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Droit des obligations
Qualification juridique du marché à forfait
La possibilité de modifier le prix forfaitaire est, à la condition d’être subordonnée à l’accord écrit des parties et de reposer sur des documents contractuels précis, compatible avec la notion de marché à forfait.
Une société ayant entrepris des travaux d'extension d'une usine avait confié la réalisation de la charpente de cette usine à une autre société. Celle-ci estimant avoir fourni une plus grande quantité d'acier que celle initialement convenue, avait, après expertise, assigné la société de travaux en paiement du solde du marché. Reprochant à la cour d’appel d’avoir qualifié le marché qu’elle avait conclu de marché à forfait et réduit à une certaine somme le solde restant dû (après compensation des créances réciproques liant les deux sociétés), la société demanderesse soutenait devant la Haute cour que ne constitue pas un marché à forfait, nonobstant la stipulation d'un prix « ferme, forfaitaire et non révisable » le contrat qui précise, dans un appendice faisant partie intégrante de la convention des parties, que le prix a été établi sur la base d'une quantité d'acier déterminée et fixe le prix unitaire des quantités d'acier supplémentaires induites par les résultats d'une nouvelle étude technique, l'application de prix unitaires aux quantités réellement exécutées étant incompatible avec la fixation globale et définitive du prix ; la cour d’appel ne pouvait donc pas, selon elle, maintenir la qualification de marché à forfait. Le moyen est jugé non fondé, la cour d’appel ayant relevé que le cahier des conditions et charges particulières d'appel d'offres prévoyait que « l'entrepreneur devra calculer les quantités et s'engager sur des prix globaux et forfaitaires » et que « les modifications, qui peuvent éventuellement entraîner une modification du montant forfaitaire initial, doivent être concrétisées par un avenant rédigé par le maître d'œuvre et chiffrées à l'aide des documents contractuels servant de base au forfait et des prix unitaires donnés », avait pu en déduire que les feuillets annexés au contrat, fixant les prix unitaires des quantités d'acier supplémentaires, ne retiraient pas au marché son caractère forfaitaire.
Bien que le prix du contrat d’entreprise ait vocation à être fixé une fois l’ouvrage achevé pour permettre à chaque partie d’évaluer à la fois le travail fourni et la qualité du résultat obtenu, il est fréquent que les parties fixent, dès l’origine, le prix ou ses modalités de détermination. A cet effet, plusieurs techniques leur sont offertes, dont le marché à forfait. Selon l’article 1793 du Code civil, « (l)orsqu’un architecte ou un entrepreneur s’est chargé de la construction à forfait d’un bâtiment, d’après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l’augmentation de la main d’œuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d’augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n’ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire ».
Par définition, le prix forfaitaire est fixé à l’avance de façon globale et définitive. Intangible, il interdit donc en principe aux entrepreneurs toute demande en supplément de prix pour les changements ou augmentations de travaux réalisés par rapport à ceux prévus au plan. Ces derniers ont donc tout intérêt à prévoir, dès la date de passation du marché, dans le montant de leur forfait, tous les travaux nécessaires à l’exécution de l’ouvrage. En outre, tenus d’une obligation de conseil, ils ne peuvent se prévaloir d’une erreur commise dans la détermination des travaux à réaliser. Les dispositions de l’article 1793 précité cessant d’être applicables lorsque les parties, tout en stipulant le forfait, y ont ajouté des clauses qui en modifient le caractère et les effets (Req. 26 juin 1939). L’entrepreneur soutenait en l’espèce que les avenants litigieux enlevaient au marché son caractère forfaitaire en ce que leur contenu porterait directement atteinte à la règle de la fixité du prix, élément essentiel du caractère juridique du forfait, en sorte qu’elle redevenait en droit de réclamer le coût de l’acier réellement utilisé pour la charpente métallique ainsi que celui des travaux supplémentaires. Or la qualification de forfait n’est pas compromise dès lors que l’exécution des travaux supplémentaires est subordonnée, comme en l’espèce, à un accord écrit (Civ. 3e, 17 nov. 2009, n° 08-21.531), de surcroît appuyé sur des documents précis, de nature contractuelle, et établis en référence au prix du forfait initial. A contrario, la qualification de marché à forfait ne peut être retenue sur la base d’un accord stipulant que l’entrepreneur est chargé de travaux de rénovation et de transformation d’un immeuble alors qu’aucun document sérieux n’avait été préparé, que le devis établi était très imprécis et que les plans n’avaient aucun caractère contractuel (Civ. 3e, 20 nov. 1991, n° 89-21.858). Cette qualification doit encore être exclue lorsque les conditions d’exécution des travaux, leur masse ainsi que leurs conditions de règlement ont été mal définies (Civ. 3e, 20 nov. 1991, n° 90-10.286), tandis qu’en l’espèce, les travaux que la demanderesse avait offert de réaliser avaient été clairement définis dans le cahier des charges. Le marché à forfait mettant les risques de l’exécution à la charge de l’entrepreneur, la société demanderesse a ainsi été jugée comme devant assumer son manque de prévision des travaux à réaliser pour l’exécution du marché qu’elle avait accepté pour un prix forfaitaire. Certes, par exception, l’article 1793 offre à l’entrepreneur, en matière de construction immobilière, la possibilité de demander un supplément de prix à la condition, qu’implique le droit commun, d’établir un devis, avenant au contrat d’entreprise initial ou ordre de service prouvant l’acceptation par le maître de l’ouvrage des travaux supplémentaires nécessaires à la réalisation de l’ouvrage ; or en l’espèce, la société n’avait pu verser aux débats aucun document de ce type pour justifier sa demande fondée sur le poids réel d’acier utilisé pour la réalisation de l’ouvrage.
Civ. 3e, 15 mars 2018, n° 16-19.765
Références
■ Fiche d’orientation Dalloz : Contrat d'entreprise de construction
■ Req. 26 juin 1939 : DH 1939. 468.
■ Civ. 3e, 17 nov. 2009, n° 08-21.531.
■ Civ. 3e, 20 nov. 1991, n° 89-21.858 P : RDI 1992. 214, obs. P. Malinvaud et B. Boubli.
■ Civ. 3e, 20 nov. 1991, n° 90-10.286 P : RDI 1992. 69, obs. P. Malinvaud et B. Boubli ; ibid. 214, obs. P. Malinvaud et B. Boubli.
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