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Droit des obligations
Qualification négative du contrat d’entreprise
Dans un arrêt rendu le 10 novembre dernier, la Cour de cassation précise la technique et les critères de qualification du contrat d’entreprise, déduite de sa distinction avec le mandat.
Civ. 3e, 10 nov. 2021, n° 20-19.372
Une SCI avait conclu un contrat de promotion immobilière en vue d’édifier un ensemble commercial sur un terrain lui appartenant. Le promoteur avait ensuite, par un contrat de « contractant général », chargé une société de la réalisation du projet immobilier. Celle-ci avait en conséquence confié plusieurs marchés de travaux à un second professionnel, auquel une garantie de paiement avait été délivrée sur le fondement de l'article 1799-1 du Code civil, sous la forme d'un cautionnement prenant fin le 31 mars 2011. Le 9 mars 2011, ce dernier avait mis en demeure son cocontractant de lui confirmer la prolongation de son engagement de caution jusqu'au règlement définitif du marché et de la prise en charge des travaux supplémentaires réalisés. Puis par une lettre du 11 avril 2011, se plaignant d'une insuffisance du cautionnement, il l’avait informé de sa décision de suspendre ses prestations. Après avoir été vainement mis en demeure de reprendre le marché, la société chargée de la construction de l’ouvrage avait, quelques semaines plus tard, résilié le marché.
Soutenant que les conventions la liant à cette société étaient des contrats de sous-traitance et que celle-ci avait non seulement manqué à son obligation de lui délivrer sa garantie de paiement, mais également résilié abusivement les marchés qu’elle lui avait confiés, le prétendu sous-traité avait assigné en paiement de diverses sommes son cocontractant, ainsi que la SCI et le promoteur immobilier.
L’une des sociétés attaquées, chargée de la construction de l’ouvrage, fit grief à l’arrêt d’avoir qualifié le contrat par lequel elle avait confié l’exécution d’une partie de ses missions à un second professionnel de sous-traitance, alors qu’il s’agissait, selon elle, d’un contrat d’entreprise. Dans cette perspective, elle soutint devant la Cour de cassation que le premier contrat de « contractant général » qu’elle avait conclu avec le promoteur immobilier, mandataire du maître de l’ouvrage de l’opération globale de construction (la SCI), ayant eu pour objet de lui confier la réalisation du projet immobilier à l’exclusion de tout acte matériel ou intellectuel de construction, et ce sur la base d’un pouvoir de représentation du maître de l'ouvrage dans ses rapports avec l'ensemble des intervenants à la réalisation de cette opération, cette convention devait s’analyser comme un contrat de mandat, en sorte que le second contrat conclu ne pouvait recevoir la qualification de contrat de sous-traitance, mais de contrat d'entreprise principal.
La Cour de cassation juge ce moyen non fondé. Elle approuve d’une part la cour d’appel d’avoir qualifié le premier contrat, au regard de son objet et de l’engagement de son débiteur, de contrat d’entreprise : « ayant relevé que le contrat de contractant général (…) avait pour objet la réalisation des études et des travaux de construction de l'immeuble, avec pour missions les études générales relatives à la réalisation du bâtiment, la construction des bâtiments comprenant la consultation et le choix des sous-traitants, la passation des contrats de sous-traitance et le paiement des sous-traitants, la relance des fournisseurs et entrepreneurs, l'ordonnancement coordination pilotage et gestion administrative du chantier, la direction de la construction des bâtiments, la réception et le suivi de la levée des réserves éventuelles, le suivi de la période de parfait achèvement, et que celui-ci comportait un engagement de (l’entrepreneur) d'exécuter tous les travaux confiés conformément aux règles de l'art ». Elle approuve d’autre part la cour d’appel d’en avoir déduit que le second contrat par lequel l’entrepreneur avait confié à un second professionnel l'exécution d'une partie de ses missions était un contrat de sous-traitance.
Qualification par défaut. En ce qu’il constitue une catégorie générique regroupant l’ensemble des contrats de prestations de services, le contrat d’entreprise a vocation à s’appliquer à de nombreuses conventions dont certaines constituent des contrats nommés, tels que le transport, le dépôt, le contrat de travail, ou encore le mandat. Confrontée à ces multiples contrats spéciaux, la qualification du contrat d’entreprise n’apparaît alors que de manière résiduelle. Le rattachement d’un contrat à cette catégorie générique se déduit négativement de l’absence de toute autre qualification positive. Autrement dit, un contrat de prestations de services sera qualifié de contrat d’entreprise s’il n’est ni un mandat, ni un dépôt, ni un contrat de travail, etc. Dans cette perspective, la qualification « négative » du contrat d’entreprise (P. Puig, Les contrats spéciaux, 8e éd., n° 816, p. 692) dépend pour l’essentiel des critères d’identification de ces autres contrats spéciaux qui constituent des déclinaisons particulières de cette appellation générique. Plus précisément, l’opération de qualification s’effectue en référence à la nature de la prestation accomplie et aux modalités de son exécution. C’est ainsi qu’il faut notamment procéder pour faire le départ entre le contrat d’entreprise et le mandat.
