionnel effectif et le principe d’égalité devant la loi.
● Absence de méconnaissance du droit d’éligibilité (DDH, art. 6)
Selon le requérant, les dispositions des articles L. 230 et L. 236 du code électoral portent une atteinte disproportionnée au droit d’éligibilité. Elles ont pour conséquences de le priver de son mandat avant même qu’il ait été statué définitivement sur le recours contre sa condamnation pénale, alors qu’aucune disposition ne garantit en outre que le juge ait pris en compte toutes les conséquences pour l’élu de l’exécution provisoire de la peine.
Le Conseil constitutionnel rappelle qu’un citoyen ne peut être privé du droit d’éligibilité (DDH, art. 6 ; V ; également Cons. const. 16 déc. 1999, n° 99-420 DC) que dans la mesure nécessaire au respect du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur.
Il précise que les dispositions des articles L. 230, 1° et L. 236 du code électoral visent à garantir l’effectivité de la décision du juge ordonnant l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité afin d’assurer, en cas de recours, l’efficacité de la peine et de prévenir la récidive. Ces dispositions mettent ainsi en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.
Par ailleurs, la démission d’office est la conséquence de la peine d’inéligibilité prononcée par le juge pénal qui en choisit la durée et peut également décider de ne pas la prononcer. S’il la prononce, il peut décider de son exécution provisoire à la suite d’un débat contradictoire.
Lors de l’audience QPC, plusieurs avocats ont insisté sur l’atteinte portée à la liberté de l’électeur. En effet, une décision non définitive du juge pénal qui prononce une peine complémentaire d’inéligibilité pour un élu local suffit ainsi à révoquer le choix des électeurs car le préfet a l’obligation de prononcer la démission d’office. Le juge de première instance a ainsi le pouvoir de défaire une élection locale.
Toutefois, le Conseil constitutionnel prononce une réserve d’interprétation selon laquelle : « Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur. »
Ainsi, sous cette réserve, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit d’éligibilité.
● Absence de méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif (DDH, art. 16)
L’arrêté préfectoral actant la démission d’office d’un conseiller municipal condamné à une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire, n’est que la conséquence de la décision du juge pénal. Cet acte n’a pas d’effet sur l’exercice des voies de recours ouvertes contre la décision de condamnation.
De plus, l’élu peut former un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté préfectoral devant le juge administratif. Le recours est suspensif tant que la condamnation pénale n’est pas définitive.
● Absence de méconnaissance du principe d’égalité devant la loi (DDH, art. 6)
Existe-t-il une différence de traitement injustifiée entre les élus locaux et les élus nationaux, dès lors que la déchéance du mandat d’un parlementaire ne peut intervenir qu’en cas de condamnation définitive à une peine d’inéligibilité. ?
En clair, comme nous l’avons vu plus haut, un élu local est obligatoirement déclaré démissionnaire d’office à la suite d’une condamnation pénale non définitive lorsque le juge a prononcé une peine complémentaire d’inéligibilité avec exécution provisoire. En revanche, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la déchéance du mandat parlementaire n’est jamais prononcée avant une condamnation définitive à une peine d’inéligibilité (Cons. const., 16 juin 2022, n° 2022-27 D). Pourquoi cette différence ?
Le Conseil constitutionnel justifie cette différence de traitement par une différence de situation : « En vertu de l’article 3 de la Constitution, les membres du Parlement participent à l’exercice de la souveraineté nationale et, aux termes du premier alinéa de son article 24, ils votent la loi et contrôlent l’action du Gouvernement. Dès lors, au regard de leur situation particulière et des prérogatives qu’ils tiennent de la Constitution, les membres du Parlement se trouvent dans une situation différente de celle des conseillers municipaux ».
Ainsi les dispositions des articles L. 230, 1° et L. 236 du code électoral sont conformes à la Constitution sous la réserve suivante : « Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure (l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité) est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ».
Références
■ CE, QPC, 27 déc. 2024, n° 498271
■ CE 20 juin 2012, n° 356865 A : AJDA 2012. 1257 ; AJCT 2012. 430, obs. D. Dutrieux
■ CE 29 mai 2024, n° 492285 B : AJDA 2024. 1136 ; AJCT 2024. 629, obs. P. Bluteau
■ Cons. const. 16 déc. 1999, n° 99-420 DC : D. 2000. 421, obs. J.-C. Car
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