Contrat d’entreprise et mandat : le principe de distinction - À première vue, la distinction du mandat et du contrat d’entreprise ne pose pas de difficultés. Ils s’opposaient dès l’origine, par la nature gratuite du premier et la nature onéreuse de l’autre. Ecarté par la disparition du principe de gratuité du mandat, le principe de leur distinction repose sur le mécanisme de la représentation caractéristique du mandat. Ce mécanisme lui confère sa singularité, a fortiori depuis que l’ensemble de son régime s’organise, depuis la réforme de 2016, autour de ce particularisme qu’ignore le contrat d’entreprise de droit commun. Le critère distinctif entre les deux contrats tient donc au pouvoir de représentation dont est investi un mandataire, contrairement à un entrepreneur : le premier s’engage à conclure des actes juridiques au nom et pour le compte du mandant tandis que le second accomplit en toute indépendance les actes matériels nécessaires à la réalisation de la prestation de services qu’il doit honorer. En l’absence de représentation, il ne saurait y avoir de mandat : le contrat d’entreprise retrouve ainsi son empire.
Mixité du contrat : relativité de la distinction – La distinction entre les contrats d’entreprise et de mandat est parfois tempérée, soit par la pratique contractuelle, soit par le législateur lui-même. C’est le cas notamment du premier contrat conclu dans le présent arrêt, la promotion immobilière, que l’article 1831-1 du Code civil qualifie maladroitement de mandat d’intérêt commun alors qu’il s’apparente davantage à un contrat d’entreprise, puisqu’il repose sur diverses prestations matérielles et juridiques à l’effet de réaliser un programme de construction. La lecture des termes de ce texte suffit à s’en convaincre, ce contrat spécial étant défini comme celui « par lequel une personne dite « promoteur immobilier » s'oblige envers le maître d'un ouvrage à faire procéder, moyennant un prix convenu et au moyen de contrats de louage d'ouvrage, à la réalisation d'un programme de construction d'un ou plusieurs édifices ainsi qu'à procéder elle-même ou à faire procéder, moyennant rémunération, à tout ou partie des opérations juridiques, administratives et financières concourant au même objet ». Or c’est en cette qualité de promoteur que le demandeur au pourvoi avait conclu le contrat litigieux avec la société chargée de réaliser le projet immobilier. Pour contester la qualification retenue de contrat d'entreprise et soutenir celle d’un mandat, il arguait donc de sa qualité de mandataire du maître de l'ouvrage, étant prévu que ce dernier serait représenté dans ses rapports avec l’ensemble des intervenants au projet. Cependant, comme l’ont souligné les juges, si un promoteur immobilier est en effet garant de l'exécution des obligations mises à la charge des personnes avec lesquelles il a traité au nom du maître de l'ouvrage, il s'engage personnellement à exécuter lui-même, et en toute indépendance, les opérations mises à sa charge et se voit tenu, quant à sa mission, des mêmes obligations qu’un entrepreneur. Cela étant dit le contenu du contrat litigieux laissait apparaître un élargissement du champ des obligations d'un entrepreneur classique, chargé de la seule réalisation de l'ouvrage, à des missions plus larges d’études et de gestion administrative du marché. Il adjoignait donc aux prestations matérielles typiques du contrat d’entreprise des prestations intellectuelles, juridiques et administratives auxquelles s’engage généralement un mandataire.
Réaffirmation de la distinction : conséquences sur le contrat de sous-traitance - Malgré sa mixité, le contrat a été analysé par les juges comme un contrat d’entreprise sui generis, issu de la pratique, dont le caractère hybride lui confère sa singularité sans lui ôter sa qualification de contrat d’entreprise, en l’absence de pouvoir de représentation qui viendrait contredire le principe d’indépendance du débiteur dans l’exécution des prestations qu’il s’est engagé à accomplir.
Aussi bien ce contrat stipulait-il expressément le recours à la sous-traitance pour l'exécution des travaux. La sous-traitance consiste dans le recours de l'entreprise chargée de la construction de l'ouvrage considéré à une autre entreprise à laquelle elle confie tout ou partie des travaux de construction. Elle implique la succession de deux contrats d'entreprise, ce qui suppose qu'une personne dénommée entrepreneur ou locateur d'ouvrage s'oblige, moyennant rémunération, à accomplir de manière indépendante un travail d'ordre matériel ou intellectuel à la demande et au profit d'une autre personne, dénommée client ou donneur d'ordres. Même s’il désignait l’entrepreneur comme maître de l’ouvrage et le sous-traité comme entrepreneur, le dernier contrat en l’espèce conclu s'analysait donc bien en un contrat de sous-traitance. Il relève également du champ contractuel de l'entreprise car la prestation confiée est exécutée en toute indépendance, sans pouvoir de représentation (donc exclusif de la qualification de mandat) et sans lien de subordination (exclusif de la qualification du contrat de travail). La mission du second professionnel était donc de même nature que celle du premier, même si leurs objets ne se recoupaient pas entièrement ; quoique partiel, le transfert au sous-traitant des missions confiées à l’entrepreneur principal constituait un moyen nécessaire à leur réalisation.
Par conséquent, peu importait, dans cette affaire, la qualification légale ou contractuelle des contrats litigieux, la dénomination utilisée par les parties ne liant pas le juge auquel incombe la tâche de rétablir la véritable qualification juridique des contrats qui lui sont soumis, a fortiori quand une partie le sollicite. Malgré la mixité des prestations à réaliser et quelle que soit la qualification donnée à ceux chargés de les effectuer, dès l’instant que celles-ci n’ont pas à être effectuées au service d’une mission de représentation ou sur la base d’un lien de subordination, la qualification d’entreprise s’impose.
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